Nous examinons aujourd'hui le traité relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes signé à Londres lors du sommet franco-britannique du 2 novembre 2010. Ce traité prévoit la construction par la France et le Royaume-Uni, sur le territoire français, d'un outil d'expérimentation commun nécessaire à la simulation pour les armes nucléaires. C'est le projet Epure.
Le même jour a été signé à Londres un autre traité à vocation plus générale, qui fixe le cadre de la coopération bilatérale en matière de défense et de sécurité. L'article 53 de la Constitution définit précisément les cas dans lesquels la ratification d'un traité doit être autorisée par la loi. En raison de sa nature générale, le traité-cadre de coopération ne relève pas de cet article 53. En particulier, il n'engage pas les finances de l'Etat et ne modifie pas des dispositions de nature législative. Les actions de coopération qui en découlent feront l'objet d'accords ou d'arrangements particuliers.
En conséquence, seul le traité sur l'installation commune Epure, qui comporte quant à lui des engagements financiers pour l'Etat, est soumis à procédure d'approbation parlementaire.
Parmi les différentes coopérations décidées à Londres en novembre dernier, Epure constitue un projet majeur par sa dimension scientifique et le montant des économies qu'il va permettre de réaliser. Mais ce projet est surtout important par sa dimension stratégique, puisqu'il touche à la dissuasion nucléaire et initie une coopération européenne dans ce domaine où le Royaume-Uni entretenait jusqu'ici une relation pratiquement exclusive avec les Etats-Unis.
En préalable, il faut rappeler qu'au sommet de Londres a été établie une feuille de route ambitieuse pour la coopération de défense franco-britannique, avec l'objectif, pour chacun des deux Etats, de pouvoir préserver des capacités militaires essentielles ainsi qu'une base industrielle et technologique de premier plan, malgré un contexte budgétaire difficile.
Le Royaume-Uni a prévu de réduire de 8 % son budget de défense d'ici 2015, avec des conséquences telles que le retrait de son porte-avions et un « trou » capacitaire sur l'aviation embarquée jusqu'en 2020, la renonciation à l'aviation de patrouille maritime, la réduction de format de la flotte de surface, de l'aviation et des forces terrestres.
Certes, si les Britanniques s'orientent vers des coopérations accrues avec la France, c'est sans doute moins par choix que par nécessité. Il ne faut pas méconnaître les obstacles auxquels pourrait se heurter la mise en oeuvre pratique de ces coopérations, notamment les contraintes liées aux arbitrages financiers propres à chaque pays ou les inévitables différences d'appréciation portant sur les besoins opérationnels et les priorités industrielles.
Toutefois, les décisions annoncées à Londres concilient l'ambition et le pragmatisme. Les objectifs de coopération qui ont été identifiés portent sur un nombre limité de domaines présentant un intérêt majeur pour l'un et l'autre pays.
Je pense bien entendu à la dissuasion nucléaire, mais également aux systèmes de combat sous-marins, aux satellites de télécommunications et aux drones d'observation et de combat. On constate que les perspectives tracées sur les drones ont déjà amené BAe et Dassault à établir une proposition commune pour un drone d'observation à l'horizon 2020. On sait que le rapprochement entre ces deux industriels est indispensable si l'on veut pouvoir réaliser un appareil européen pour la prochaine génération d'avions de combat. Toujours dans le domaine industriel, il faut également souligner l'importance de la consolidation entre les entités française et britannique de MBDA (One MBDA) en vue de pérenniser une présence européenne dans le domaine très concurrentiel des missiles.
Cette relance de la coopération supposait une impulsion politique forte. On peut constater que David Cameron s'est pleinement inscrit dans les jalons qui avaient été posés par le gouvernement précédent. Cette impulsion politique devra être maintenue dans la durée. C'est pourquoi le traité de coopération a prévu une structure de pilotage au plus haut niveau avec, côté français, le chef d'état-major particulier et le conseiller diplomatique du Président de la République, et côté britannique, le conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre. A l'échelon immédiatement inférieur se situent deux autres organes : d'une part le groupe de travail de haut niveau, avec le DGA et le secrétaire d'Etat à l'équipement britannique, groupe qui existait depuis 2006 et a déjà fait oeuvre très utile dans le domaine de l'armement ; d'autre part la réunion des deux chefs d'état-major des armées, pour les aspects opérationnels.
