J'ai été chargée par la présidente du Centre national de la cinématographie et de l'image animée (CNC) d'un rapport sur le développement de la vidéo à la demande (VàD). Le marché français de ce secteur est assez particulier car essentiellement accessible à travers les offres triple play sur les écrans de télévision (consommation via Internet très marginale en réalité). La consommation sur télévision est en pleine expansion. Elle est appelée à évoluer très rapidement car le consommateur a l'appétit d'un mode de consommation libre.
Les acteurs globaux développent ce type de services avec beaucoup de succès (Apple, Google TV, Netflix). Ces gros acteurs ont la capacité de proposer des offres extrêmement riches. Le secteur français est en voie de développement mais il est encore fragile. Les acteurs étrangers sont très puissants. L'accès à la VàD via l'écran de télévision est possible sur une cinquantaine de plateformes. La plus importante aujourd'hui en France est Orange. Les différents acteurs sont les éditeurs de DVD qui développent des plateformes de VàD, les producteurs qui s'unissent (UniversCiné), les distributeurs physiques (FNAC, Virgin), les chaînes de télévision (TF1 Vision) et enfin, les fournisseurs d'accès à internet (FAI).
Aujourd'hui l'offre française a un certain nombre de qualités, car elle s'est développée rapidement, mais aussi beaucoup de fragilités. L'offre est incomplète car les ayants droit sont relativement prudents. Ils craignent la déstabilisation de la chaîne de valeur. Par ailleurs, la VàD n'est possible que dans un délai de quatre à dix mois après la sortie en salle. Passé ce délai, il est impossible d'exploiter en VàD, puisque les chaînes de télévision payantes ont l'exclusivité de ces exploitations. On peut parler de « plateformes à éclipses ». La dernière raison expliquant cette fragilité vient du fait que les éditeurs de plateformes sont aujourd'hui mal rémunérés. Le marché de la VàD n'est pas un milieu attractif pour les éditeurs. Il est peu attractif pour les investissements.
Le rapport préconise l'adoption de quatre mesures. En premier lieu, il s'agit d'améliorer l'attractivité de l'offre. Pour ce faire, il faut revoir la chronologie des médias et la raccourcir à nouveau, convaincre les chaînes de télévision de ne pas geler les droits d'exploitation VàD après la première diffusion sur les écrans de télévision, et en contrepartie revoir les interdictions faites aux chaînes de diffuser certains jours de la semaine (mercredi, samedi). Le CNC pourrait également attribuer des bonus pour les producteurs qui favoriseraient la mise à disposition de contenus et qui encourageraient des délais plus courts.
La seconde proposition consiste à mieux structurer le secteur en organisant deux types de soutien. D'une part, le soutien sélectif devra être amélioré. D'autre part, un soutien automatique pourrait être créé pour l'aide à la VàD aux éditeurs qui auraient reçu le label délivré par Hadopi, aux distributeurs de films et aux producteurs. Le CNC va notifier cette aide à la Commission européenne et adopter des règlements.
Ensuite, la VàD n'est accessible quasiment que par la télévision. Favoriser l'accessibilité et la lisibilité de l'offre devient donc une priorité. Le rapport suggère l'adoption d'une disposition législative qui obligerait les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) à proposer aux éditeurs de services présentant soit une offre au moins partiellement originale dans son contenu, soit une présentation éditoriale forte, soit une mise en valeur importante d'oeuvres françaises et européennes, des conditions de reprise du service dans son intégralité, non discriminatoires, transparentes et objectives. Il recommande aussi la possibilité de régler les différends devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), et de mettre en place un moteur de référencement qui indexerait toutes les oeuvres pour améliorer la lisibilité des plateformes (mise en place à venir par la Hadopi).
Enfin, il convient d'assurer un juste partage de la valeur entre les acteurs de la filière. Aujourd'hui, la rémunération est fondée sur le prix public : 50 % sont pour les ayants droit et le reste pour les éditeurs mais ils supportent des coûts techniques très importants (marge insuffisante pour innover et développer des services). Un accord sur la rémunération minimale des auteurs avait été signé en 1999 fixant un taux de 1,75 % du prix hors taxes payé par le public. Mais cet accord a été dénoncé en 2009. Les critiques concernent le manque de transparence et de clarté de la part de la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Il faut donc retrouver un accord interprofessionnel pour que les producteurs assurent une rémunération minimale aux auteurs et retourner à une gestion collective avec la SACD. Faut-il instaurer une rémunération minimale pour les ayants droit sur le prix du service ? Un accord a été adopté en novembre 2009. Il fixe le principe d'une rémunération minimale pour chaque acte dématérialisé. Les intéressés revendiquent un minimum de deux euros pour éviter les pratiques de prix bradés. Le rapport ne propose pas une intervention ministérielle car, en réalité, il n'y a pas eu ce phénomène de prix bradés. Cette mesure aurait pour effet contreproductif d'installer des prix planchers constituant une entrave au développement de l'offre licite. Le rapport s'oppose par conséquent à une telle mesure. En revanche, il est très utile de fixer un partage minimal des recettes par accord interprofessionnel. Il y en a eu un en 2005, prévu pour 12 mois et jamais renouvelé. Cet accord fixerait des fourchettes de rémunération.
En conclusion, ce secteur est à la veille d'un développement tout à fait nouveau avec les télévisions connectées et les tablettes tactiles. Il est important d'avoir une offre européenne et française riche et attractive. Il est difficile de la mettre en place car la convergence technique va plus vite. Elle cause des déséquilibres sur la chaîne de valeurs. Deux propositions du rapport ont déjà été mises en oeuvre. Le CNC a nommé un médiateur pour favoriser les débats entre les différents acteurs et aboutir plus rapidement à des accords interprofessionnels. Le CSA a lancé un appel d'offres pour trouver un opérateur qui proposera des services médias audiovisuels à la demande (SMAd) sur la TNT via l'écran de télévision avec un boîtier.