Intervention de André Vantomme

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 juin 2010 : 1ère réunion
Orientations de la politique française de coopération et de développement — Examen du rapport d'information

Photo de André VantommeAndré Vantomme, co-rapporteur :

J'en viens aux modalités de mise en oeuvre de cette stratégie. Cela a été souligné par tous les intervenants de la table ronde, on ne peut que déplorer l'absence dans ce document de perspectives budgétaires.

Nous le constatons dans nos collectivités territoriales : les idées ne valent que par les moyens qu'on y consacre.

Dans le même temps, il faut bien concéder que les auteurs du document se sont évertués à définir les objectifs de notre coopération pour les dix ans à venir. Il fallait donc prendre du champ par rapport aux négociations budgétaires dont les résultats sont de toute façon très incertains dans le contexte actuel.

Mais le document cadre devrait au moins définir les besoins.

Je vous propose, par exemple, de demander que le bilan des efforts budgétaires nécessaires à la tenue de l'ensemble des engagements internationaux de la France en matière d'aide au développement soit joint au document cadre. Il y a les 0,7 %, mais il y a beaucoup d'autres engagements. Nous ne sommes pas avares de promesse.

Une fois ces besoins estimés, fallait-il définir des objectifs chiffrés ? Il était bien sûr difficile de préjuger des négociations budgétaires en donnant des montants en valeur absolue. On pourrait néanmoins imaginer de définir des pourcentages pour chaque priorité.

C'est en partie le cas pour les priorités géographiques puisque le document-cadre indique que la France consacrera 60 % de son effort budgétaire à l'Afrique subsaharienne.

Nous vous proposons de demander à ce que soit renforcé le ciblage sur les pays pauvres afin que soient consacrés 50 % des dons programmables de l'aide bilatérale sur 14 pays pauvres prioritaires et que soit explicitement dit que les pays émergents ne dépassent pas 15 % des bonifications de l'AFD.

Pouvait-on aller au-delà ? Il nous a semblé que l'exercice était assez délicat, qu'il était assez difficile de définir un chiffre qui puisse tenir 10 ans. Aussi, nous sommes-nous contentés, pour le reste, de définir les grandes orientations que nous souhaitons voir adopter.

La première est de demander la restauration d'une capacité d'initiative de nos instruments bilatéraux de coopération.

Lors de la table ronde, tous les intervenants ont été unanimes pour souligner que la capacité d'initiative de nos services est aujourd'hui très réduite. On a pu le constater dans les postes à l'étranger : il manque parfois quelques dizaines de milliers d'euros pour pouvoir soutenir des projets. Même notre capacité à entraîner des acteurs multilatéraux est aujourd'hui mise à mal par la réduction de nos moyens bilatéraux.

S'agissant de notre aide multilatérale, celle qui passe par la Banque mondiale, le PNUD et le Fonds européen de développement, ces institutions ont indiscutablement une vraie légitimité et une vraie compétence à intervenir dans les pays en développement. La question qui se pose est celle de la qualité de notre partenariat avec ces organisations multilatérales dont je regrette qu'elle ne fasse pas l'objet de plus grands développements dans le document-cadre.

Un des objectifs de notre coopération doit être d'obtenir dans la définition de la programmation des organismes multilatéraux un poids proportionnel à nos contributions. La France est en moyenne le 2ème contributeur aux grandes institutions multilatérales. Nous devons obtenir qu'il y ait une plus grande cohérence entre nos priorités et les programmes de ces organismes. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Cela exige une vraie stratégie de la part de la France et c'est pour cela qu'il faut insister sur la notion de partenariat. C'est un objectif qu'il faut inscrire dans le document-cadre.

Nous vous proposons d'ailleurs que chaque reconstitution des fonds multilatéraux soit systématiquement précédée d'une évaluation de ce partenariat. On ne doit pas remettre de l'argent dans un fonds sans avoir évalué la qualité de notre partenariat avec ce fonds.

Je pense en particulier au Fonds européen de développement (FED) auquel nous contribuons chaque année à hauteur de 900 millions d'euros. Les négociations sont en cours. Je regrette à cet égard que le document stratégique sur la politique européenne de développement ne fasse pas l'objet d'une consultation du Parlement. Je crois, en tous les cas, nécessaire de demander l'évaluation de notre partenariat avec le FED.

En ce qui concerne le financement de l'aide au développement au niveau international, le document-cadre préconise ce qu'il appelle une vision globale du financement. Cette vision consiste à prendre en compte l'ensemble des financements, c'est-à-dire non seulement l'aide publique au développement, mais également les investissements directs des entreprises et les flux financiers des migrants, ainsi que les recettes fiscales des pays en développement.

