A partir de ce diagnostic pertinent mais incomplet, le document cadre définit les quatre objectifs majeurs de notre coopération et les quatre zones géographiques prioritaires avant d'introduire la notion de partenariats géographiques différenciés.
Les objectifs majeurs de notre coopération sont la prévention des crises et des conflits, la lutte contre la pauvreté, le défi de la croissance et la préservation des biens publics mondiaux.
Sans surprise, ce sont des objectifs communs à la communauté internationale. La nouveauté par rapport au précédent CICID consiste à placer en tête la prévention des crises et des conflits. Nous retrouvons là la préoccupation d'insérer l'aide au développement dans les préoccupations de politique étrangère. Les crises se nourrissent en effet presque toujours d'un contexte de forte pauvreté sur des territoires où les Etats sont en difficulté. C'était vrai en Afghanistan, ce le sera peut-être demain dans le Sahel. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que l'aide au développement doit jouer un rôle de prévention. Comme en médecine, il est préférable de prévenir plutôt que de guérir, surtout s'il faut ensuite intervenir militairement.
La lutte contre la pauvreté est le deuxième objectif. Elle est au coeur de l'aide au développement et des objectifs du millénaire pour le développement, les fameux « OMD » dont l'Assemblée générale de l'ONU fera le bilan en septembre prochain.
La communauté internationale a accompli des progrès importants dans la réalisation de plusieurs OMD. Nous ignorons trop souvent les succès. Les taux de mortalité infantile ont baissé, l'espérance de vie a augmenté, la population des pays en développement ayant accès à l'eau potable a augmenté.
Je ne vous étonnerai pas en vous disant que la réalisation de ces objectifs est loin de progresser de façon uniforme selon les pays ou selon les objectifs eux-mêmes.
Je crois néanmoins que nous devons maintenir le cap. Soutenir la logique des OMD, qui est une logique de résultats, avec des objectifs très concrets comme les taux de scolarisation et les taux de vaccinations.
Il nous faut aussi maintenir notre effort en termes de moyens. Notre aide pour le développement a atteint en 2009, 0,46 % du PIB. Nous sommes parmi les premiers pays du monde, un peu en deçà de la Grande-Bretagne, qui a atteint 0,51 %. Dans le contexte actuel de déficit de finances publiques, l'objectif de 0,7 % en 2015 sera difficile à atteindre. C'est un enjeu pour l'aide au développement, c'est aussi un enjeu pour la place de la France dans le système des Nations unies que de se montrer exemplaire à une époque où la place de la France pourrait être remise en cause dans les instances internationales. Pour les pays en voie de développement et les pays émergents, ce sera un test de notre crédibilité.
Le troisième objectif est le défi de la croissance ; c'est un objectif qui est complémentaire avec celui de la lutte contre la pauvreté. On n'aidera pas seulement ces pays avec le développement des services publics de base. Il faut favoriser la croissance économique. Le décollage des pays émergents a entraîné dans leur pays un recul majeur de la pauvreté. L'objectif est d'entraîner l'Afrique dans cette voie. Le soutien de la croissance, c'est les infrastructures, mais c'est aussi l'engagement de l'AFD dans des fonds d'investissements et de soutien aux entreprises, des systèmes de garanties aux réseaux bancaires africains qui permet indirectement d'irriguer le tissu social et de générer de l'emploi.
Je vous propose de marquer notre soutien à cet objectif. C'est lui qui créera les conditions pour que ces pays deviennent autonomes.
J'observe que le soutien à la croissance va au-delà de la simple mobilisation financière et couvre les négociations commerciales et toutes les actions qui assurent la cohérence de nos politiques à l'égard des pays en développement. Il est beaucoup plus efficace et beaucoup plus conforme à la dignité des pays africains de leur permettre d'assurer leur croissance par les échanges. La France doit soutenir dans les futures négociations commerciales l'amélioration des régimes préférentiels pour les exportations des pays d'Afrique subsaharienne à bas revenus. Si nous nous félicitons que le document-cadre fasse référence à la nécessaire cohérence des politiques publiques, nous regrettons qu'il ne définisse pas des objectifs concrets en la matière.
Le quatrième objectif est la préservation des biens publics mondiaux. Il s'agit bien sûr, là, du climat ou de la biodiversité. Les enjeux climatiques sont au coeur de l'agenda international. Cela concerne les pays émergents, qui seront responsables, dans les 30 ans à venir, de 80 % de l'augmentation de la consommation d'énergie. Cela concerne également l'Afrique qui a aujourd'hui le système de production électrique le plus cher et le plus polluant au monde.
