Intervention de Philippe Cléry-Melin

Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé — Réunion du 30 mai 2007 : 1ère réunion
Etude sur la prise en charge psychiatrique — Présentation des propositions du conseil des experts coordination : m. philippe cléry-melin

Philippe Cléry-Melin, membre du conseil d'experts :

L'office a enfin entendu M. Philippe Cléry-Melin, membre du conseil d'experts, sur la prise en charge psychiatrique. Il a indiqué que ce thème constitue l'un des problèmes majeurs de notre société, qui a pris récemment conscience de l'ampleur des besoins et des difficultés du secteur psychiatrique, comme le montre le plan « psychiatrie et santé mentale 2005-2008 ». Or, la prise en charge psychiatrique est un sujet complexe et sa compréhension se heurte à l'hétérogénéité des points de vue des professionnels.

Le champ de la santé mentale est immense : les études épidémiologiques ont évalué la prévalence des troubles mentaux entre 15 % et 20 % sur un an dans l'ensemble de la population (enfants, adolescents, adultes et personnes âgées). Si un certain nombre de ces troubles demeurent ponctuels, la plupart sont récurrents et nécessitent parfois une aide de longue durée dans un cadre protégé.

La prise en charge psychiatrique s'impose aujourd'hui comme une démarche horizontale, infiltrant de nombreuses pratiques de soins. Outre la psychiatrie biologique, on constate l'essor d'une science recherchant règles et principes psychodynamiques pour mieux comprendre les mécanismes psychologiques agissant sur les plans individuel, psychosocial et socioculturel dans une société en évolution.

La France porte un grand intérêt à la santé mentale, notamment dans le domaine des droits de l'homme. On lui doit des découvertes psychopharmacologiques et, aujourd'hui, des contributions novatrices au développement des sciences psychanalytiques.

Ces avancées sont primordiales car on évalue à dix millions le nombre de personnes concernées en France par un trouble psychiatrique, et notamment à 1 % de la population totale des personnes atteintes de schizophrénie, 1,5 % celles atteintes de troubles maniaco-dépressifs, 4 % de dépression, 6 % de troubles névrotiques et anxieux, 2 % de troubles graves de la personnalité, 2 % de troubles psycho-organiques, ainsi que 6 % de troubles liés aux addictions (alcoolisme et toxicomanie) seules ou associées à d'autres troubles mentaux. Les enfants et les adolescents ne sont pas épargnés : un enfant sur huit souffre d'un trouble psychiatrique qui peut être sévère (autisme, psychose) ou potentiellement handicapant pour sa future insertion scolaire et sociale (hyperactivité, troubles du comportement, dépression, troubles obsessionnels compulsifs, anxiété, troubles du comportement alimentaire).

Ces troubles psychiatriques sont associés à une très forte mortalité. Ils sont responsables de la quasi-totalité des 11 500 décès annuels par suicide, auxquels il convient d'ajouter une part difficilement quantifiable de la mortalité non suicidaire (accidentelle ou associée à la consommation d'alcool, de tabac, de drogue) et de la mortalité cardio-vasculaire en raison de la comorbidité importante de ces troubles avec les troubles anxio-dépressifs.

Pour répondre à ces besoins, l'offre de soins en psychiatrie s'est développée et représente désormais 10 % à 15 % des dépenses de santé, 20 % des lits d'hospitalisation spécialisée - sans compter la part importante de patients hospitalisés pour des problèmes psychiatriques dans des lits non spécialisés -, ainsi que plus des trois quarts des places en hôpital de jour ; on compte 13 000 psychiatres en France, ce qui place notre pays au deuxième rang mondial en termes de densité médicale pour cette spécialité. Toutefois, les moyens humains et les structures de soins restent géographiquement très inégalitaires et certains lieux d'hospitalisation sont distants des lieux de vie ou n'offrent pas de possibilités de prise en charge somatique associée.

a indiqué qu'aux pathologies relevant spécifiquement de la psychiatrie, s'ajoute le domaine plus vaste de la souffrance psychique. Le champ de la santé mentale recouvre divers domaines d'intervention au-delà du seul domaine de la santé : éducation, famille, emploi, culture, ville, justice, police, etc. La sollicitation du dispositif de soins est donc forte, dans le cadre d'une prise en charge directe des patients ou en appui des professionnels de l'éducation nationale, de la protection judiciaire de la jeunesse, de l'administration pénitentiaire ou des travailleurs sociaux auprès de publics en situation de précarité.

