Evoquant ensuite la question de savoir si les juges avaient, à l'égard des femmes, une attitude particulière qui les conduirait à limiter, plus que pour les hommes, le recours à l'incarcération, Mme Nicole Maestracci a reconnu ne pouvoir se fonder que sur son expérience personnelle, en l'absence de toute étude officielle sur le sujet. Elle a rappelé que la loi obligeait les magistrats, en cas de détention provisoire, à vérifier si le prévenu avait ou non des enfants à charge, estimant que cette disposition jouait plus fréquemment en faveur des femmes que des hommes. Elle a également indiqué que les femmes, étant moins souvent condamnées, n'avaient pas de casiers judiciaires aussi fournis et semblaient moins récidivistes que les hommes, ou encore qu'elles étaient moins enclines à commettre certains types de délits violents. Mme Nicole Maestracci a estimé que toutes ces considérations pouvaient conduire les juges à privilégier, le plus souvent, un contrôle judiciaire, même un peu strict, à l'incarcération.
Concernant les caractéristiques de la population des femmes détenues, Mme Nicole Maestracci a précisé qu'environ 2 300 femmes étaient incarcérées, dont 800 en détention provisoire et 1 500 au titre d'une condamnation définitive. Précisant, pour ces dernières, les motifs de leur condamnation, elle a indiqué que les proportions étaient assez différentes de celles observées dans la population masculine, dans la mesure où, parmi les femmes condamnées, 245 l'étaient pour assassinat, d'adultes comme d'enfants - l'infanticide constituant un crime typiquement féminin - 225 pour violences et 115 pour agressions sexuelles, le plus souvent intrafamiliales, le reste étant réparti assez classiquement, comme pour les hommes, entre trafics de stupéfiants, escroqueries et vols. Elle a aussi indiqué que, sur cette population de 1 500 condamnées, 330 correspondaient à des peines criminelles - c'est-à-dire prononcées pour des infractions pour lesquelles la peine encourue est de dix ans au moins - et 1 238 à des peines correctionnelles, proportions assez équivalentes à ce que l'on trouve chez les hommes. Elle a rappelé que 27 mineures étaient incarcérées, ce qui posait des problèmes d'éloignement compte tenu du petit nombre d'établissements accueillant des mineures, mais que la majorité des femmes détenues avaient entre 30 et 40 ans. Elle a aussi insisté sur le fait que, par rapport aux hommes, il y avait une surreprésentation d'étrangères, en partie liée à l'incarcération de femmes d'Amérique latine très pauvres, condamnées au titre du trafic international de stupéfiants pour avoir transporté de la drogue à l'intérieur de leur corps. Elle a indiqué par ailleurs que les femmes détenues étaient, plus souvent que les hommes, illettrées et sans qualification professionnelle.
Abordant ensuite les caractéristiques spécifiques de l'incarcération des femmes, Mme Nicole Maestracci a tout d'abord indiqué que leur faible nombre avait pour corollaire un nombre très restreint d'établissements susceptibles de les accueillir, et entraînait, à son tour, des problèmes d'éloignement, notamment familial, qui compliquaient la préparation à la sortie. Après avoir rappelé que 67 % des détenus (hommes et femmes) passaient moins de six mois en détention, elle a souligné que l'on ne pouvait pas aborder de la même façon la détention des femmes placées en maison d'arrêt pour une très courte période et celle des femmes incarcérées pour de très longues peines.
Elle a indiqué que certaines détenues, placées en détention provisoire, puis condamnées à de très courtes peines, n'étaient jamais écrouées en qualité de « condamnées », dès lors que le juge prononçait une peine dont la durée était déjà couverte par la période de leur détention provisoire et que, compte tenu de leur répartition sur le territoire, le placement en maison d'arrêt ne se traduisait généralement pas par un trop grand éloignement. En revanche, et contrairement aux hommes, pour lesquels il existe des établissements assez bien répartis sur l'ensemble du territoire, les femmes condamnées à des peines longues se retrouvaient le plus souvent très éloignées de leur domicile, en raison du très faible nombre d'établissements pénitentiaires pour peines susceptibles de les accueillir : le centre pénitentiaire de Rennes avait pendant longtemps été le seul établissement pour peines pour les femmes, avec un quartier femmes à Fresnes pour les orientations ; quant à l'établissement pénitentiaire pour femmes créé depuis lors à Joux-la-Ville, il est très isolé et sa mauvaise desserte rend difficiles les visites par les familles.
