Intervention de Christophe Girard

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 18 mai 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Christophe Girard conseiller de paris adjoint au maire en charge de la culture du patrimoine et des partenaires étrangers

Christophe Girard, adjoint au maire en charge de la culture, du patrimoine et des partenaires étrangers :

conseiller de Paris, adjoint au maire en charge de la culture, du patrimoine et des partenaires étrangers. - Je voudrais saluer chaleureusement les sénatrices et sénateurs présents. Ce lieu est toujours plus accueillant que l'Assemblée nationale. Vous y êtes accompagné, les gens y sont sympathiques. Je suis plutôt un défenseur du Sénat. Je pense que le Sénat n'est pas une anomalie de la République mais plutôt un contrepouvoir utile.

Je voudrais vous livrer quelques éléments me concernant. Je pense que lorsqu'on aborde le sujet de la culture on touche aussi à l'histoire, à l'éducation, au patrimoine et au savoir. Le piège est d'être dans une description politicienne de ce sujet.

Je suis un citoyen des régions. Je suis né angevin. Je suis très attaché à ces racines car elles expliquent le parcours que l'on peut avoir dans sa vie qu'il soit politique, professionnel ou personnel. Lorsque vous êtes né dans une ville comme Saumur qui décrit à la fois Eugénie Grandet comme l'a fait Balzac mais qui est aussi une ville d'églises, de châteaux, vous n'avez pas tout à fait la formation d'un citoyen né d'un lieu totalement urbain.

Je suis très attaché à la culture et à l'art. J'ai eu la chance d'être élève volontaire les jeudis et samedis à l'école des Beaux-arts d'Angers. Ma première rencontre importante dans ma vie est celle avec François Morellet. Il m'a fait découvrir l'émotion et l'évidence de l'art contemporain. Il fait partie des immenses artistes français, qui néanmoins me permettent de relever une anomalie. François Morellet, comme Berlioz en son temps, n'est pas suffisamment reconnu et aimé en France. Les artistes contemporains français souffrent souvent d'un désamour, d'une méconnaissance ou d'une sorte de méfiance dans leur pays. François Morellet, très longtemps, a été beaucoup plus aimé aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Belgique qu'il ne le fut en France. Le Centre Pompidou lui rend aujourd'hui hommage. Je pense que c'est un hommage juste.

Face aux critiques virulentes sur l'art contemporain, je vous encourage à la plus grande prudence. Ce qui est contemporain aujourd'hui deviendra sans doute classique demain. C'est l'histoire qui le dira, ce sont les citoyens qui en décideront.

J'ai eu un petit désaccord avec le président Poncelet. Lorsqu'il était président du Sénat, je me suis permis de lui écrire car je trouvais dommage que dans un lieu aussi beau que le Palais du Luxembourg la profondeur des jardins soit en permanence occultée par des expositions de photographies sur les grilles. Il m'a répondu que je faisais une erreur car les jardins relevaient de la puissance et de l'autorité du Palais du Luxembourg et non de la Ville de Paris ou des services de l'État.

Certes, l'art contemporain le plus accessible et le plus populaire a sa place dans la ville. Mais je conteste le choix systématique d'utiliser les lieux publics, les places, les grilles. Je me suis opposé, par exemple, comme élu du 4e arrondissement au fait qu'on appose quoi que ce soit sur les grilles de la place des Vosges. Il est beau également de laisser le vide, le silence et la profondeur de ce que les architectes et les paysagistes ont pu créer.

Dès 2001, j'ai proposé la création d'un comité d'art dans la ville qui comprend des élus de tous bords, un certain nombre d'experts du monde entier, des personnalités.

Une personnalité importante dans ma vie politique est M. Martin Béthenot, qui a très longtemps travaillé auprès de M. Jean-Jacques Aillagon, qui a été commissaire général de la FIAC et encore récemment directeur de la fondation Pinault. Il m'a conseillé. Lorsque j'ai eu cette idée de « Nuits blanches » consacrée au patrimoine, aux artistes, à l'art contemporain et à sa démesure dans la ville, il m'a soutenu et encouragé pour aller jusqu'au bout de ce choix.

Je voudrais éviter un catalogue de mesures. Il serait injuste de dire que Paris fait tout très bien. Paris doit faire des progrès dans certains domaines. La France a pour les arts plastiques un rapport plus ancien, plus profond que pour la musique par exemple. Paris a le défaut de ses qualités. C'est une des plus belles villes au monde, elle a un des plus beaux patrimoines. C'est très intimidant pour les artistes. Nous recensons à Paris et en région parisienne 65 % des artistes résidant en France. Ils ont moins de timidité dans leur rapport à l'urbain dans des villes comme Londres ou Berlin.

« Nuits blanches » n'est qu'un supplément de ce que nous faisons pour les artistes et l'art contemporain à Paris. Il s'agit de permettre à nos concitoyens de redécouvrir le patrimoine insolite de leur ville, dans des musées, dans des églises. Plus de quarante églises et temples à Paris ainsi que la grande mosquée de Paris y participent. Tous ces lieux contribuent à la mise en valeur de leur propre patrimoine.

Cela permet aux citoyens de découvrir que l'art contemporain lorsqu'il est montré et accompagné peut provoquer à la fois goût et dégoût, en tout cas une opinion et un intérêt. Il est très impressionnant de voir pendant cette nuit blanche des familles de toutes origines souvent accompagnées d'enfants plus informés et organisés que leurs parents. Je voudrais souligner le rôle positif d'Internet qui permet une connaissance des lieux et des artistes plus grande.

