Intervention de Philippe Paul

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 janvier 2011 : 1ère réunion
Accord france-république centrafricaine et traité france-gabon instituant un partenariat de défense — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe PaulPhilippe Paul :

Après le Togo et le Cameroun, en juillet dernier, nous examinons aujourd'hui deux nouveaux partenariats de défense entre la France et des pays africains : un traité avec le Gabon, signé le 24 février 2010 à Libreville par le Président Sarkozy et le Président gabonais Ali Bongo, et un accord avec la République centrafricaine signé à Bangui le 8 avril 2010 par M. Alain Joyandet et le ministre des affaires étrangères centrafricain.

Je voudrais tout d'abord rappeler très brièvement le cadre général dans lequel interviennent ce traité et cet accord. Il a déjà été exposé lorsque la commission avait approuvé les accords avec le Togo et le Cameroun.

Premièrement, depuis plus d'une douzaine d'années, la priorité de notre politique de sécurité en Afrique vise à aider le continent à bâtir son propre dispositif de sécurité collective, à travers l'Union africaine et les organisations sous-régionales, et à faire de l'Union européenne un partenaire majeur de l'Afrique en matière de paix et de sécurité.

Deuxièmement, ces orientations ont pour corollaire la limitation de nos engagements militaires bilatéraux et la réduction de la présence permanente de forces françaises en Afrique. Le volume de ce dispositif permanent a déjà été divisé par deux depuis 1980. Cette réorganisation va se poursuivre, comme indiqué dans le Livre blanc. A terme, le dispositif permanent reposera sur deux bases opérationnelles avancées, à Djibouti et Libreville, et deux pôles de coopération à vocation régionale, à Dakar et N'Djamena, avec un effectif qui pourrait être de l'ordre de 3 500 hommes, contre environ 6 000 aujourd'hui sur ces quatre implantations.

Enfin, la renégociation des accords de défense, annoncée par le Président de la République dans son discours du Cap, le 28 février 2008, constitue le troisième et dernier volet de cette politique. Cet acte revêt surtout une dimension symbolique. Depuis très longtemps déjà, les accords de défense signés lors des indépendances n'étaient plus en phase avec la réalité de nos relations de défense avec les pays concernés. Les clauses prévoyant l'intervention de la France en vue de maintenir l'ordre intérieur dans certains pays étaient de facto caduques. Beaucoup d'autres dispositions étaient périmées ou inadaptées à la mise en oeuvre de notre coopération. La refonte de ces textes était donc inéluctable.

Le périmètre de cette refonte couvre huit pays africains : le Cameroun, la République centrafricaine, les Comores, la Côte d'Ivoire, Djibouti, le Gabon, le Sénégal et le Togo. Bien qu'il n'existe pas de définition juridiquement établie de la notion d'accord de défense, on considère généralement qu'il se distingue principalement d'un simple accord de coopération en ce qu'il comporte une clause relative aux conditions de l'assistance que les parties se prêtent, à titre réciproque ou non, dans le cadre de l'exercice du droit de légitime défense face à une agression. Sur la base de ce critère, ce sont donc ces huit pays avec lesquels a été engagé le processus de renégociation annoncé dans le discours du Cap.

Nous avons approuvé début juillet les deux premiers accords, signés en 2009 avec le Togo et le Cameroun. Les projets de loi ont été inscrits pour une discussion en séance publique le 21 octobre dernier, mais déprogrammés du fait de la prolongation de l'examen du projet de loi sur les retraites. Ils sont donc toujours en instance devant notre assemblée.

Trois nouveaux accords ont été signés en 2010 : avec le Gabon et la République centrafricaine en début d'année et avec les Comores le 27 septembre. Les projets de loi relatifs au partenariat avec le Gabon et la République centrafricaine ont été déposés au Sénat le 10 novembre. Celui relatif aux Comores est en cours de préparation et fait l'objet d'une concertation interministérielle.

Les négociations ont été engagées et se poursuivent normalement avec le Sénégal et Djibouti. En revanche, il avait été prévu d'initier la négociation avec la Côte d'Ivoire après l'élection présidentielle. Cette démarche est bien évidemment suspendue étant donné la situation politique.

J'ajoute que la question d'un nouvel accord de partenariat de défense se pose avec un neuvième pays africain, qui n'était pas initialement concerné, à savoir le Tchad. Nous n'avons pas d'accord de défense avec ce pays, mais un simple accord de coopération technique, tout en déployant des forces dans le cadre de l'opération Epervier.

J'en viens maintenant au traité et à l'accord qui nous sont soumis. Par rapport aux deux premiers accords, avec le Togo et le Cameroun, le Gabon et la République centrafricaine présentent une spécificité. Ils accueillent sur leur sol des troupes françaises, de manière permanente pour le Gabon, dans le cadre d'une Opex pour la République centrafricaine. Les deux instruments comportent donc une annexe relative à ces forces stationnées.