L'une des leçons de la conférence de Copenhague est que le ralliement des pays en développement à nos préoccupations passe par un engagement renouvelé de nos pays sur les questions de développement et d'environnement. Aujourd'hui les deux sont liés.
Les enjeux en termes financiers sont considérables. Pour une part, cet objectif concerne tous les projets d'aide au développement sans forcément renchérir leur coût. Pour une autre part, cet objectif conduit à intervenir dans des pays où nous n'interviendrions pas autrement, comme l'Indonésie pour lutter contre la déforestation ou sur des nouveaux projets comme les projets pilote en matière d'énergies renouvelables.
On ne peut que souscrire à cet objectif, mais aussi attirer l'attention sur le fait qu'il est de nature à capter une partie très significative des financements aujourd'hui consacrés à l'aide au développement.
Les chiffres avancés à Copenhague sont sans commune mesure avec les moyens déployés pour la lutte pour le développement. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'accord prévoit la mise en place de ressources financières additionnelles. C'est pour cela qu'il nous faut militer pour des financements innovants.
Le document-cadre propose une application différenciée de ces objectifs selon les zones concernées.
Il définit comme première priorité géographique l'Afrique subsaharienne. L'Afrique, c'est 1,8 milliard d'habitants en 2050, c'est-à-dire trois fois plus que l'Europe demain, plus que l'Inde, plus que la Chine, juste en-dessous de la Méditerranée. C'est, par ailleurs, comme l'a souligné M. Abdou Diouf lors de son audition le 2 juin dernier, 600 millions de francophones en 2050.
Le document-cadre propose de réserver l'essentiel de nos subventions et de nos prêts à l'Afrique subsaharienne. Nous vous proposons même de demander à ce que soient renforcés les critères de concentration sur l'Afrique tant il nous semble que notre aide bilatérale s'est affaiblie sur ce continent.
Par ailleurs, je regrette l'absence d'une formalisation d'une stratégie française à l'égard des outils multilatéraux intervenant en Afrique. Aujourd'hui plus 50 % de notre aide passe par ce canal. Nous vous proposons d'insister sur la nécessité de renforcer la qualité de notre partenariat avec les institutions multilatérales en Afrique afin que la programmation de ces organismes reflète bien nos priorités.
Comme l'a dit le Président de la République en clôture du XXVème Sommet Afrique-France le 1er juin «Sur l'échec de l'Afrique se construira le désastre de l'Europe et sur le succès de l'Afrique se construira la croissance, la paix et la stabilité de l'Europe.»
La deuxième zone prioritaire est la Méditerranée. Le document cadre propose de faire de l'aide au développement un instrument majeur pour relancer le cadre politique de l'Union pour la Méditerranée. A travers les projets de dépollution de la Méditerranée, de gestion durable de l'eau, nous pouvons créer une solidarité régionale essentielle à la stabilité de l'Europe.
La troisième zone géographique prioritaire est constituée par les pays émergents dans lesquels nous poursuivons deux objectifs : créer un partenariat avec les grands pays qui façonneront le monde de demain tels que la Chine, l'Inde ou le Brésil -il y va de notre intérêt politique- et de les inciter à adopter un modèle de développement plus respectueux de l'environnement. Le document cadre propose de réserver à cette zone l'instrument du prêt complété, le cas échéant, par de l'assistance technique.
Je crois qu'il faut approuver cet objectif mais demander d'avoir une vision claire du coût budgétaire de nos interventions dans les pays émergents. Actuellement ces pays représentent environ 6 % de nos interventions. Elles sont plafonnées à 15 % des bonifications d'intérêt de l'AFD. C'est une proportion raisonnable que nous nous proposons d'inscrire dans le document-cadre. Je souhaite par ailleurs qu'on soit peut être plus sélectif dans le choix de nos pays d'intervention. On peut se demander si c'est vraiment stratégique que l'AFD intervienne en Colombie ?
La dernière zone géographique prioritaire concerne les pays en crise. Il s'agit de la région du Sahel, du Moyen-Orient, de l'Afghanistan et du Pakistan. Il faut être plus réactif tout en gardant à l'esprit des objectifs de long terme et en se coordonnant avec les autres bailleurs de fonds afin que toutes les aides ne se focalisent pas une année sur un pays. En 2007, par exemple, l'aide par habitant en Irak était de 311 dollars contre 52 par habitant pour le Soudan et 13 pour l'Éthiopie.
Sous réserve de ces observations, nous nous proposons d'approuver les objectifs généraux proposés, qui sont finalement communs à la communauté internationale.