Aujourd'hui, vingt-cinq villes participent aux « Nuits blanches ». La dernière en date est Vincennes. C'est donc une manifestation partagée. Dans les régions, des villes comme Metz, Charleville, Brison Saint-Innocent en Savoie ou Mayenne participent à cette manifestation. Aujourd'hui, après Tel Aviv, Buenos Aires, Singapour, Paris rejoint le club des 30 villes capitales qui s'y associent dans le monde.

Il n'y a pas de politique intelligente pour l'art contemporain si la place des artistes n'est pas la première question que l'on se pose. Depuis 2001, nous avons augmenté le nombre d'ateliers d'artistes de 40 %. C'est néanmoins insuffisant. Aujourd'hui nous disposons d'environ mille ateliers dont deux tiers sont des ateliers logements. L'artiste a besoin d'un lieu de travail où il puisse également vivre. Il est important qu'il y ait des rotations. Il importe ainsi de s'assurer que les ateliers sont bien occupés par des artistes. Par ailleurs, ils n'ont pas très envie de bouger.

La dimension internationale de Paris est aussi de savoir attirer les artistes étrangers du monde entier. Nous veillons, en bonne intelligence avec les services de l'État, que des artistes que nous jugeons souhaitables sur le territoire pour le rayonnement de Paris soient accueillis dans des conditions dignes.

Si j'ai été critique sur le systématisme de l'accrochage d'un art dit populaire, j'ai proposé à la commission d'art dans la ville le retrait d'oeuvres installées au fil du temps à Paris. Il y a parfois des oeuvres de qualité médiocre mais qui pour des raisons historiques, sentimentales, politiques ont été installées ou parfois en raison de l'existence d'accords entre les villes ou les états. La commission a pour qualité de dire librement ce qu'elle pense de ces oeuvres. Il faut que nous ayons le courage politique.

Cela m'amène d'ailleurs à parler du Mur de la Paix pour lequel Mme Rachida Dati a eu une attitude courageuse. En effet, il s'agit d'une oeuvre de qualité mais qui devait être provisoire et avait donc été installée pour trois mois. Il est important de rappeler qu'une oeuvre n'a pas nécessairement vocation à rester au même endroit, qu'elle peut tout à fait être déplacée, et que l'on peut trouver des compromis comme je l'ai déjà fait à Paris.

Je voudrais rappeler que le Sénat a eu l'audace de participer à l'opération « Nuits blanches » en 2009. A cette occasion un artiste québécois avait installé une boule brillante au-dessus du bassin du Jardin du Luxembourg. Ce fut l'un des lieux les plus fréquentés lors de cette édition 2009 et les commissaires de cette édition ont montré que les talents viennent de toutes les régions, qu'ils ne sont pas uniquement parisiens.

Je voudrais évoquer un sujet très important lié à l'urbanisme. Lorsque l'on construit un tramway, il faut envisager un investissement artistique qui va au-delà du 1 % culturel. Nous avons ainsi eu une grande ambition pour les travaux du tronçon allant du 13e arrondissement au nord-est de Paris et avons fait pour cela appel à M. Bernard, directeur du Musée d'art moderne de Genève, pour un projet consistant à installer les oeuvres d'artistes venant du monde entier, en évitant toutefois l'erreur de plaquer systématiquement les oeuvres sur des lieux symboliques. L'art contemporain n'a de sens que s'il respecte les lieux, s'il interroge les habitants. Je voudrais d'ailleurs en profiter pour vous faire part d'une réflexion personnelle. Je crois en effet que nous devons lancer un grand chantier de requalification des entrées de ville, intégrant une dimension artistique mais également une dynamique environnementale et économique. Des petites villes, telles que Faucon dans le Vaucluse, réussissent un travail remarquable, limitant, sans l'interdire, la présence publicitaire et valorisant la beauté des lieux. Cela transcende la logique droite-gauche et l'on a le devoir de travailler sur cette problématique en France où l'on pourrait faire appel aux plus grands artistes, urbanistes et architectes. Je formule le voeu qu'un plan décennal soit envisagé dès 2012 ou 2014 pour ce grand chantier.

J'aimerais dire un mot des lieux nouveaux qui permettent un rééquilibrage du tissu urbain et évoquer le cas du « 104 », dont le démarrage fut compliqué mais que les élus plébiscitent aujourd'hui. L'équipe de direction choisie initialement n'a pas donné satisfaction. J'assume cette erreur en tant que président du conseil d'administration et j'ai souhaité changer d'équipe. A l'issue de 120 auditions nous avons finalement retenu José Manuel Gonçalves pour faire du « 104 » un lieu très ouvert sur les quartiers environnants qui accueille des artistes contemporains comme Pierrick Sorin, Michelangelo Pistoletto, Anish Kapoor ou le cabaret burlesque de Matthieu Amalric. Ce lieu a ainsi trouvé sa vocation en un an. Il faut s'inscrire dans la durée et résister au temps médiatique pour construire tout en prenant en compte l'extension de la ville et l'évolution vers des métropoles. Paris est douze à treize fois plus petite que Berlin et Londres et il sera normal d'aller au-delà de Montreuil.

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