Je voudrais d'abord féliciter les intervenants pour la clarté de leurs propos. L'aide au développement est un sujet complexe. Je le mesure au fur et à mesure des très nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé cette année avec mon collègue et co-rapporteur André Vantomme qui regrette de ne pas pouvoir être ici avec nous aujourd'hui. Ils ont su mettre en lumière de façon particulièrement limpide les principaux enjeux auxquels nous devons faire face.
Je suis heureux que nous ayons ce débat aujourd'hui. J'avais demandé lors de l'examen du budget que ce document cadre fasse l'objet d'un débat au Parlement. Je me félicite que le ministre des affaires étrangères ait pris cette initiative. Je crois que le Parlement français, comme les Parlements espagnol ou anglais, doit se saisir de ces questions. Je crois, avec M. Vielajus, qu'il faut rêver et que ce type de document pourrait, à terme, faire l'objet d'une adoption par le Parlement au même titre que d'autres lois d'orientation.
Je me félicite que, pour la première fois, un document définisse les objectifs et les instruments de notre politique de coopération à l'issue d'une analyse stratégique des enjeux actuels. Je suis d'accord avec les intervenants. Le contexte a changé et le document a le mérite de bien identifier les enjeux nouveaux et notamment ceux liés à la préservation des biens publics mondiaux. Je crois également que l'instauration de mécanismes de solidarité internationale au profit des populations les plus pauvres, à l'instar de ce qui a été fait à travers les objectifs du millénaire pour le développement, sont au coeur de notre politique en faveur du développement. Je pense aussi qu'il nous faudra aider les pays émergents à orienter leur modèle de croissance dans le sens d'une plus grande préservation de l'environnement. On l'a vu lors de la conférence de Copenhague : sans un effort de notre part, ces pays ont beau jeu de nous dire que les préoccupations environnementales sont secondaires par rapport à l'objectif de rattrapage économique.
La préoccupation de la représentation nationale en matière d'aide au développement, comme dans d'autres domaines, est la bonne utilisation des deniers publics. De ce point de vue, on peut regretter que le document cadre ne contienne ni évaluation des politiques passées, ni chiffrage des actions à venir. Si on peut comprendre qu'il est difficile, dans le contexte actuel, d'établir une stratégie budgétaire pour les dix années à venir, il aurait été sans doute souhaitable que ce document donne des indications en termes de pourcentages, en fonction des priorités. Sans aucune donnée chiffrée, il prend le risque de n'être qu'un document d'intention.
Au-delà des 14 pays prioritaires, des «partenariats différenciés» cités dans le document, la politique de coopération française ne semble s'interdire aucune géographie : nous allons en Tanzanie, au Mali, mais aussi en Argentine, en Indonésie ou en Chine. La politique française de coopération ne s'interdit aucun instrument : aide technique, prêt, garantie, don, aide projet, aide budgétaire. La politique française ne s'interdit aucun objectif : la lutte contre la pauvreté bien sûr, le rattrapage économique des pays les plus pauvres évidemment, mais aussi la biodiversité, la lutte contre le réchauffement climatique, autant d'objectifs louables. J'observe cependant qu'à l'inverse, les Anglais, par exemple, concentrent leur aide bilatérale sur les dons laissant aux banques multilatérales le soin de faire des prêts, que les Allemands mettent un plafonnement aux crédits consacrés aux financements multilatéraux, que les Pays-Bas ont considérablement concentré leur coopération sur quelques pays. Je me demande si, dans le contexte actuel, nous sommes capables de poursuivre tous ces objectifs et si on ne gagnerait pas à définir une stratégie plus réaliste qui prenne en compte la réalité budgétaire et fasse preuve d'une plus grande sélectivité.
Je veux également évoquer le lancinant problème du bon équilibre entre aide bilatérale et aide multilatérale. Je rejoins l'appréciation des intervenants selon laquelle il conviendrait de redresser notre aide bilatérale. Je constate, sur le terrain, dans le cadre de la coopération décentralisée, combien cette aide qui venait souvent compléter le financement de petits projets a diminué. Je souhaite que les marges de manoeuvre dont la France pourrait bénéficier, grâce à la diminution de sa contribution au FED, soient affectées à l'aide bilatérale. Je me demande s'il ne serait pas souhaitable également qu'une plus grande partie de l'aide multilatérale soit utilisée par des opérateurs nationaux, et notamment français. Nous avons une expérience et une expertise qui nous permettraient d'utiliser ces fonds de façon efficace. Le recours à des opérateurs nationaux aurait pu favoriser, par exemple, l'accélération des décaissements du fonds Sida, qui ont longtemps été très lents du fait de l'absence d'opérateurs sur le terrain. Je m'interroge également sur les moyens dont nous disposons en France pour évaluer l'efficacité de la politique d'aide au développement. Il est essentiel de pouvoir mesurer les résultats des différents instruments mis en oeuvre et d'en tirer des leçons pour l'avenir. La conférence de Paris sur l'efficacité de l'aide décrit un catalogue de procédures administratives et de bonnes pratiques, mais elle ne garantit pas véritablement l'efficacité de notre coopération. Je vous pose donc la question : sommes-nous capables en France de mesurer l'efficacité de notre politique d'aide au développement ?
Je crois aussi qu'il faut assurer une plus grande cohérence entre nos politiques de coopération et les autres politiques nationales et communautaires, qui ont un impact fort sur le développement des pays du Sud. Pour traduire cela de manière plus concrète, on nous demande d'assurer une plus grande cohérence entre le fait de soutenir le secteur cotonnier au Mali et de maintenir les subventions à la production cotonnière de la Grèce ou de l'Espagne. Le document cadre dit que la France met en oeuvre un dispositif institutionnel pour la mise en oeuvre et le suivi de la cohérence de ces politiques nationales et européennes avec les objectifs de développement. Ce dispositif existe-t-il aujourd'hui ? La France assure-t-elle réellement une cohérence de ces politiques ? Je me demande si nous devons nous inscrire dans une perspective où il y aura toujours une aide au développement ou si on ne peut pas imaginer un scénario où, grâce à des accords commerciaux plus favorables, dans le cadre notamment de la conférence de Doha, ces pays puissent s'en sortir eux-mêmes grâce à un développement endogène.
Je regrette enfin que la formation professionnelle ne soit pas mise au coeur de la politique de l'aide au développement car elle a un rôle essentiel dans la création du tissu économique de ces pays.
Je souhaite enfin que le rôle de la coopération décentralisée soit bien identifié dans ce document cadre car elle joue un rôle important dans le financement de microprojets mais aussi dans l'association de la population française aux objectifs du développement.