Hormis cette annexe, le dispositif retenu est extrêmement proche de celui que nous avons examiné pour le Togo et le Cameroun, puisqu'il a été établi sur la base d'un modèle d'accord établi par la mission interministérielle en charge de piloter la renégociation des accords de défense.

Les deux instruments sont conclus pour une durée de 5 ans, renouvelable par tacite reconduction.

Ils vont régir, dans un cadre juridique actualisé, l'ensemble des relations de défense entre la France et le Gabon, d'une part, la République centrafricaine, d'autre part. Ils abrogent et remplacent tous les accords antérieurs, y compris ceux qui n'auraient pas été publiés. Je précise qu'en la matière, les textes de base étaient constitués de deux accords signés en août 1960 et toujours en vigueur.

Leur deuxième caractéristique est qu'ils ne comportent pas de clause d'assistance. Comme je l'ai déjà dit, de telles clauses n'avaient plus de réelle portée pratique. De longue date, la France estimait que leur mise en oeuvre ne pouvait avoir de caractère automatique et restait dans tous les cas soumise à son appréciation. Je précise toutefois qu'en début de négociation, les autorités centrafricaines avaient souhaité maintenir ce type de clause, ce qu'a écarté la partie française.

Troisièmement, les accords précisent les principes généraux du partenariat de défense et de sécurité, en soulignant la dimension régionale de la paix et de la sécurité, et en mentionnant l'Union européenne, qui pourra être associée aux projets de coopération. Ils énumèrent les domaines de la coopération bilatérale : échanges d'informations ; organisation, équipement et entraînement des forces ; missions de conseil ; formation dans des écoles françaises ou des écoles soutenues par la France.

Les accords comportent des dispositions détaillées sur le statut des personnels engagés dans la coopération. Par extension, ces dispositions s'appliquent aussi aux forces françaises stationnées au Gabon et en Centrafrique. A la différence de ces forces, les coopérants français de longue durée portent l'uniforme gabonais ou centrafricain. Pour les uns comme pour les autres, le pouvoir disciplinaire restera exercé par l'Etat d'origine. Le régime fiscal sera uniformisé, tous les personnels français étant imposés en France.

Je signale une particularité relative aux règles sur l'usage des armes. Le modèle d'accord, accepté par le Togo et le Cameroun, prévoit que lorsque les personnels utilisent leur arme de dotation pour les besoins du service, ils se conforment à la législation de l'Etat d'accueil, sauf si celui-ci accepte l'application de la législation de l'Etat d'origine.

L'accord avec la République centrafricaine prévoit uniquement l'application de la législation de l'Etat d'accueil, alors que le traité avec le Gabon prévoit uniquement l'application de la législation de l'Etat d'origine. Ces variations de règles n'ont pas d'incidence pratique pour les forces françaises dans ces deux pays, car, en tout état de cause, la législation française sur l'usage des armes en service est plus précise que celle des deux pays concernés. Il n'y aura donc pas de restriction par rapport aux règles d'engagement habituelles de nos forces.

Le Conseil d'Etat a fait observer que le traité avec le Gabon aboutissait, par réciprocité, à placer les personnels gabonais présents sur le sol français sous la législation gabonaise. Il s'agit d'une hypothèse toute théorique. En effet, les cas dans lesquels des personnels gabonais présents en France seraient armés et dotés de munitions réelles sont extrêmement réduits. Il peut s'agir de stages ou de formations. Dans ce cas, ces personnels sont placés sous encadrement et commandement français. Le Conseil d'Etat n'a donc pas jugé que cette disposition puisse être contraire à nos principes constitutionnels.

Je précise aussi que les accords fixent les règles de compétence juridictionnelle en cas d'infractions commises par un personnel étranger. Le principe est que lorsque la personne commet l'infraction dans le cadre de ses fonctions officielles, elle relève des juridictions de son Etat d'origine, c'est à dire, pour les personnels français, de la justice française. Le traité franco-gabonais comme l'accord avec la République centrafricaine offrent un certain nombre de garanties lorsque les poursuites sont exercées devant les juridictions de l'Etat d'accueil, c'est-à-dire lorsque les infractions sont commises en dehors de toute fonction officielle. Il est également explicitement mentionné que dans le cas où elle serait prévue par la loi, la peine de mort ne serait ni requise, ni prononcée. En effet, la peine de mort a été abolie au Gabon, mais pas en République centrafricaine.

