Intervention de Jean-René Lecerf

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission justice - programme administration pénitentiaire - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur pour avis :

Avec une dotation de 2,99 milliards en crédits de paiement en hausse de 7 % par rapport à 2011, et la création de 454 ETPT, le projet de budget pour l'administration pénitentiaire, dans un contexte marqué par une dépense publique fortement contrainte, paraît devoir échapper à la critique. Pourtant les perspectives que dessine le projet de loi de finances pour la politique pénitentiaire en 2012 et pour les années à venir suscitent la perplexité.

L'effort consenti pour les prisons est, en effet, pour l'essentiel, commandé par l'ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires. Au-delà de l'achèvement du programme « 13.200 places » engagé depuis 2002, le nouveau programme immobilier préparé par le ministère de la justice devrait porter à 80.000 le nombre de places de détention à l'horizon 2017.

Selon le Gouvernement, ces créations sont justifiées par la mise en oeuvre de l'encellulement individuel et l'exécution effective des peines d'emprisonnement. Toutefois, la loi pénitentiaire invoquée à l'appui du premier de ces arguments n'a jamais imposé l'encellulement individuel pour la totalité des personnes détenues. Quant à l'exécution des peines, elle n'exclut pas leur aménagement. Bien au contraire, le législateur a relevé de un an à deux ans le quantum de peine prononcé, susceptible de faire, sous certaines conditions, l'objet d'un aménagement.

Il est légitime d'augmenter le nombre de cellules individuelles et d'améliorer les conditions matérielles de détention. Toutefois la cible affichée par le Gouvernement, alors que le nombre de personnes détenues écrouées atteignait 63.600 au 1er octobre 2011, dépasse de loin cette ambition. Aussi je crains que l'accroissement des capacités de détention n'ait d'autre effet que d'encourager de nouvelles incarcérations à rebours de la volonté, exprimée notamment par les commissions d'enquête du Sénat et de l'Assemblée nationale de « rompre le cercle vicieux entre l'accroissement du nombre de détenus et l'augmentation des capacités d'accueil en prison ». Par ailleurs, la mise en oeuvre du nouveau programme immobilier risque de concentrer de nouveau les moyens sur la création d'emplois de personnels de surveillance au détriment des emplois de conseiller d'insertion, et partant des mesures d'aménagement de peine. Un volet essentiel de la loi pénitentiaire se trouverait ainsi affecté par la priorité donnée aux constructions à venir.

Au reste, la traduction financière des grandes orientations de la loi pénitentiaire n'apparaît toujours pas clairement dans le projet de loi de finances. Il est significatif -et regrettable- à cet égard, que les indicateurs de performance supposés éclairer les choix de la politique pénitentiaire n'aient transcrit que de manière très formelle, les objectifs poursuivis par le législateur en 2009.

Certes, je me félicite que la cible retenue en 2013 pour le taux de détenus bénéficiant d'une activité rémunérée ait été fixée au-delà de 40 % -alors qu'elle avait été établie à 37,4 % dans le projet annuel de performance présenté l'année passée. Cet objectif s'accorde mieux avec l'obligation d'activité pour les détenus. Néanmoins, l'indication ainsi donnée devrait être pondérée par le nombre d'heures travaillées. En effet, le nombre de personnes détenues bénéficiant d'un emploi peut augmenter tandis que les heures effectuées par travailleur diminuent.

En revanche, je m'étonne de la très forte réévaluation du « taux d'évasions hors établissements pénitentiaires en aménagement de peine ». L'« incapacité à respecter les termes » de la mesure peut être liée au choix d'un dispositif inadapté à la personnalité de la personne condamnée en raison d'une analyse insuffisante des dossiers et d'un suivi individuel défaillant. On peut craindre qu'à la faveur du développement de la surveillance électronique, l'administration pénitentiaire ne soit tentée de faire l'économie de l'encadrement humain pourtant indispensable à la mise en place de ce dispositif. Il serait en tout cas paradoxal de fixer pour objectif un taux qui ne correspond pas à une gestion entièrement satisfaisante des aménagements de peine.

Le choix des indicateurs eux-mêmes soulève des réserves. L'indicateur relatif au nombre de détenus par cellule fait l'objet d'une approche réductrice dans la mesure où il ne distingue pas entre maisons d'arrêt qui connaissent une surpopulation récurrente et établissements pour peine où prévaut, en principe, l'encellulement individuel. Le projet annuel de performances présente certaines lacunes. Ainsi la sécurité des établissements devrait s'apprécier non seulement à travers le nombre d'incidents dont les personnels sont victimes mais aussi à travers les violences commises en détention sur les personnes détenues.

J'en viens au projet de budget pour 2012. Le programme « administration pénitentiaire » représente 40,8 % de la mission justice, soit, dans le projet de loi de finances initialement présenté par le Gouvernement devant le Parlement, une dotation en crédits de paiement de 3 milliards d'euros, en augmentation de 7 % par rapport à l'an passé. Le plafond d'autorisation d'emplois au titre du projet de loi de finances pour 2012 s'élève à 35.511 ETPT contre 35.057 en 2011, soit la création de 454 ETPT.