La demande de prise en charge par le système de soins s'est considérablement modifiée ces dernières années. En effet, la perte du lien social et la crise économique ont fait émerger des problèmes à l'interface du champ psychiatrique et du champ social, avec un recours inadapté aux services d'urgences, au détriment d'un repérage précoce des difficultés et de leur prise en charge adéquate.

L'absence de structures médico-sociales ou sociales adaptées à ces situations affecte l'efficacité du dispositif de soins hospitaliers. Par ailleurs, on estime qu'un tiers des personnes qui consultent en médecine générale présente un trouble psychiatrique (anxiété, dépression, addiction). Cette offre de soins de première ligne est indispensable, mais elle ne dispose pas des moyens de faire face à la demande. La prévention est en outre insuffisamment développée. Enfin, on manque d'instruments de connaissance et de pilotage, tant pour l'évaluation des pratiques professionnelles que pour les aspects médico-économiques et épidémiologiques.

Il en résulte un état peu satisfaisant de la santé mentale des Français : sur onze pays européens, la France est au neuvième rang pour le niveau de santé mentale positive, au troisième rang pour le taux de détresse psychologique élevé et au premier rang pour la fréquence des troubles dépressifs et anxieux, notamment pour les jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans, ce que confirme un taux élevé de prescription et de consommation de psychotropes, tant pour les anxiolytiques que pour les antidépresseurs. Les affections psychiatriques représentent la quatrième cause de classement en affection de longue durée (ALD) avec 900 000 patients concernés en 2004, sur un total de 6,56 millions, et même la première pour les personnes de quinze ans à quarante-quatre ans (33,9 % des ALD chez les hommes et 29,9 % chez les femmes).

a fait valoir que ce constat explique la forte sollicitation du système de soins psychiatriques. En 2005, on a enregistré 620 000 entrées et plus de 18 millions de journées d'hospitalisation. Ceci concernait 1,3 million de patients en 2003, soit une progression de 61,7 % depuis 1991, dont 464 000 enfants, en hausse de 82,2 % sur la même période.

Or, le nombre de psychiatres devrait baisser de 36 % entre 2002 et 2025 et l'accès aux structures de soins reste inégal malgré une organisation territoriale en secteurs destinée à assurer une couverture optimale des besoins. Dans certaines zones, on observe également un nombre croissant de professionnels exerçant en secteur libéral. Ces inégalités ont été aggravées par une réduction parfois trop rapide des capacités d'hospitalisation et une allocation insuffisante de moyens pour des prises en charge alternatives et innovantes.

S'ajoute à ces lacunes une formation insuffisante des infirmiers et des médecins généralistes. De fait, ces derniers adressent trop peu fréquemment leurs patients à des psychiatres ou à des psychologues. En outre, la population connaît mal les structures existantes, notamment les centres médico-psychologiques (CMP), qui devraient pourtant constituer la porte d'entrée naturelle dans le dispositif de soins.

Il apparaît donc que le système de prise en charge est en réalité sollicité de façon inappropriée en raison de la psychiatrisation des problèmes de société, liée à la confusion entre santé mentale positive et troubles psychiatriques mais aussi à cause de la prise en charge indue en réinsertion/réadaptation de patients relevant du secteur médico-social, faute d'alternatives adéquates : 15 000 personnes seraient hospitalisées en psychiatrie de manière inadaptée.

L'utilisation détournée du système de prise en charge psychiatrique n'est pas exempte de coût pour la collectivité. En 2002, la part des dépenses de santé (hors prévention) imputable à la catégorie « diagnostic des troubles mentaux » atteint 10,6 % (11,4 milliards d'euros sur un total de 107,6 milliards), derrière les maladies de l'appareil circulatoire (12,6 %) et devant les maladies du système ostéo-articulaire (9 %). Pour les seules dépenses hospitalières, 15,9 % sont rattachés aux troubles mentaux, qui en constituent le premier poste.

a estimé qu'une réforme plus profonde du système de prise en charge demeurerait nécessaire, bien qu'on puisse espérer que l'évolution des normes et la valorisation de l'activité en psychiatrie permettent prochainement de limiter le coût du dispositif psychiatrique.

La notion de continuité des soins doit ainsi privilégier les critères fonctionnels au détriment des critères géographiques, qui méritent toutefois d'être conservés afin qu'aucun patient ne soit exclu des soins adaptés.