Enfin, comme je l'ai précédemment indiqué, chaque texte comporte une annexe spécifique sur le stationnement des forces françaises. Elle prévoit certain nombre de facilités, notamment en matière d'importation de matériels.

Au Gabon, nous disposons d'environ 900 hommes, principalement répartis entre le 6ème bataillon d'infanterie de marine, un détachement de l'ALAT et un détachement air. L'annexe au traité fixe le régime des zones mise à disposition des forces françaises. Elle pose le principe de l'inviolabilité de ces installations, ainsi que des documents qu'elles abritent et de la correspondance officielle de nos forces. Dans l'éventualité d'une dénonciation du traité, les zones mises à disposition des forces françaises devront être restituées au Gabon, sans compensation. Enfin, l'article 11 de l'annexe stipule que le Gabon peut demander à tout moment le retrait des forces françaises stationnées sur son territoire, la France se réservant également le droit de retirer ses forces.

Nos collègues Jacques Gautier et Daniel Reiner nous avaient rendu compte de leur visite aux forces françaises du Gabon en avril 2010. Ils nous avaient expliqué le triple rôle de ces forces : assurer la sécurité de nos 12 000 ressortissants au Gabon ; servir de point d'appui pour d'autres opérations dans la région ; servir également de point d'appui pour la mise en place d'une force aéroterrestre en cas d'opération de première urgence en Afrique centrale ou en Afrique de l'Ouest. A la suite de la réorganisation de notre dispositif, le Gabon devient clairement l'implantation principale sur la façade occidentale de l'Afrique. Notre présence y sera vraisemblablement renforcée.

J'ajoute qu'en dehors de la présence de nos forces, le traité couvre également la coopération de défense. Nous mettons 25 coopérants à disposition du ministère gabonais de la défense. Les principaux projets concernent l'aviation légère de l'armée de terre, le soutien des matériels roulants, la mise en place de l'action de l'Etat en mer et surtout deux écoles nationales à vocation régionale (ENVR), l'école d'état-major et l'école nationale de la gendarmerie.

En ce qui concerne la République centrafricaine, l'annexe à l'accord concerne notre détachement de Boali. Il s'agit d'un petit de contingent d'environ 200 militaires, comprenant un état-major, une compagnie d'infanterie et un détachement de soutien.

Les forces françaises sont déployées depuis mars 2003, pour assurer le soutien technique et le cas échéant opérationnel de la force multinationale africaine de stabilisation (mission de consolidation de la paix - MICOPAX) mise en place, en Centrafrique, par la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (CEMAC), avec le soutien financier de l'Union européenne.

Ainsi, la France fournit des moyens logistiques tels que les munitions, le paquetage des troupes, des véhicules blindés et de transport des troupes. Elle assure des actions de formation au profit de la force africaine, à travers les détachements d'instruction opérationnelle.

L'opération Boali permet aussi d'assurer l'instruction opérationnelle des unités des forces armées centrafricaines.

La présence militaire française en Centrafrique s'effectue donc dans un tout autre contexte que celui du Gabon. La situation politique intérieure centrafricaine demeure fragile. Un accord de paix a été signé en juin 2008 entre le gouvernement et une partie des mouvements de rébellion armée du nord du pays. La mise en oeuvre de cet accord, qui prévoyait une loi d'amnistie, le désarmement des groupes rebelles et leur réintégration sur la scène politique, s'effectue lentement et avec difficulté. L'insécurité persiste dans le nord et l'est du pays. Le mandat du Président de la République, le général Bozizé, venait à échéance au printemps 2010, mais les élections présidentielle et législatives ont été repoussées. Elles doivent se tenir dimanche prochain 23 janvier, alors que la plupart des mouvements d'opposition contestent les conditions d'organisation du scrutin.

En tout état de cause, il faut rappeler que la mission de maintien de la paix incombe en premier lieu à la force interafricaine, la MICOPAX, le mandat de celle-ci assignant aux forces françaises un rôle de soutien, conformément au concept RECAMP, de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix.

L'annexe à l'accord bilatéral définit les facilités accordées aux forces françaises en matière d'importation des matériels et d'utilisation de l'aéroport de Bangui.

En ce qui concerne la coopération de défense avec la République centrafricaine, elle repose sur la mise à disposition permanente de 8 coopérants. Le principal projet de coopération concerne l'école de gendarmerie.

Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai résumé les principales caractéristiques de ces deux accords qui n'ont pas soulevé de difficultés particulières lors de leur négociation et qui s'inscrivent pleinement dans le cadre général défini à la suite du discours du Cap.

Je vous demande donc d'approuver les deux projets de loi, qui pourront ainsi faire l'objet d'un débat d'ensemble avec les deux premiers textes relatifs au Togo et au Cameroun que nous avons approuvé en juillet dernier.

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