Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 mai 2009 : 1ère réunion
Conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense — Audition du général jean-marc denuel sous-chef d'état-major « plans » à l'état-major des armées

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président :

a rappelé les interrogations liées à l'impact de l'actuelle crise économique et financière sur la réalisation de la loi de programmation militaire. Il a indiqué que la commission souhaitait connaître l'analyse de l'état-major des armées sur les incidences possibles en matière d'évolution des effectifs, de réalisation des ressources exceptionnelles et de renouvellement des équipements.

Le général Jean-Marc Denuel, sous-chef d'état-major « Plans » à l'état major des armées, a indiqué que les conséquences de la crise économique et financière sur notre système de défense étaient encore aujourd'hui difficilement mesurables, même si on pouvait essayer d'en dresser une première analyse.

Soulignant que cette crise représentait d'abord un facteur supplémentaire d'instabilité, il a estimé qu'elle ne devait pas conduire à réduire la priorité à accorder à l'effort de défense. Alors que la construction d'un outil de défense exige du temps et de la constance, le maintien de l'effort est nécessaire pour mener à bien le cycle de « recapitalisation » prévu sur deux lois de programmation afin de renouveler nos matériels majeurs. Non seulement la France ne doit pas baisser la garde, mais elle doit se doter plus rapidement des moyens modernes nécessaires à la sauvegarde de ses intérêts stratégiques par des investissements accrus renforçant ses capacités d'anticipation et d'action, conjointement aux contrats opérationnels fixés par le Livre blanc.

Le général Jean-Marc Denuel a indiqué que la défense bénéficiait du plan de relance économique décidé par le Président de la République, mais qu'il convenait d'être attentif aux tensions qui, sans remettre en cause les objectifs initiaux, pourraient fragiliser la réalisation de la loi de programmation militaire.

Il a ensuite rappelé les hypothèses sur lesquelles avait été établi le projet de loi de programmation militaire :

- des ressources incluant des recettes exceptionnelles issues de la vente de biens immobiliers et de la cession de fréquences hertziennes ;

- une réduction du format et des restructurations générant des économies intégralement consacrées à l'acquisition des équipements.

Il a souligné que, face à la crise, le rythme des restructurations ne devait pas être remis en cause dans la mesure où la réalisation d'économies de fonctionnement représentant quatre milliards d'euros sur la durée de la programmation était indispensable au financement des dépenses d'équipement. Sans ces économies, la loi de programmation serait immédiatement caduque.

S'agissant de la « manoeuvre » des ressources humaines, qui constitue le point critique de la réforme du ministère, il a mentionné les tendances pouvant être d'ores et déjà dégagées.

D'une part, la situation des départs et des recrutements pour les personnels miliaires reste globalement maîtrisée sur le premier trimestre, même si les difficultés sont avérées pour le recrutement et la fidélisation de certaines spécialités : pour la marine, les métiers des opérations navales et de la maintenance aéronautique ; pour l'armée de l'air, les domaines de la protection incendie, des systèmes de détection, les fusiliers commandos et les mécaniciens aéronautiques.

D'autre part, le succès de la politique des « pécules » est acquis puisqu'environ 1 000 pécules seront accordés pour plus de 5 000 demandes en 2009, toutes catégories de grade confondues. Néanmoins, on peut voir se dessiner un tassement global des départs qui va obliger les armées à mettre en oeuvre une régulation fine des recrutements.

Le général Jean-Marc Denuel a également rappelé les gains escomptés du concept des bases de défense. Un point de situation intermédiaire sera fait au chef d'état-major des armées fin juin afin de tirer un premier bilan de l'expérimentation mise en oeuvre depuis le 1er janvier.

Il a estimé que le maintien du cap défini était d'autant plus impératif que la crise économique et financière pourrait avoir pour corollaire l'apparition de nouveaux foyers de tensions face auxquels nos forces armées pourraient être amenées à être engagées. Les caractéristiques des opérations actuelles nécessitent des besoins financiers plus importants pour répondre notamment aux urgences opérationnelles sur le plan des équipements et pour maintenir en condition opérationnelle des matériels suremployés sur le terrain. Des crédits budgétaires sont désormais réservés au financement des opérations et permettent de limiter l'impact de ces dépenses sur les acquisitions d'armements. Par ailleurs, si des réductions temporaires de capacités ont été consenties dans le projet de loi de programmation militaire, la tenue des contrats opérationnels est préservée.

Le général Jean-Marc Denuel a ensuite évoqué les difficultés qui pourraient remettre en question une partie des gains escomptés et qui appellent une vigilance particulière.

Si les économies attendues de la réduction de notre format outre-mer et à l'étranger sont toujours à l'ordre du jour, tant sur le plan des effectifs que sur celui du fonctionnement courant, les conditions particulières d'isolement de nos territoires ultra-marins pourraient amener à y maintenir des moyens maritimes initialement prévus pour être rapatriés en métropole et retirés du service, notamment quatre bâtiments de transport légers (BATRAL). Une telle mesure ne remettrait pas en cause l'évolution programmée de notre dispositif naval mais elle la placerait un peu plus sous contrainte.

Par ailleurs, la pleine participation de la France à la structure militaire intégrée de l'OTAN va générer des surcoûts en fonctionnement et en investissement. Nos effectifs dans les structures de commandement vont être multipliés par six en l'espace de quatre années. La masse salariale correspondante sera principalement abondée par la réduction de notre format outre-mer et à l'étranger. Cette réduction doit également permettre d'assurer le financement, en masse salariale, de notre base militaire aux Emirats Arabes Unis.