Autant je pense qu'il faut bien recenser les sources de financement des pays en développement, autant je crois qu'il ne faut pas tout mélanger. On ne peut pas assimiler les investissements directs, et même les flux financiers des migrants, à des leviers financiers à la disposition de la politique d'aide au développement. Les investissements directs des entreprises vont, nous le savons, au sein des pays en voie de développement, dans les pays émergents. Les flux financiers des migrants sont, quant à eux, destinés à des dépenses de consommation des familles qui restent au pays. Il est vrai qu'on peut chercher à orienter ces flux vers des investissements durables, mais ce n'est pas la même chose qu'une politique d'aide au développement.

Sur l'Aide Publique au développement (APD), il faut sans doute moderniser les indicateurs et les compléter. Aujourd'hui l'APD comptabilise des actions qui ne sont pas de l'aide au développement et en oublie d'autres. Tout cela doit se discuter au sein de l'OCDE. Je vous propose donc de demander que ces problématiques soient bien distinguées.

Nous croyons enfin avec le document-cadre, que l'aide au développement doit avoir pour contrepartie un effort des pays partenaires pour mettre en place un système fiscal efficace. C'est la garantie de leur autonomie et d'un financement durable des services publics.

En ce qui concerne l'architecture internationale de l'aide au développement, nous vous proposons d'inviter le gouvernement à faire des propositions dans le sens d'une plus grande simplification et d'une plus grande cohérence. Aujourd'hui, le monde du développement ressemble, au niveau international, à un écosystème dans lequel il y a toujours plus de naissances et plus aucun mort. Il y a aujourd'hui 365 organismes habilités à recevoir des fonds d'aide au développement. C'est trop, c'est trop complexe. Il est donc souhaitable que la France, dans un document stratégique à 10 ans, exprime sa vision d'une architecture plus cohérente.

Le dernier chapitre du document-cadre est consacré à l'évaluation et à l'explication des enjeux de l'aide au développement aux citoyens et aux contribuables. Je me félicite que le document-cadre fixe pour objectif une plus grande association des ONG à la définition et au suivi de la politique de coopération.

Nous souhaitons que la promotion des actions des ONG et des collectivités territoriales soit considérée comme un objectif stratégique et que l'Etat puisse, dans le respect de leur autonomie, les aider à structurer leurs efforts dans ce domaine.

Nous regrettons, en revanche, qu'il ne soit pas fait mention du Parlement.

Au-delà même de nos missions institutionnelles qui nous conduisent naturellement à contrôler l'utilisation des deniers publics par le Gouvernement, je rappelle que l'aide publique au développement en France représente quand même quelques milliards d'euros. Nos assemblées doivent mener sur ce sujet un travail d'explication : explication des enjeux à long terme, explication des préoccupations des citoyens qui souhaitent savoir à quoi sert l'argent consacrée à notre coopération.

Pour jouer pleinement notre rôle de contrôle, je vous propose de demander que nous puissions avoir le concours des organismes chargés des évaluations de la politique d'aide au développement. Il est vain de penser qu'avec les moyens dont nous disposons, nous pouvons contrôler nos contributions au Fonds européen de développement. Ces 900 millions concourent à d'innombrables actions, projets, dans plus d'une centaine de pays. En revanche, il serait utile que nous puissions avoir un droit de tirage dans la programmation de ces organismes pour passer commande d'une évaluation à partir de laquelle nous pourrions mener un travail de réflexion.

De même, je crois utile dans nos recommandations d'évoquer l'amélioration des documents budgétaires. Comme l'ont souligné plusieurs intervenants lors de la table ronde, ces documents sont particulièrement opaques, si bien que même les spécialistes ne s'y retrouvent pas.

Je propose également que les catégories que mon collègue Cambon a évoquées, les priorités thématiques et les priorités géographiques, soient traduites en indicateurs de performances et soient intégrées dans le document de politique transversale qui est annexé au projet de loi de finances. Il faut qu'on puisse ainsi suivre ces priorités et savoir chaque année où elles en sont.

Nous vous proposons enfin, Christian Cambon l'a évoqué, que nous demandions à ce qu'une loi d'orientation sur le développement soit présentée à échéance régulière au Parlement, comme c'est le cas dans de nombreux pays d'Europe.

En conclusion, il me semble qu'il s'agit d'un document de qualité qui gagnerait à prendre en compte les observations que nous avons formulées. Nous n'avons pas à voter sur ce document qui je le rappelle est un document interne à l'Exécutif. Nous avons en revanche à émettre des recommandations. Nous vous proposons donc de rassembler les recommandations que nous avons formulées avec mon collègue Christian Cambon et de les adresser au ministre des affaires étrangères afin que le groupe de travail qui rédige ce document prenne en compte nos remarques avant que le document cadre ne soit définitivement adopté par le prochain CICID.

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