La politique de secteur a eu une forte influence sur certains services, conduisant à une diminution importante des capacités d'hospitalisation à temps complet, un développement des structures légères en extrahospitalier, un éclatement des structures de prise en charge les plus proches de la population et un renforcement des liens avec les structures et les associations environnantes. Si les lieux de soins ont réussi leur sectorisation, ils demeurent très autocentrés dans leur mode de fonctionnement. La mutation doit désormais se poursuivre dans le sens d'un rapprochement de l'hospitalisation de l'ensemble des lieux de vie et de la prise en charge de l'ensemble des détresses psychologiques, comme l'ont déjà compris certains services.

Une réelle complémentarité entre les pratiques, qu'elles soient libérales, associatives ou publiques, ainsi qu'entre le médical et le médicosocial, doit également être mise en oeuvre. À cet égard, la psychiatrie publique ne demeurera pleinement crédible, selon lui, que si elle parvient à mettre en place une articulation forte avec les autres intervenants pour promouvoir une approche globale, une offre intégrée et des actions de proximité, assurer une accessibilité pour tous, rechercher la participation des personnes concernées et définir des indicateurs de qualité de vie et de bien-être.

a rappelé que la vocation de la psychiatrie reste d'abord le soin, sans négliger la prévention des effets collatéraux de la pathologie mentale et des facteurs de risques confirmés.

Ainsi, un axe d'étude pour l'Opeps pourrait être de réfléchir à l'utilisation des avancées de la science pour améliorer les pratiques. L'étude devrait alors être confiée à un petit groupe d'experts indépendants (médecins, psychologues, psychanalystes, philosophes, sociologues, économistes), qui travailleraient de manière prospective à construire un programme d'action et de recherche visant à rénover la prise en charge psychiatrique, en réévaluant les méthodologies employées par une confrontation avec les connaissances issues de la psychiatrie psychanalytique et des neurosciences cognitives. Ce groupe aurait ensuite la charge de formuler des recommandations concrètes et de tracer les pistes d'avenir de la psychiatrie.

Il a proposé que l'équipe sélectionnée s'appuie sur une double méthodologie. Il conviendrait d'abord de cerner le sujet par une série d'études et d'évaluations :

- des études descriptives en population permettant un état des lieux par une mesure de la prévalence et des caractéristiques des personnes étudiées (antécédents, facteurs économiques et sociaux, comorbidités, conduites addictives et autres conduites à risque, etc.). A défaut d'études en population générale, difficiles et coûteuses, il s'agit de réaliser des études au sein de populations et dans des lieux spécifiques (hôpitaux psychiatriques, services d'accueil des urgences ou de traumatologie, prisons, populations de sans domicile fixe, centres d'hébergement et de réinsertion sociale, etc.) ;

- des études longitudinales (études de cohorte) de la période anténatale à l'âge adulte permettant d'appréhender les conditions d'apparition des troubles, les facteurs de protection et les facteurs de vulnérabilité, l'influence des événements de la vie et des mesures éventuelles de prévention, ainsi que l'évolution, voire la transformation ou la disparition de ces troubles à l'adolescence ou à l'âge adulte. Si de telles études ne pouvaient être réalisées compte tenu de leur coût, il est recommandé de réaliser au moins des études cas-témoins - permettant de vérifier plus rapidement des hypothèses - en veillant à minimiser les biais méthodologiques ;

- une évaluation des stratégies de repérage, de prévention et de prise en charge sur un territoire donné ;

- des enquêtes permettant de recenser les différentes techniques thérapeutiques mises en oeuvre actuellement par les équipes médicales prenant en charge les personnes présentant des troubles psychiques ;

- une évaluation des prises en charge thérapeutiques, idéalement par des études randomisées, sinon par d'autres études comparatives.

a proposé, parallèlement, que soit organisée une série d'auditions publiques, sur le modèle de celles menées par la Haute autorité de santé pour élaborer ses recommandations. Cette méthode repose sur le travail d'une commission d'audition qui rédige en toute indépendance un rapport d'orientation et des recommandations à l'occasion d'un débat public sur un problème de santé controversé. Ces documents sont destinés à la fois aux décideurs, aux professionnels de santé et aux usagers.

La réalisation d'une audition publique est une méthode particulièrement adaptée pour des sujets de santé publique concernant tous les acteurs de la société pour lesquels subsistent des incertitudes scientifiques importantes et qui requièrent un débat public pour éclairer les controverses.

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