s'est ensuite interrogée sur la pertinence du choix qui avait conduit à constituer quelques quartiers femmes séparés et spécifiques, plutôt que des quartiers plus petits de trois ou quatre cellules mieux répartis sur le territoire et qui auraient permis d'incarcérer les femmes, au moins les détenues provisoires ou les condamnées à de courtes peines, à proximité de leur domicile. Relevant que l'on était confronté à des arbitrages comparables en matière de détention des mineurs, elle a reconnu que la question ne pouvait être tranchée facilement, chaque solution ayant ses avantages et ses inconvénients. Elle a cependant estimé que la durée de la peine était sans doute l'un des paramètres importants de cette équation et que, dans le cas d'une courte détention, il convenait de privilégier les relations avec l'extérieur et la préservation des liens sociaux et familiaux, donc la préparation à la sortie, plutôt que les conditions intérieures de détention. Elle s'est dite, à cet égard, plutôt favorable à un objectif pragmatique qui tendrait à circonscrire l'incarcération, en cas de courte peine ou de détention provisoire, à un champ de 100 à 150 kilomètres autour du domicile de la détenue. Elle a également déploré que le très petit nombre de centres de semi-liberté ou de centres de peines aménagées pour les femmes amène le juge, notamment en Seine-et-Marne, à devoir rechercher d'autres mesures.
a soulevé le problème de la faiblesse du taux d'activité féminin en détention, aggravé selon elle par la non-mixité des établissements pénitentiaires et des activités de formation professionnelle ou scolaire. Elle a estimé que l'administration pénitentiaire proposait davantage de formation professionnelle aux détenus qu'aux détenues, du fait du faible nombre de ces dernières, et alors que celles-ci sont déjà, au départ, moins qualifiées.
a jugé que les femmes détenues bénéficiaient moins que les hommes de visites de leur famille et de leur conjoint, ce qui contribuait à les isoler davantage encore de l'extérieur : certains des délits qu'elles avaient commis - et notamment l'infanticide - pouvaient d'ailleurs contribuer à cet effacement du lien familial. Elle a également souligné la fréquente pauvreté de la population carcérale, citant une étude de la FNARS qui montrait que, hommes et femmes confondus, 25 % des personnes entrant en prison n'avaient aucune ressource et que 25 % n'avaient pas de logement stable, ces deux populations ne se confondant pas nécessairement.
a ensuite abordé la question des relations des détenues avec leurs enfants. Après avoir rappelé qu'il était possible pour une femme détenue de garder son enfant auprès d'elle jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 18 mois, elle a indiqué que, aujourd'hui, entre 55 et 65 enfants environ étaient auprès de leur mère détenue et que leur moyenne de séjour dans les établissements pénitentiaires était d'à peu près six mois. Elle a précisé que certains établissements avaient passé des conventions avec les conseils généraux pour que ces enfants soient accueillis en crèche à l'extérieur.
Concernant les enfants qui se trouvent séparés de leurs mères incarcérées, Mme Nicole Maestracci a précisé que l'incarcération ne constituait généralement pas la seule cause de la séparation et que, dans 40 % des cas, selon l'administration pénitentiaire, la séparation précédait d'ailleurs l'incarcération, soit que les enfants fussent déjà placés, soit qu'ils fussent pris en charge par un autre membre de la famille. Elle a estimé que la visite des enfants dans les établissements pénitentiaires ne pouvait se dérouler dans de bonnes conditions que si les enfants étaient accompagnés par d'autres membres de la famille, pris en charge par un service éducatif ou aidés par des associations comme l'association Relais enfants-parents. Après avoir noté que tous les établissements ne disposaient pas de locaux adaptés à la visite des enfants, elle a indiqué qu'il était indispensable que ces visites soient préparées et accompagnées. Elle a précisé que les unités de vie familiale étaient bien adaptées, sous réserve également que les séjours soient bien préparés.
