A l'heure où le débat sur la réforme des retraites met en lumière les inégalités professionnelles et salariales persistantes entre les hommes et les femmes dans l'entreprise, la place des femmes dans les instances de direction et d'organisation des entreprises prend une importance particulière. Notre délégation s'intéresse depuis longtemps à cette question et s'était rendue en Norvège en mai 2009 et en Espagne sur ce sujet. J'ai moi-même accompagné Mme la ministre de la famille en Suède, en octobre dernier, pour une mission d'étude de la politique conduite par ces pays précurseurs en matière d'égalité professionnelle. Nous avons rencontré les deux ministres suédois concernés. J'ai participé le 16 septembre dernier à une conférence à Washington, organisée par le centre des relations transatlantiques et consacrée aux inégalités de genre dans les conseils d'administration. Le Medef aussi a organisé récemment une conférence en Ile-de-France, à laquelle j'ai participé.
Ces travaux ont préparé la délégation à l'examen de deux propositions de loi. La première, relative aux règles de cumul et d'incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance, a été déposée au Sénat le 16 février par le groupe socialiste et cosignée notamment par la présidente de notre délégation. La seconde, présentée par Mme Marie-Jo Zimmermann et adoptée à l'Assemblée nationale le 20 janvier dernier, vise à favoriser l'entrée des femmes dans les conseils d'administration et de surveillance des entreprises du secteur privé et public, afin qu'elles représentent 40 % des membres de ces conseils dans six ans.
Les femmes sont aujourd'hui bloquées dans leur accession aux postes à responsabilités dans l'entreprise. Le rapport de Mme Brigitte Grésy indique que les femmes représentent en France, en 2009, 41,2 % des cadres administratifs et commerciaux des entreprises, 18,2 % des ingénieurs et cadres techniques, et seulement 10 % des membres des conseils d'administration.
Les renouvellements en juin dernier des conseils d'administration des entreprises du CAC 40 marquent déjà un progrès. Avec 91 administratrices de plus, le nombre des femmes dans les conseils d'administration de ces entreprises a presque doublé. Mais dans les autres entreprises, c'est la stagnation. Le 13 septembre dernier au Sénat, à l'initiative de notre délégation, une table ronde a réuni des femmes chefs d'entreprises, des experts et des représentants des institutions et des réseaux qui s'intéressent aux problématiques de genre. Le constat est sans appel. Même après la récente amélioration dans les entreprises du CAC 40, la France reste parmi les mauvais élèves de l'Europe ; en Norvège, 44,2 % des administrateurs de sociétés sont des femmes et la Suède compte 26,9 % de femmes dans ses conseils d'administration.
La situation dans le secteur public n'est pas meilleure. Dans les sociétés détenues en partie par l'État, les femmes représentent 15,16 % des administrateurs nommés par l'État. Mais, cela me choque, on ne compte aucune femme parmi les dix personnalités nommées par le Parlement dans cinq entreprises publiques dont la RATP et Radio France. L'examen de la composition des conseils d'administration des établissements publics de l'État révèle également de malheureuses surprises ; et le renouvellement exclusivement masculin du conseil d'administration de l'établissement public du Plateau de Saclay le 24 septembre dernier illustre la situation de façon flagrante. L'État devrait être exemplaire ! Les deux propositions de loi visent à imposer 40 % de femmes dans les conseils d'administration des entreprises et des établissements publics à caractère administratif (EPA), ce seuil devant être atteint en 2016, avec un pallier de 20 % d'ici 3 ans. Cet objectif est ambitieux, mais il est réaliste : il implique de recruter entre 600 et 1.000 femmes en six ans. Tous nos interlocuteurs l'affirment, un « vivier » de femmes aux compétences et à l'expérience requises existe. Lors des récents renouvellements des conseils d'administration des entreprises du CAC40, près de 50 femmes ont intégré les instances directionnelles des entreprises cotées : c'est une preuve !
L'immense gâchis de talents que représente la faible place des femmes dans les conseils justifie une intervention du législateur. Sur les quatre points clés des propositions de loi - le périmètre d'application de l'objectif de 40 %, les sanctions, le cumul des mandats et les modalités d'évaluation de la loi, je vais vous soumettre des adaptations. Nous entendons fixer aux entreprises un objectif ambitieux, mais j'espère que les dispositions obligatoires seront inutiles et que la féminisation des instances de direction s'imposera d'elle-même à l'issue de la période transitoire.
Toutes les sociétés commerciales d'une certaine taille devraient être en mesure de respecter l'objectif de 40 %. Le dispositif actuel vise les sociétés cotées et celles atteignant un certain niveau de chiffre d'affaires. La référence au chiffre d'affaires, par nature fluctuant, n'est pas opportune, elle introduit un aléa inutile. Mieux vaut viser toutes les sociétés cotées et les entreprises de plus de 500 salariés, sans considération de seuil de chiffre d'affaires ; le secteur mutualiste doit être concerné aussi. Ces modifications rejoignent les suggestions formulées par plusieurs intervenants lors de la table-ronde.
En matière de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances de direction, l'État doit être exemplaire. Je vous propose un calendrier plus strict - trois ans au lieu de six - pour les établissements publics administratifs, entreprises publiques et sociétés nationales. Je ne sous-estime pas les difficultés pratiques, du fait de l'hétérogénéité des statuts des établissements. Cependant, l'observatoire de la parité entre les femmes et les hommes a, dans une note récente, proposé une liste des établissements publics administratifs de l'État susceptibles d'être mis en conformité avec la loi. Je vous proposerai d'annexer cette liste, afin d'accélérer la mise en oeuvre de la mesure. L'État pourrait également nommer désormais à parité hommes et femmes dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises du périmètre de l'Agence des participations de l'État. Les femmes n'y représentent à l'heure actuelle que 15 % des membres.
Les sanctions doivent être proportionnées aux objectifs mais suffisamment fortes pour être dissuasives. Je vous proposerai de prévoir l'annulation des nominations contraires aux objectifs de la loi - mais non de remettre en cause les délibérations prises par des conseils mal constitués.
Sur le non cumul des mandats, nous pourrions nous rallier aux dispositions de la proposition de loi sénatoriale : pas plus de trois mandats simultanés d'administrateur, de membre du conseil de surveillance ou de membre du directoire. Tous les experts, y compris ceux hostiles à nos propositions, reconnaissent qu'au-delà de trois, on ne peut exercer sa tâche sérieusement, d'autant que l'on a généralement une activité professionnelle à temps plein. Si on veut favoriser l'accession des femmes aux conseils d'administration, encore faut-il leur laisser des places !
Le dispositif ne sera efficace que s'il est évalué. Les exemples étrangers l'ont prouvé : l'existence même d'une autorité de contrôle encourage les entreprises à se mettre en conformité avec la loi. Aussi, je vous propose de prévoir l'institution d'une autorité centrale, rattachée au ministère de l'économie et des finances plutôt que, comme il est de tradition, au ministère de la justice.
Enfin, un rapport tous les trois ans du Gouvernement au Parlement nous permettra de suivre l'évolution de la situation. L'objectif de 40 % des femmes dans les instances de direction des entreprises n'est pas un but en soi : la présence accrue des femmes dans les instances stratégiques doit avoir un effet d'entraînement sur la situation des femmes dans l'ensemble de l'organisation et sur les conditions de travail de l'entreprise. Enjeu de justice sociale, la mixité des conseils doit aussi permettre d'améliorer la croissance des entreprises. Je suis convaincue qu'elle aura un effet positif tant au niveau social qu'économique.