Pour des raisons qui ne sont pas seulement liées à la crise financière, les ressources exceptionnelles pourraient ne pas être totalement disponibles selon le calendrier prévu. S'agissant des recettes tirées de la vente de fréquences, 1,45 milliard d'euros était attendu sur la période 2009-2011. Les 600 millions d'euros attendus en 2009 ne seront disponibles, au mieux, qu'en 2010. Sur 600 autres millions d'euros attendus en 2010, seuls 200 millions d'euros sont aujourd'hui espérés. S'il n'y a pas de remise en cause formelle du montant global, aucune consolidation n'est à l'heure actuelle établie.

Quant aux recettes tirées des cessions immobilières, les ressources envisagées pour la période 2009-2011 sont aujourd'hui évaluées à 1,5 milliard d'euros au lieu de 1,9 milliard d'euros estimé initialement, avec un retard dont l'impact concernera essentiellement l'année 2009. Sur les 972 millions d'euros prévus en 2009, seuls 220 millions d'euros, correspondant à une renégociation du protocole du ministère avec la Société nationale immobilière, sont en place. Les recettes de la cession des emprises parisiennes arriveront au mieux fin 2009. La location de l'Hôtel de la marine s'annonce dans de bonnes conditions mais sans date consolidée à ce jour (300 millions d'euros prévu 2010). Les difficultés principales concernent les emprises régionales. En raison des cessions à l'euro symbolique et des coûts de dépollution, le produit des ventes devrait être très inférieur aux 411 millions d'euros prévus.

Le général Jean-Marc Denuel a ensuite rappelé que la crise économique et financière n'avait pas eu que des effets négatifs pour la défense. Le volet défense du plan de relance économique représente 1,7 milliard d'euros sur 2009-2010. Il a souligné la détermination du ministère à participer à la relance économique nationale dans un souci de productivité, de soutien aux entreprises nationales et de maintien des priorités capacitaires et industrielles.

Le plan de relance bénéficie aux programmes à effet majeur, grâce à l'acquisition d'hélicoptères EC 725 Caracal et d'un troisième bâtiment de projection et de commandement dont la livraison n'était prévue que dans la prochaine LPM. Il permet d'atténuer, pour certains matériels, les conséquences des reports ou des réductions des cadences de livraison initialement envisagées. Ces mesures bénéficient en particulier aux programmes liés au véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), au Rafale, au petit véhicule protégé (PVP) et aux stations sol Syracuse. Enfin, ce plan permet d'acquérir de nouveaux matériels en urgence opérationnelle : il s'agit de quinze véhicules blindés pour l'Afghanistan, ainsi que des munitions destinées à l'artillerie, à l'hélicoptère Tigre et à l'aviation de combat. Il participe également à l'amélioration du maintien en condition opérationnelle à travers l'achat de pièces de rechange, en particulier pour les matériels aéronautiques.

Au-delà de l'équipement des forces stricto sensu, pour lequel 1,425 milliard d'euros ouvert dans le cadre du plan de relance s'ajoutera aux 16,6 milliards d'euros inscrits dans la loi de finances pour 2009, 110 millions d'euros ont été ouverts pour le financement d'études amont de technologies de défense et 240 millions d'euros de crédits d'infrastructure supplémentaires faciliteront les restructurations tout en autorisant des opérations de développement durable, de dépollution ou de remise aux normes des installations. Par ailleurs, le ministère de la défense a été autorisé à consommer 500 millions d'euros de crédits issus de reports des gestions précédentes afin d'accélérer le paiement de certains prestataires et de leur permettre de faire face à leur crise de liquidités.

Le général Jean-Marc Denuel a précisé que le processus de remboursement des sommes avancées dans le cadre du plan de relance économique avait été intégré dans les travaux de programmation militaire. Etalé sur plusieurs années, il concerne essentiellement la fin de la première loi de programmation et le début de la seconde. Il a estimé que les conditions de ce remboursement ne sauraient être revues sans fragiliser la cohérence capacitaire établie sur l'ensemble des deux LPM.

Il a également précisé que, à la date du 30 avril 2009, 1 milliard d'euros avait été engagé dans le cadre du plan de relance. L'objectif est d'engager 1,7 milliard d'euros avant le 31 décembre de cette année pour des dépenses qui bénéficient très majoritairement aux industries nationales. Toujours au 30 avril 2009, 340 millions d'euros ont été facturés en crédits de paiement, avec un objectif de 954 millions d'euros d'ici la fin 2009. Le reliquat de ces crédits continuera à être inscrit sur une ligne spécifique en 2010.

Le général Jean-Marc Denuel a souligné que la France était l'un des seuls pays à avoir répondu à la crise par une augmentation de son effort de défense alors que la plupart des pays européens réduisent leur budget militaire. Les Britanniques se trouvent ainsi dans une situation budgétaire très difficile et l'Espagne comme l'Italie ont réduit leur budget de défense.

En conclusion, le général Jean-Marc Denuel a estimé que la crise financière actuelle pourrait amener certaines des incertitudes stratégiques énoncées par le Livre blanc à se concrétiser, tout en impactant nos ressources budgétaires et le processus de réalisation du plan de réforme. Le volet défense du plan de relance en atténuera les effets néfastes à condition de ne pas envisager trop tôt son remboursement, au risque de déséquilibrer l'édifice de construction capacitaire.

Il a estimé nécessaire, dans ce contexte, de poursuivre l'effort entrepris au profit de nos équipements et de piloter la mise en oeuvre des réformes avec une vigilance accrue si la crise devait perdurer.

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