Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 février 2010 : 1ère réunion
Loi de finances rectificative pour 2010 — Examen du rapport

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

A l'aide d'une vidéo-projection, M. Philippe Marini, rapporteur général, a tout d'abord évoqué les grands équilibres du projet de loi de finances rectificative.

Il a relevé que le Gouvernement évalue la croissance du produit intérieur brut (PIB) en 2009 à - 2,25 %, en ligne avec le consensus des conjoncturistes, et 3,5 points en dessous de la prévision associée au projet de loi de finances pour 2009, qui s'élevait à + 1,25 %. Il s'agit d'un écart « historique ». La croissance fortement négative de 2009 est également exceptionnelle, en moyenne annuelle. Cependant, en termes d'évolution trimestrielle du PIB, le creux du dernier trimestre de 1974, soit - 1,8 %, n'a pas été atteint. Par ailleurs, la récession a été moins forte que ce que prévoyait le consensus des conjoncturistes de juin à août 2009 (- 3 %).

a ensuite indiqué que la prévision de croissance du PIB pour 2010 associée au présent projet de loi de finances rectificative, de + 1,4 %, égale au consensus des conjoncturistes de janvier 2010, représente près du double de la prévision associée au projet de loi de finances initiale (+ 0,75 %).

Il a observé que la nouvelle hypothèse retenue implique une croissance de + 0,3 % chaque trimestre. Elle reste, bien entendu, soumise à des aléas relatifs, notamment, à l'évolution de la demande privée, à la croissance asiatique, ainsi qu'à l'évolution du prix du pétrole ou des taux de change.

S'agissant du solde budgétaire, M. Philippe Marini, rapporteur général, a déclaré que le déficit prévisionnel pour 2010 s'établit à 149 milliards d'euros, en augmentation de 27 % par rapport au déficit voté en loi de finances initiale. Cet écart de + 31,6 milliards d'euros s'explique :

- par des dépenses supplémentaires du budget général ouvertes par le présent projet de loi de finances rectificative, à hauteur de 33,9 milliards d'euros ;

- par la dégradation du solde des comptes spéciaux du Trésor en raison du financement des investissements d'avenir, pour un milliard d'euros ;

- en sens inverse, par une revalorisation des recettes de 3,3 milliards d'euros.

Puis M. Philippe Marini, rapporteur général, a souligné la nécessité de distinguer l'approche budgétaire, nécessairement annuelle, de l'approche économique du financement du déficit supplémentaire issu des dispositions du présent projet de loi de finances rectificative.

D'un point de vue budgétaire, le besoin de financement est « contenu » à 22,9 milliards d'euros en raison de la réduction du montant des amortissements, du fait de rachats de dettes fin 2009, et de la revalorisation des prévisions de recettes fiscales. Pour couvrir ce besoin de financement, l'Etat, profitant de la ressource de trésorerie procurée par les 30 milliards d'euros des dépôts des opérateurs, n'aura pas recours aux emprunts à court terme. En revanche, les émissions à moyen et long termes augmenteront de 13 milliards d'euros. Le solde proviendra d'un prélèvement de 9,5 milliards d'euros sur le compte de l'Etat au Trésor, issu des 13 milliards d'euros remboursés à l'Etat par les banques.

D'un point de vue économique, le projet de loi de finances rectificative tend à consolider dans la dette de l'Etat les sommes remboursées par les banques, alors qu'il aurait été envisageable de les affecter au désendettement.

a ensuite évoqué le programme de stabilité 2010-2013 que le Gouvernement a adressé le 1er février 2010 à la Commission européenne. Ce document a évolué sur plusieurs points par rapport à la programmation pluriannuelle, plus sommaire, annexée au projet de loi de finances pour 2010 en application de l'article 50 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). En effet, depuis lors, le Gouvernement a fait sien l'objectif européen fixant la fin du déficit excessif en 2013. Les principales différences entre les deux documents concernent les dépenses, qui augmenteraient de seulement 0,6 % en volume (au lieu de 1 %) sur la période 2011-2013 et les réductions de niches fiscales et sociales, qui s'élèveraient à 2 milliards d'euros par an. L'atteinte de cet objectif suppose donc un effort conséquent en matière de maîtrise des dépenses publiques, qui n'a jamais été tenu par le passé, et repose sur une hypothèse optimiste de croissance du PIB sur la période (+ 2,5 %).

Relevant, en outre, qu'un groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus, ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI), doit rendre ses conclusions en avril 2010, au sujet de la mise en place d'une « règle d'équilibre », M. Philippe Marini, rapporteur général, a souligné qu'une telle règle devrait satisfaire à plusieurs critères. En particulier, il devrait s'agir d'une règle simple et non manipulable, et son instauration devrait s'accompagner de moyens de pilotage dans l'année afin d'assurer son respect lors de chaque exercice. Dans cette optique, la loi de finances de l'année et la loi de financement de la sécurité sociale devraient déterminer des mesures à prendre automatiquement en cas de dérapage des dépenses en cours d'année. Si nécessaire, des mesures correctrices devraient être adoptées dans le cadre de la loi de finances ou de la loi de financement de la sécurité sociale de l'année suivante. Il reviendrait alors au Conseil constitutionnel de veiller au respect des principes retenus.