C'est également pour soutenir cette dynamique de coopération que notre président, Josselin de Rohan, s'est fortement investi pour mettre en place un suivi parlementaire franco-britannique. La première réunion a eu lieu quelques jours après le sommet de Londres.
Je voudrais revenir sur le débat dans lequel on a voulu opposer ce renforcement de la coopération bilatérale et l'avenir de l'Europe de la défense.
Premièrement, il faut rappeler que la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays européens à disposer de toute la gamme des capacités militaires, et cela se reflète dans le niveau de leurs budgets de défense. Leur statut international, l'étendue des relations qu'ils entretiennent sur l'ensemble des continents les amènent objectivement à jouer un rôle de premier plan en matière de sécurité internationale. Il est évident qu'un effritement des capacités militaires françaises et britanniques nuirait à la défense européenne dans son ensemble. En cherchant à optimiser leurs moyens et à préserver leurs capacités, les deux pays obéissent à leurs intérêts nationaux, mais ils contribuent aussi à maintenir une contribution européenne significative dans l'OTAN et une base solide pour les opérations de la politique de sécurité et de défense commune. On a trop souvent regretté que le Royaume-Uni ne se tourne pas suffisamment vers l'Europe en matière de défense pour lui reprocher aujourd'hui une coopération renforcée avec l'autre acteur militaire européen majeur qu'est la France.
Deuxièmement, la coopération franco-britannique n'est pas exclusive de la participation d'autres partenaires européens aux projets décidés en commun, dès lors qu'ils partagent les mêmes objectifs. Elle n'est pas non plus exclusive d'autres formats de coopération, car elle ne couvre pas, loin de là, tout le champ potentiel de ces coopérations. A titre d'exemple, dans le domaine spatial, les deux pays souhaitent coopérer sur les satellites de télécommunications, mais le Royaume-Uni n'est pas impliqué dans les satellites d'observation, qui font l'objet pour leur part d'une coopération associant d'autres pays, dont la France.
Enfin, on peut constater que cette démarche de coopération réaliste, fondée sur de véritables besoins et calendriers communs, a été montrée en exemple par plusieurs responsables étrangers. Elle témoigne que des partages de capacités ou des dépendances mutuelles sont envisageables. Il est souhaitable que d'autres groupes de pays engagent, sur le même modèle, des coopérations de nature à mieux utiliser leurs ressources.
C'est pourquoi cette coopération, bien que bilatérale, me paraît incontestablement utile pour l'Europe dans son ensemble.
J'en viens maintenant au traité qui nous est soumis aujourd'hui. Il touche au domaine de la dissuasion nucléaire et constitue un volet marquant des décisions prises à Londres.
Il faut rappeler d'emblée que ce traité porte sur un aspect bien délimité et précis des programmes nucléaires militaires des deux pays : les techniques de simulation permettant de garantir la fiabilité et la sûreté des armes nucléaires sans essais en vraie grandeur. Il faut souligner également que cette coopération ne porte pas sur la mise au point des armes elle-même. Il s'agit de partager l'utilisation d'une installation construite en commun, où chacun pourra effectuer séparément ses propres expérimentations, en totale souveraineté.
Il est utile de préciser, à ce stade, la situation du Royaume-Uni en matière de dissuasion nucléaire. Depuis une quinzaine d'années, avec la décision de supprimer la composante aérienne en 1993, la dissuasion britannique repose sur une seule composante, la composante sous-marine.
Les Britanniques construisent eux-mêmes leurs sous-marins. Ils achètent leurs missiles balistiques Trident aux Etats-Unis, qui en assurent le maintien en condition opérationnelle dans le cadre d'un programme commun pour l'ensemble du stock.
En ce qui concerne les têtes nucléaires, celles-ci sont réalisées par le Royaume-Uni, en liaison étroite avec les laboratoires américains. Le Royaume-Uni dispose d'une capacité autonome de conception et probablement de fabrication de la charge nucléaire proprement dite. Il s'appuie fortement sur la coopération avec les Etats-Unis pour les autres parties de l'arme, notamment le corps de rentrée et l'électronique.