La hausse du plafond d'emploi en 2012 résulte pour l'essentiel de deux facteurs : la création d'emplois de surveillants pour les établissements dont l'ouverture est prévue en 2012 ; le transfert de 250 ETPT sur le programme « administration pénitentiaire » afin de poursuivre la mise en place des pôles régionaux d'extractions judiciaires engagée depuis 2011 dans le cadre de la reprise des missions d'extractions judiciaires auparavant assumées par les services de la police nationale et de la gendarmerie.

S'agissant du titre 3, les crédits s'élèvent à 713,6 millions d'euros, soit une progression de 8,5 % par rapport à la loi de finances pour 2011. Cette augmentation s'explique principalement par le paiement des loyers des établissements construits en partenariat public-privé et l'obligation contractuelle liée aux marchés en gestion déléguée. A ce titre, les montants alloués à l'administration pénitentiaire par le projet de loi de finances s'élèvent à 383,2 millions d'euros contre 347,6 millions d'euros en 2011. L'effet financier des dispositions de la loi pénitentiaire apparaît beaucoup plus modeste. Les crédits de fonctionnement restent structurellement insuffisants pour garantir un entretien satisfaisant du parc pénitentiaire. Faut-il rappeler que le défaut d'entretien a imposé la rénovation complète de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis dont le coût équivaut à la construction d'un établissement neuf. En outre, les moyens de fonctionnement sont, de manière récurrente, affectés par les gels de crédits en cours d'année. Dans la mesure où ces gels ne peuvent s'appliquer à la dotation affectée aux marchés de gestion déléguée, dépense obligatoire en vertu des contrats qui lient l'Etat aux prestataires privés, ils portent sur l'enveloppe réservée au parc en gestion publique. Des inégalités risquent de se creuser dans les conditions de détention entre les deux catégories de gestion. Un effort particulier doit être garanti pour le parc pénitentiaire en gestion publique qui ne saurait être le « parent pauvre » de l'administration pénitentiaire sauf à consacrer un système à deux vitesses.

L'évolution récente de la population pénale m'inspire des inquiétudes. Au 1er octobre 2011, le nombre de personnes écrouées détenues en métropole et outre-mer s'élevait à 63.602 contre 60.789 au 1er octobre 2010, soit une augmentation de 4,6 %. Cela semble résulter pour partie de la volonté de porter à exécution les peines d'emprisonnement ferme. Il convient néanmoins de lever toute ambigüité en matière d'exécution de peine : une peine aménagée est une peine exécutée. Ce rappel permet de nuancer la donnée selon laquelle, au 30 juin 2011, 85.600 peines d'emprisonnement étaient en attente d'exécution. En effet, près de 95 % d'entre elles sont constituées de peines aménageables (peines inférieures à deux ans ou à un an en cas de récidive). Ainsi, une partie du stock de peines d'emprisonnement est en réalité en cours d'exécution dans la mesure où les peines ont été transmises aux services de l'application des peines et aux services pénitentiaires d'insertion et de probation en vue de leur aménagement.

Les aménagements de peine sont marqués par la prédominance de la surveillance électronique. Avec la loi pénitentiaire, celle-ci pourrait également devenir la modalité la plus usuelle d'exécution des fins de peine. Au total, le seuil des 5.000 placements sous surveillance électronique simultanés a été atteint pour la première fois en mars 2010. Il s'élevait au 1er septembre 2011 à 7.051. En flux, le placement sous surveillance électronique représente de loin le premier aménagement de peine prononcé sur l'ensemble du territoire national avec 50 % de l'ensemble des mesures accordées au cours de l'année 2010. Les personnes placées sous surveillance électronique représentent 13 % des personnes condamnées sous écrou.

Qu'en est-il du parc pénitentiaire ? La France disposait au 1er janvier 2011 de 56.358 places « opérationnelles ». Au terme du programme « 13.200 » en 2013, la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires devrait atteindre 61.200 places. Le ministère de la justice a souhaité en 2010 la mise en oeuvre d'un nouveau programme immobilier afin de porter à 70.400 le nombre de places disponibles. Conformément au voeu du Président de la République, cet objectif devrait même être relevé à 80.000 places par la future loi de programmation sur l'exécution des peines. Le nouveau programme de construction vise la réalisation de 14.282 places nouvelles et la fermeture de 7.570 places vétustes. A l'issue de ce programme, la France sera dotée de 70.400 places de prison (réparties dans 62.500 cellules), dont plus de la moitié ouvertes après 1990. La fermeture de 45 sites avait été initialement annoncée. Les critères retenus pour établir cette liste avaient néanmoins suscité de nombreuses réserves dont je m'étais fait l'écho l'an passé. A la lumière de visites effectuées notamment dans les maisons d'arrêt d'Aurillac, de Châlon en Champagne et dans le centre pénitentiaire de Château-Thierry, j'avait rappelé la nécessité de tenir compte de considérations liées à la qualité des infrastructures, à l'intérêt des expériences conduites sur place ou encore à la proximité géographique, indispensable au maintien des liens familiaux. Aussi, depuis novembre 2010, une concertation plus approfondie avec les personnels de l'administration pénitentiaire et les élus locaux a-t-elle conduit à ramener à 36 le nombre de sites désarmés. Je note d'ailleurs avec satisfaction que les établissements sur lesquels j'avais attiré l'attention ont été maintenus.

