Cette audition fait suite à l'annonce, le 25 janvier, par un communiqué, que la présidence de la République envisageait de nommer M. Jean-Christophe Le Duigou et moi-même au sein du collège des commissaires de la CRE. J'ai donc l'honneur de me présenter devant vous pour l'audition prévue par l'article 28 de la loi du 10 février 2000. Je me plierai avec d'autant plus de plaisir à l'usage qui veut que l'on commence par se présenter, que vous me connaissez peut-être moins bien que les quatre autres personnes pressenties pour ce collège.
Voilà quatre années que je travaille aux côtés de Mme Christine Lagarde en qualité de conseiller économique. Au sein de son cabinet, j'ai travaillé de façon transversale sur la plupart des sujets importants pour la politique macroéconomique et la trajectoire des finances publiques - la crise économique sans précédent et le besoin d'un retour à l'équilibre des finances publiques ont alimenté une actualité chargée. Ma culture professionnelle est donc (mais pas uniquement) celle d'un collaborateur ministériel issu des administrations de l'État et des organisations internationales - j'ai travaillé plusieurs années à l'OCDE. Cette culture peut être utile à la CRE dont les nouvelles attributions ménagent une certaine place à la coordination avec les administrations d'État : certaines décisions resteront pendant quelques années encore prises par les ministres en charge de l'économie et de l'énergie sur l'avis public de la CRE ; c'est le cas de la fixation du tarif de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh). Connaître les administrations est utile pour un commissaire sans être incompatible avec la nécessaire indépendance de la CRE. Comme l'a souligné le président Philippe de Ladoucette, des échanges plus fluides avec les administrations auraient peut-être amélioré les conditions de développement de certaines filières énergétiques soutenues par les pouvoirs publics.
Mon parcours est un peu atypique dans la mesure où j'ai parallèlement mené une activité de recherche en sciences économiques : un doctorat, une quinzaine d'articles scientifiques dans les années 2000 et deux ouvrages, dont un de vulgarisation. Ce double profil me paraît utile parce que l'activité de la CRE porte sur des domaines économiques techniques aux implications directes pour la vie quotidienne des Français.
Je voudrais maintenant évoquer trois éléments structurants pour l'évolution des marchés de l'électricité et du gaz et la problématique des prix, d'une particulière acuité. Premièrement, dans un contexte mondial qui pousse les prix de l'énergie à la hausse, il est utile de renforcer la concurrence sur certains segments des marchés de l'énergie. J'en veux pour preuve l'envolée des prix du pétrole, passés de 9 dollars le baril en 1999 à 102 dollars aujourd'hui. Cela reflète une tension probablement durable entre l'offre et la demande de ce qui reste, avec 33 %, la première source d'énergie primaire utilisée en France.
Le choc macroéconomique mondial et la tendance à la hausse du prix du pétrole ont profondément influencé les marchés du gaz car les grands contrats d'importation européens sont étroitement liés au prix du pétrole. Le gaz est passé de 17 euros par MWh en 2009 à 25 euros fin 2010. Les prix payés par les consommateurs ont augmenté de façon plus contenue (+ 6 % en 2010). Mais la tendance reste à la hausse et il est trop tôt pour savoir si l'exploitation de gisements non conventionnels aux Etats-Unis aura un effet sensible et durable sur le prix du gaz en France.
La hausse du prix du pétrole a bouleversé le marché de l'électricité depuis dix ans. Le prix du marché pour l'électricité de base était de 42,8 euros par KWh au troisième trimestre 2010 (+ 14,6 % sur un an) et les contrats futures à un an à 54,4 euros par KWh. Les prix de l'électricité pour le consommateur ont augmenté de 2,4 % en moyenne.
L'écart entre le prix de gros et le coût moyen de production de l'opérateur historique étant de l'ordre de 20 euros par KWh, aucun fournisseur n'a pu se développer de manière significative, d'où une absence de concurrence soulignée par la Commission européenne. Si je rejoins les propos de Jean-Christophe Le Duigou sur la concurrence comme moyen et non comme fin, reste qu'elle constitue un pari positif et souhaitable sur le segment de la fourniture d'électricité. La loi NOME devrait conduire d'ici 2015 à mettre les producteurs alternatifs dans des conditions de coût comparables à celles d'EDF, en achetant de l'électricité au prix de production du parc nucléaire existant. Elle impose aux fournisseurs alternatifs une obligation de capacité de production et d'effacement en période de pointe. A travers un équilibre « donnant-donnant », elle partage le fardeau d'EDF qui était jusqu'ici le fournisseur d'électricité de dernier ressort.
Après l'intérêt, dans un contexte de prix hauts, de renforcer la concurrence là où cela est possible, je voudrais évoquer l'influence sur les prix de la lutte contre le réchauffement climatique et contre les émissions de gaz à effet de serre. La production d'électricité représente 40 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Or l'une des conséquences du Grenelle de l'environnement est l'application du principe pollueur payeur. Le législateur a fait du développement des énergies renouvelables un objectif prioritaire. L'objectif de 25 000 MW en 2020 pour les énergies éolienne et marine représente l'équivalent d'une quinzaine de tranches nucléaires, soit le quart du parc actuel.
Le soutien aux filières de production électrique plus respectueuses de l'environnement est susceptible de modifier les prix. Le coût associé au rachat obligatoire d'électricité produite par les services d'énergie renouvelables a contribué à relever la CSPE de 4,5 à 7,5 euros par MWh au début de l'année ; la CSPE représente 4 % du prix de détail, soit un effet tarifaire de 3 %.
Nous assisterons d'ici à 2013 au basculement vers les quotas d'émission de CO2 de phase III, qui seront vendus aux enchères. Le relèvement subséquent du prix pourra influer sur les coûts de production. La CRE développera une action de surveillance en collaboration avec l'autorité des marchés financiers (AMF).
Les prix de l'énergie devront continuer à refléter l'évolution de la rémunération et de l'amortissement des actifs de production, de transport et de distribution. C'est au coeur de la construction des tarifs règlementés de vente comme de la tarification de l'Arenh, qu'examine la commission Champsaur, avec la question de la valorisation du parc nucléaire, soit au coût historique, soit au coût courant, ce qui n'est pas neutre pour l'évolution des tarifs.
La CRE, enfin, va devoir naviguer par gros temps. La loi NOME lui confie de nombreuses attributions nouvelles. Je n'oublie pas qu'elle est là pour appliquer et non pour définir une politique - je ne confondrai pas l'un et l'autre. Je n'oublie pas non plus que l'application de la loi se fait sous le sceau de la collégialité entre les commissaires et le président ; j'y veillerai scrupuleusement. Je garderai aussi à l'esprit que l'application de la nouvelle organisation du marché de l'électricité demandera beaucoup de pédagogie. Je n'ignore ni les craintes qui lui sont associées, ni les incertitudes du contexte international.