Comme la France, le Royaume-Uni a signé en 1996 le traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Nos deux pays ont d'ailleurs déposé le même jour, le 6 avril 1998, leur instrument de ratification. Comme la France, le Royaume-Uni recourt à la simulation pour valider le fonctionnement de ces armes.
Pour mettre en oeuvre cette capacité de simulation, les deux pays font appel à des moyens similaires : des moyens de calcul très puissants, des travaux de physique théorique et la validation expérimentale de ces travaux.
Cette validation expérimentale fait appel à deux grands types d'outils :
- des lasers extrêmement puissants pour étudier, sur une quantité infime de matière, les phénomènes thermonucléaires ; la France construit à cet effet le laser mégajoule ; le Royaume-Uni a pour sa part accès au laser américain (National Ignition Facility - NIF) qu'il a en partie contribué à financer ;
- des installations radiographiques pour étudier la phase initiale du fonctionnement de l'arme ; ce que l'on appelle la phase « froide », avant que ne démarre le dégagement d'énergie nucléaire ; nous avons déjà, depuis 2001, une machine radiographique, dénommée Airix et située au camp de Moronvilliers, près de Reims ; les Britanniques ont eux aussi une machine de ce type, mais plus ancienne.
C'est sur les installations radiographiques que porte le traité du 2 novembre dernier.
La France et le Royaume-Uni avaient, chacun de leur côté, des projets similaires de perfectionnement de ces installations. Il y avait donc une grande convergence de besoins et de calendriers. La Direction des applications militaires du CEA et son homologue britannique, l'Atomic Weapons Establishment (AWE), sont arrivés à la conclusion qu'une installation commune permettrait de satisfaire le besoin de chaque pays. Il restait, sur ce domaine hautement sensible, à obtenir un accord politique et à définir des modalités pratiques apportant à chaque pays les mêmes garanties que s'ils disposaient d'une installation strictement nationale.
Le traité que nous examinons aujourd'hui constitue l'aboutissement de ces discussions.
Mon rapport écrit comportera tous les détails sur cette installation commune qui sera réalisée au centre CEA de Valduc, en Côte d'Or, et qui se dénommera Epure, c'est-à-dire « Expérimentations de physique utilisant la radiographie éclair ».
Epure sera utilisée pour simuler des tirs sur des maquettes d'armes nucléaires constituées de matière inerte. Elle étudiera le comportement des matériaux dans la phase initiale de fonctionnement de l'arme. Pour résumer, on peut dire que notre machine actuelle, Airix, ne comporte qu'un axe de visée. Elle effectue des radiographies en une seule dimension. Epure comportera trois axes de visée. Elle fournira des images en trois dimensions, ou des images prises à trois moments différents.
Concrètement, la réalisation d'Epure comportera trois étapes :
- d'ici 2015, la machine Airix sera déménagée de Moronvilliers à Valduc ;
- en 2019, une deuxième machine dite « IVA », réalisée et financée par les Britanniques, rejoindra Airix pour constituer le deuxième axe de visée ;
- enfin, en 2022, l'installation sera complétée par une troisième machine qui sera conçue, développée et financée en commun par la France et le Royaume-Uni ; les travaux de recherche et développement pour cette troisième machine se dérouleront dans un centre de recherche britannique, à Aldermaston.
Le CEA d'une part, l'AWE britannique d'autre part, disposeront à Valduc de locaux séparés et sécurisés où seront préparées les expériences et analysés les résultats. Une trentaine de Britanniques travailleront en permanence à Valduc et seront rejoints par quelques dizaines d'autres au moment des expériences. Une dizaine de salariés du CEA effectueront des travaux de recherche centrés sur les techniques de radiographie à Aldermaston.
Le traité du 2 novembre formalise le contenu, le déroulement et le calendrier du programme. Il pose le principe du partage des coûts sur la construction de la 3è machine et sur le fonctionnement de l'installation.