Je souhaiterais évoquer les droits des personnes détenues. La mise en oeuvre réglementaire de la loi pénitentiaire est désormais en bonne voie. Il reste des progrès à accomplir notamment en matière de fouilles. Je note que les articles R. 57-7-79 à R. 57-7-82 du code de procédure pénale issus du décret du 23 décembre 2010, paraissent interpréter a minima les prescriptions de la loi pénitentiaire. Je regrette également que le projet de budget pour 2012 ne prévoit pas de financement pour permettre l'expérimentation de matériels de détection électronique qui éviterait le recours à des pratiques ressenties de manière humiliantes pour les personnes détenues. Deux décrets importants restent attendus : celui relatif aux règlements intérieurs types et celui concernant l'évaluation du taux de récidive par établissement pour peines par un observatoire indépendant.

L'amélioration des conditions de détention doit beaucoup au contrôle juridictionnel exercé par les juridictions administratives ou, au niveau européen, par la Cour européenne des droits de l'Homme. La mise en cause de la responsabilité de l'Etat à raison des conditions de détention a connu une forte augmentation depuis l'année 2008. Les condamnations prononcées par les juridictions administratives ont représenté en 2010 un montant de 143.950 euros contre une somme totale de 47.000 euros sur la période 2007-2009.

Je tiens à rendre hommage à l'action du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, qui nous a indiqué, lors de nos échanges, que ses avis étaient davantage suivis au niveau local que sur le plan national.

Je voudrais rappeler l'importance du travail et de la formation pour favoriser la réinsertion des personnes détenues. Au regard des objectifs fixés par la loi pénitentiaire, le bilan de l'année 2010 apparaît plus favorable : la masse salariale enregistre une hausse de 9 % pour les activités de production (contre une diminution de 13 % en 2009), le nombre d'emplois en production ayant progressé de 726 emplois par rapport à 2009. La situation de l'emploi dans les établissements d'outre-mer demeure néanmoins très préoccupante.

Au titre des actions en faveur du retour à l'emploi, il faut citer le développement d'une application informatique qui permettra l'inscription des personnes détenues suivies par Pôle emploi à compter d'octobre 2011. Cette avancée devrait faciliter la préparation des projets de sortie et d'aménagement de peine. Jusqu'à présent, en effet, seules les personnes sorties de prison pouvaient s'inscrire sur la liste des demandeurs d'emploi. Les conseillers Pôle emploi pourront ainsi proposer aux personnes détenues souhaitant anticiper leur réinsertion professionnelle, l'ensemble des services de Pôle emploi et, en particulier, des prestations d'aide à la confirmation du projet (évaluation de compétences et capacités professionnelles, évaluation en milieu du travail, bilan de compétences ...). Ils pourront également les orienter vers des dispositifs de formation professionnelle.

Je conclurai sur les moyens des services pénitentiaires d'insertion et de probation. Certes, les effectifs du SPIP ont beaucoup augmenté dans la période récente passant de 1.175 à 3.198 personnels d'insertion et de probation entre 1997 et 2010. Au 1er janvier 2011, 2.716 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation suivaient 239.996 personnes placées sous main de justice, soit un ratio de 88,4 dossiers par CPIP. Cet effort suffira-t-il à combler les vacances constatées dans de nombreux SPIP ? A Dunkerque, par exemple, sur 17 emplois théoriques, 10 seulement sont effectivement pourvus. Surtout, il ne paraît pas à la mesure des objectifs fixés par la loi pénitentiaire en matière d'aménagement des peines. Selon l'étude d'impact accompagnant ce texte, l'accroissement du nombre de personnes prises en charge et l'exigence d'un suivi plus attentif des dossiers -soit un ratio de 60 dossiers par conseiller d'insertion et de probation- nécessiterait « la création de 1.000 postes de CIP pour un coût salarial total de 32.844.000 euros ». A cette aune, les créations successives d'ETPT au titre des « métiers de greffe, de l'insertion et de l'éducatif » (148 dans la loi de finances pour 2010, 114 dans la loi de finances pour 2011, 41 seulement dans le projet de loi de finances pour 2012) demeurent très modestes.

M. Henri Masse, directeur de l'administration pénitentiaire, m'a indiqué que la réflexion portait sur la mise en place d'un volant de 88 conseillers d'insertion et de probation « placés » afin de répondre, selon les besoins, aux demandes des directions interrégionales. Il a également évoqué le recours à la réserve civile pénitentiaire dont le budget a été triplé en 2011.

Si je ne conteste pas la nécessité de renforcer l'efficacité de l'organisation des SPIP, j'estime néanmoins que la lutte contre la récidive et l'objectif de réinsertion impliquent un rééquilibrage indispensable des recrutements en faveur des conseillers d'insertion et de probation.

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