La délégation a ensuite procédé à l'audition de M. Claude d'Harcourt, directeur de l'Administration pénitentiaire.
Sur la suggestion de Mme Michèle André, présidente, M. Claude d'Harcourt a indiqué que, en complément des indications apportées à la délégation par M. Laurent Ridel, sous-directeur des personnes placées sous main de justice à la direction de l'administration pénitentiaire, lors d'une précédente audition, il apporterait quelques précisions sur la situation spécifique des femmes en détention, en faisant observer que cette question était difficilement dissociable de la problématique générale de l'incarcération.
Il a estimé que la France vivait un moment significatif de son histoire pénitentiaire en précisant que la réforme, dans ce domaine, n'était possible que si trois conditions étaient réunies. La première reposait sur l'existence d'un projet pénitentiaire inscrit dans un corpus juridique. A cet égard, il a souligné l'importance du projet de loi pénitentiaire en discussion au Parlement, en rappelant que, depuis 1947, la seule loi adoptée dans ce secteur était celle du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire, dont la petite dizaine d'articles se proposaient, pour l'essentiel, d'externaliser un certain nombre de fonctions pénitentiaires, comme la maintenance des bâtiments ou l'hôtellerie. Du point de vue juridique, il a également souligné l'intérêt des prescriptions du Conseil de l'Europe, signées par la France en janvier 2006, et qui constituaient, même en l'absence de valeur contraignante, un véritable levier d'action. Il a ajouté que quinze établissements pénitentiaires avaient été labellisés par l'Association française de normalisation (AFNOR) au titre de la procédure de l'accueil et de la prise en charge des arrivants. Revenant sur l'intérêt d'une adoption rapide du projet de loi pénitentiaire, il a insisté sur la nécessité d'une consécration législative des expérimentations conduites.
Il a ensuite présenté le programme immobilier comme le second pilier de la réforme. Contestant, sur la base de constats chiffrés, le bien-fondé des thèses qui présentent comme vain tout effort d'investissement au motif que « plus on construit et plus on a tendance à incarcérer », il s'est félicité de la programmation immobilière lancée en 2002 pour la construction de 13 000 nouvelles places de prison, en précisant que 5 130 places seraient ouvertes en 2009.
Il a ensuite insisté sur la troisième condition qui tient à une capacité de mobilisation des personnels, subordonnée à la condition qu'ils se sentent reconnus et valorisés. Il a vivement déploré, à cet égard, que des campagnes de presse aient conduit à stigmatiser une administration et à donner une représentation de la prison en décalage complet avec la réalité.
Il a estimé que l'efficacité pénitentiaire devait être mesurée à l'aune des taux de récidive, définis de façon large comme la proportion des détenus qui retournent en prison au terme de cinq ou de trois ans, et qui s'élèvent respectivement à 40 % et à 20 % aujourd'hui en France. Il a observé que, contrairement à l'idée reçue, la récidive était faible en matière de crimes et de délinquance sexuelle, mais en revanche très élevée pour les vols ou les délits, de moindre gravité. Mentionnant les difficultés de comparaison de ces taux avec la moyenne européenne, il a cependant signalé que, au Royaume-Uni « qui incarcère une fois et demie plus que la France », le taux de retour en prison à cinq ans était de 70 %. Il est convenu de ce qu'il conviendrait d'affiner la mesure de ce taux en France, établissement par établissement, conformément à la demande formulée par M. Jean-René Lecerf, rapporteur au Sénat du projet de loi pénitentiaire.
Il a ensuite analysé les principales modalités selon lesquelles l'administration pénitentiaire était tenue de différencier son approche de l'incarcération des femmes de celle des hommes.
Il a alors rappelé que le trafic de stupéfiants figurait en tête des causes d'incarcération des femmes - 16,4 % contre 13 % en moyenne générale - que 16 % des femmes incarcérées avaient commis des crimes de sang, contre une proportion moyenne de 7 % pour les hommes, mais que, en revanche, les femmes commettaient moins de violences volontaires, de viols, d'agressions sexuelles ou de vols qualifiés. Il a enfin précisé que 13 % des femmes en prison étaient coupables d'escroqueries, d'abus de confiance, de recel, de faux et usage de faux alors que le taux moyen se limite à 7 %. Il a également signalé que les femmes étaient également surreprésentées dans une rubrique dite « autres » qui comprend, notamment, les infractions à la législation sur les chèques, le vagabondage ou la mendicité et le proxénétisme.
Puis il a ensuite évoqué trois catégories particulières de femmes incarcérées.
Évoquant le cas des jeunes filles mineures incarcérées, il a relevé des formes de violence très intenses qui témoignent d'une profonde déstructuration de leur personnalité. Il a indiqué que, en dépit de la qualité des établissements pour mineurs qui constituent une référence au niveau européen, ceux-ci étaient confrontés à des difficultés marquant les limites d'un projet qui tablait sur la mixité pour favoriser la resocialisation des détenus mais dont l'expérience montrait qu'il ne pouvait fonctionner dès lors que certaines conditions préliminaires n'avaient pas été remplies.
Évoquant ensuite le cas des femmes étrangères incarcérées, le plus souvent pour trafic de stupéfiants, il s'est interrogé, au-delà de la nécessité de la sanction, sur la portée des mesures de réinsertion qui pouvaient être envisagées.
Il a enfin évoqué les femmes condamnées à de lourdes peines, en matière de crimes de sang, relevant qu'elles étaient moins que les hommes dans le déni de leur responsabilité.
Il a conclu son propos en rappelant que les femmes incarcérées étaient dans l'ensemble moins concernées par les difficultés provoquées par la surpopulation pénale.
A Mme Michèle André, présidente, qui demandait des précisions sur l'évolution du dispositif d'incarcération des mineurs, M. Claude d'Harcourt a d'abord chiffré à 680 les effectifs des mineurs incarcérés, en précisant que ce nombre était en baisse depuis dix ans et qu'il était inférieur de moitié à la capacité d'accueil globale de 1 100 places, qui se répartit entre 400 places dans les établissements pour mineurs (E.P.M.) et 700 dans les quartiers pour mineurs, qui, au terme d'un effort considérable ces dernières années, ont presque tous été rénovés. Puis il a brossé un tableau des EPM introduits par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation judiciaire (LOPJ) qui correspondent pleinement à un concept de sanction éducative. Il s'agit, a-t-il précisé, d'unités de 60 mineurs répartis en sous-ensembles de 10 personnes qui bénéficient d'un accompagnement extrêmement perfectionné puisque 150 personnes, en moyenne, encadrent 60 mineurs selon une méthode pluridisciplinaire : la surveillance est assurée par des personnels en uniforme, de façon à incarner l'autorité, et la réinsertion est prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. En outre, 20 à 25 heures de cours sont offertes chaque semaine aux mineurs par des enseignants, et le secteur médical est très développé, pour répondre aux besoins importants des mineurs dans ce domaine. Il a signalé que le principe initialement retenu, au sein des EPM, avait été de réserver une unité sur six à cinq ou six filles, mais que l'expérience avait montré que la mixité entraînait un « état de tension permanente », difficilement surmontable. Cette situation avait conduit, par exemple à Marseille, à transférer les mineures dans des quartiers de femmes, au risque de provoquer d'autres inconvénients et une diminution des activités qui leur sont proposées. Il a souligné qu'une réflexion était en cours pour surmonter des blocages et mettre en oeuvre la mixité.