S'agissant de l'emprunt national, M. Philippe Marini, rapporteur général, a indiqué que 35 milliards d'euros seront versés en 2010 par l'Etat à divers opérateurs, dont 17,6 milliards d'euros à l'Agence nationale de la recherche (ANR). Ces opérateurs devront déposer leurs fonds non utilisés au Trésor. La dette nette de l'Etat ne sera donc accrue que du montant des dépenses effectives des opérateurs, de l'ordre de 5 milliards d'euros en 2010 et de 20 milliards d'euros à moyen terme. Les intérêts à verser aux opérateurs et les charges supplémentaires liées à l'emprunt national seront compensés par des économies à due concurrence sur les dépenses de fonctionnement de l'Etat, d'un montant de 0,5 milliard d'euros en 2010 et de 1,2 milliard d'euros en 2011.

En termes de gouvernance de l'emprunt, il a déclaré que des structures spécifiques seront chargées d'assurer la mise en oeuvre et le suivi des investissements d'avenir. Ainsi, un commissaire général à l'investissement doit coordonner l'instruction des projets d'investissement, formuler des avis et propositions et veiller à l'évaluation, a priori et a posteriori, desdits investissements, notamment de leur rentabilité. M. René Ricol a été nommé à ce poste par décret. D'autre part, un comité de surveillance des investissements d'avenir, présidé par MM. Alain Juppé et Michel Rocard, aura pour mission d'établir un rapport annuel faisant apparaître l'exécution du programme d'investissements et les résultats de leur évaluation. Enfin, des conventions entre l'Etat et les opérateurs préciseront les modalités d'octroi des investissements d'avenir. A cet égard, la publication, antérieurement à l'examen par le Parlement du présent projet de loi de finances rectificative, du décret n° 2010-80 du 22 janvier 2010 relatif au commissaire général à l'investissement, ne saurait lier le législateur.

a ensuite souligné que ces investissements pourront prendre plusieurs formes :

- des dotations consomptibles destinées à financer des subventions, pour environ 9 milliards d'euros ;

- des dotations consomptibles destinées à financer des prises de participation, des prêts et des avances remboursables pour environ 10 milliards d'euros ;

- des dotations non consomptibles, déposées au Trésor et rémunérées à un taux qui devrait être de l'ordre de 4 %, pour environ 16 milliards d'euros.

Ce dernier mode de financement soulève, d'une part, la question de l'éventualité d'une réduction des moyens budgétaires alloués aux structures (par exemple les universités) bénéficiant des dotations non consomptibles, ce qui annihilerait l'effet d'entraînement des investissements d'avenir et, d'autre part, la question du devenir desdites dotations une fois financés ces investissements.

a observé que les dépenses totales de recherche et développement (R&D) de la France sont de l'ordre de 2 points de PIB, soit 40 milliards d'euros, ce qui place l'effort national assez loin de pays comme le Japon, la Suède ou la Finlande. Pour l'enseignement supérieur, les dépenses de la France s'élèvent à environ 1,3 point de PIB, soit 25 milliards d'euros, alors que celles des pays scandinaves sont de 2 points de PIB et celles des pays anglo-saxons de près de 3 points de PIB. Les investissements d'avenir, d'environ 4 milliards d'euros par an pendant cinq ans puis de l'ordre de 0,6 milliard d'euros par an les cinq années suivantes, ne suffiront pas à combler un tel écart.

En outre, il s'est interrogé sur l'hypothèse du Gouvernement selon laquelle les dépenses financées par l'emprunt national augmenteront la croissance de près de + 0,3 % de PIB par an sur la décennie. A cet égard, il a relevé que, selon les estimations disponibles, un montant de 10 milliards d'euros de dépenses d'enseignement supérieur ou de dépenses publiques en faveur de la R&D supplémentaires par an est censé augmenter la croissance potentielle d'environ 0,2 point sur une période de dix ans. Selon ce calcul, l'impact des dépenses en jeu, de l'ordre de 2,5 milliards d'euros en moyenne par an pendant dix ans, devrait plutôt s'élever à 0,05 point de croissance chaque année sur la décennie. Une dépense fiscale comme le crédit d'impôt recherche (CIR), de l'ordre de 4 milliards d'euros, apparaît donc comme un instrument d'une plus grande portée.

Puis M. Philippe Marini, rapporteur général, a relevé que certaines dépenses auront un impact incertain sur la croissance potentielle de la France, par exemple celles concernant les internats d'excellence, le transport et l'urbanisme durables, la rénovation thermique des logements ou l'équipement des zones rurales en très haut débit. Ces dépenses, de l'ordre de 4 milliards d'euros, représentent quelque 11 % du total des investissements d'avenir et 27 % des crédits consomptibles inscrits à ce titre.

Sans remettre en question l'utilité de ces actions, il a émis des doutes quant à l'opportunité de les financer au moyen de l'emprunt national. A l'inverse, il a plaidé pour que les projets qui s'autofinancent soient privilégiés, pour que les « retours » financiers soient clairement identifiés par les documents budgétaires, et pour qu'ils soient affectés au désendettement de l'Etat.

Enfin, M. Philippe Marini, rapporteur général, a expliqué que les amendements qu'il proposera à la commission poursuivent deux objectifs :

- d'une part, garantir les intérêts budgétaires et patrimoniaux de l'Etat, en posant la question du « dénouement » de l'opération, notamment en fixant le principe de la durée limitée des dotations non consomptibles, et en orientant le processus de décision vers le financement de projets rentables ;

- d'autre part, compenser les effets de la débudgétisation sur le contrôle démocratique, et notamment le contrôle parlementaire, en mettant en place des procédures transposant « l'esprit de la LOLF » à la mise en oeuvre de l'emprunt national.

Un débat s'est alors instauré.

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