Les dispositions relatives aux garanties et modalités d'accès sont particulièrement importantes. La France s'engage à garantir l'accès du Royaume-Uni à Epure durant 50 ans. Le Royaume-Uni prend l'engagement réciproque pour le centre de recherche commun. Le traité prévoit le statut des zones dédiées à une utilisation exclusivement nationale. L'accès à ces zones est régi par les autorités de chaque pays.
Le traité comporte également une série de dispositions très précises sur les règles applicables en matière de sûreté, de gestion des déchets ou de responsabilité.
Ce traité et la coopération qu'il permet d'engager m'apparaissent comme l'un des résultats marquants du sommet de Londres.
Premièrement, grâce au partage des investissements, cette coopération va générer une économie appréciable pour la France : 200 millions d'euros entre 2015 et 2020, auxquels il faut ajouter 200 à 250 millions d'euros après 2020, soit un total compris entre 400 et 450 millions d'euros sur la durée de vie de l'installation.
Ces économies vont dégager une marge de manoeuvre pour le budget de la défense. Elles n'avaient pas été intégrées dans l'enveloppe financière définie par le Livre blanc, puisque la réalisation d'une installation commune n'étant pas envisagée à cette époque.
Deuxièmement, cette coopération ouvre également aux scientifiques et experts des deux pays la possibilité de partager leur savoir-faire en matière de technologies de mesure et de mise en oeuvre des expériences. Chaque pays conservera l'entière responsabilité de ses expériences et la propriété des résultats, mais le regroupement sur un même site sera propice aux échanges scientifiques et à l'émulation. Il s'agit d'un élément non négligeable dans la perspective du maintien, sur le long terme, de la qualité et de la motivation des scientifiques en charge de la garantie des armes.
Troisièmement enfin, cette coopération en matière nucléaire militaire comporte une dimension politique majeure. Elle s'effectuera dans le plein respect de la souveraineté de chaque Etat, mais elle témoigne de leur très haut degré de confiance, dans un domaine où le Royaume-Uni entretenait historiquement une relation privilégiée avec les Etats-Unis. Ces derniers ont d'ailleurs été précisément informés du contenu de l'accord.
Elle marque aussi très clairement la volonté de la France et du Royaume-Uni de garantir la crédibilité de leur dissuasion. Nos deux pays présentent, en matière de dissuasion nucléaire, une grande proximité de posture et de doctrine. Les raisons pour lesquelles le Royaume-Uni souhaite conserver une « dissuasion nucléaire minimale » et la France une dissuasion « strictement suffisante » sont analogues. La Strategic Defence Review britannique et le Livre blanc français tiennent sur ce point un langage très voisin.
C'est pourquoi la France et le Royaume-Uni ont soutenu des positions similaires dans le débat nucléaire qui a marqué l'année 2010 à la Conférence d'examen du TNP et à l'OTAN, lors de la rédaction du nouveau concept stratégique.
Dans le préambule du traité du 2 novembre 2010, la France et le Royaume-Uni soulignent « l'importance de la dissuasion nucléaire, qui est un élément-clé de leurs stratégies de défense nationales et alliées », et ils réaffirment « qu'ils n'envisagent pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l'une des parties pourraient être menacés sans que ceux de l'autre le soient aussi ». Les deux pays se disent déterminés à maintenir « une capacité nucléaire minimale crédible, cohérente avec le contexte stratégique et de sécurité de leurs engagements en vertu de l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord ».
Cette crédibilité est essentielle au regard de la défense de chacun des deux pays, mais elle joue un rôle plus large, à l'échelle européenne. Comme ils le rappellent également dans le préambule du traité, la France et le Royaume-Uni considèrent que leurs forces nucléaires « contribuent à la sécurité de l'Europe dans son ensemble ».
Il me semble que ce traité conforte le maintien d'une capacité de dissuasion nucléaire en Europe. La possession d'une telle capacité par des pays européens reste nécessaire dans un monde marqué par la subsistance d'arsenaux importants et le risque de prolifération nucléaire, notamment au Moyen-Orient.
Je vous propose d'adopter ce projet de loi qui présente un intérêt financier évident pour notre défense et donne une nouvelle dimension, tout à fait stratégique, à notre coopération avec le Royaume-Uni.