Elle a aussi estimé qu'une survalorisation du lien de ces femmes avec leurs enfants, liée au stéréotype qui leur fait en quelque sorte l'obligation d'être de bonnes mères, pouvait très souvent perturber cette relation, particulièrement au moment de leur remise en liberté, où la reprise d'une vie commune soulève inévitablement des difficultés.
a indiqué que la sortie de prison restait un moment critique pour les femmes comme pour les hommes et a conseillé à la délégation de rencontrer des associations ou des foyers, comme le Centre d'hébergement et de réinsertion sociale « Soleillet » à Paris, relevant de l'Association Aurore, qui prend fréquemment en charge les sorties de longues peines. Elle a insisté sur le fait que ces associations s'attachaient à rencontrer les détenues très en amont, en collaboration avec les établissements pénitentiaires, pour préparer la sortie de prison, et étaient particulièrement attentives à la question de la reconstruction de la relation avec les enfants. Elle a déploré que le faible nombre de conseillers d'insertion et de probation, avec en moyenne un conseiller pour cent détenus, ne permette pas de mieux préparer leur sortie.
Abordant les aménagements de peines, Mme Nicole Maestracci a indiqué que le faible nombre de centres de semi-liberté accueillant des femmes conduisait à privilégier le dispositif souple du placement extérieur qui consiste à placer une détenue dans une association pour effectuer un travail, la plupart du temps sous forme d'un contrat aidé avec un accompagnement. Elle a toutefois regretté que l'administration pénitentiaire ne dispose pas des moyens qui lui permettraient de couvrir l'ensemble des coûts représentés par le placement d'un détenu à l'extérieur. Elle a aussi indiqué que les Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et les conseils généraux n'étaient généralement pas disposés à intégrer les personnes sortant de prison parmi celles relevant de leur prise en charge. Elle a regretté que n'ait pas été retenu l'amendement à la loi pénitentiaire proposé par la FNARS qui proposait d'intégrer, dans le code de l'action sociale et des familles, l'obligation de prendre en charge, dans le cadre de la veille sociale, les personnes sous main de justice au même titre que les populations de droit commun. Elle a souhaité que ces populations soient systématiquement prises en compte lors des évaluations des besoins sur un territoire, réalisées par le préfet.
Elle a ensuite abordé le thème, mis en avant par la FNARS, de l'insertion par l'activité économique, avec un aspect formation professionnelle « sur le tas », souvent plus adapté à des femmes en difficulté qu'une formation théorique, et une dimension extérieure avec un contrat aidé. Elle a indiqué que la FNARS, qui disposait de chantiers d'insertion sur tout le territoire, était tout à fait prête à travailler dans ce cadre, comme elle le fait déjà, de façon expérimentale, dans le cadre du programme européen EQUAL.
Puis Mme Nicole Maestracci a indiqué que, selon une étude épidémiologique récente et encore discutée, 35 % des détenus souffriraient de troubles psychiatriques sérieux comme la dépression grave, les troubles psychotiques, ou les troubles du comportement de type psychopathique. Elle a souligné que, parmi les femmes, certaines pathologies étaient très peu représentées comme les comportements de type psychopathique, alors que d'autres étaient relativement fréquentes, comme la schizophrénie ou la dépression, précisant qu'il était toujours difficile de savoir si l'incarcération et ses motifs étaient à l'origine de ces troubles ou s'ils ne faisaient que les aggraver. Elle a souligné l'importance de la qualité de la prise en charge sanitaire. A cet égard, elle a également relevé que les détenus, interrogés sur leurs besoins dans le cadre des états généraux de la condition pénitentiaire en 2006, avaient formulé des revendications très raisonnables qui touchaient en premier lieu la préparation à la sortie, puis la formation et l'activité professionnelles et enfin la prise en charge sanitaire.
a indiqué que seules trois des règles pénitentiaires européennes étaient spécifiques aux femmes : l'une, très générale, imposant aux autorités pénitentiaires de respecter les besoins des femmes au moment de prendre les décisions affectant l'un ou l'autre aspect de la détention, la seconde soulignant la nécessité de déployer des efforts particuliers permettant l'accès à des services spécialisés, notamment dans le cas de femmes avec des enfants, et la dernière concernant la possibilité pour une femme détenue d'accoucher à l'extérieur. Toutes les autres règles s'appliquent aussi bien aux femmes qu'aux hommes. Elle a estimé que le vote de la loi pénitentiaire devrait permettre d'améliorer le respect de l'ensemble de ces règles, même si la surpopulation pénale rendait parfois problématique leur mise en oeuvre effective, illustrant son propos par la difficulté pour l'administration d'assurer l'application, dans la durée, du protocole relatif à l'organisation du quartier arrivant.
Un débat a suivi l'intervention de Mme Nicole Maestracci.