Le Parlement européen et le Conseil ont adopté en 2009 le « paquet défense ». Ce paquet est formé de deux directives qui trouvent leur fondement dans une communication antérieure de la Commission européenne. Il s'agit de :
- la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 5 décembre 2007, intitulée : « stratégie pour une industrie européenne de la défense plus forte et plus compétitive » ;
- la directive 2009/43/CE du 6 mai 2009 simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la défense dans la Communauté ; plus communément dénommée « transferts intra-communautaires » (TIC) ;
- la directive 2009/81/CE du 13 juillet 2009 « relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE » ; plus communément dénommée « marchés publics de défense et de sécurité » (MPDS).
La communication de 2007 pose l'équation fondatrice selon laquelle : la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), rebaptisée par le traité de Lisbonne politique de sécurité et de défense commune (PeSDC), ne peut se passer d'une base industrielle et technologique de défense forte en Europe (BITDE) et que seule une BITDE compétitive peut donner à l'Europe les moyens de concevoir et de fabriquer des équipements de défense de manière autonome et à un coût abordable.
La première directive de mai 2009 simplifie les conditions des transferts de produits liés à la défense au sein de l'espace économique européen. Elle doit être transposée avant le 30 juin 2011.
La seconde directive de juillet 2009 harmonise les règles émanant des codes de marchés publics des Etats membres pour permettre une meilleure transparence et plus de concurrence dans le processus d'achat des équipements de défense. Elle doit être transposée avant le 21 août 2011.
Ensemble, ces textes marquent un tournant par rapport au régime dérogatoire des règles du marché unique qui régit la production et l'achat d'armement. Ce régime, fondé sur l'article 296 du traité des Communautés européennes, devenu le nouvel article 346 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE), permet à chaque Etat d'éviter de recourir à la concurrence, chaque fois qu'il estime que ses intérêts essentiels en matière de sécurité sont en jeu.
L'interprétation extensive de cet article avait permis à certains Etats européens de protéger leurs industries de défense de toute ouverture à la concurrence européenne. Cette utilisation abusive, allant jusqu'à fermer des marchés civils en évoquant de faux motifs liés à la préservation des intérêts de sécurité, pénalisait les Etats membres ayant une forte industrie de défense. Cela avait conduit à un contentieux naissant devant la Cour de justice des Communautés Européennes (CJCE) sur le bien fondé du recours à l'article 296.
Face au risque d'extension jurisprudentielle du domaine de la libre concurrence, les industriels européens ont milité en faveur d'une réglementation plus claire. C'est ce qui a donné naissance aux directives du paquet défense, qui ont été finalisées pendant la présidence française de l'Union européenne (PFUE) au second semestre 2008.
Si le droit issu des négociations préserve la spécificité des marchés de défense et de sécurité d'une application mécanique des règles du marché, il n'impose pas formellement une clause de préférence communautaire, même si les outils juridiques contenus dans les directives s'en rapprochent.
Pourtant, l'émergence d'une authentique BITDE suppose l'existence d'une préférence communautaire comme d'un principe de réciprocité.
C'est dire l'importance de cette transposition. Il revient au Législateur national de trouver un juste équilibre entre, d'une part, une salutaire ouverture à la concurrence qui stimulera l'innovation, améliorera la compétitivité des entreprises et permettra aux Etats de réduire les coûts d'acquisition des biens d'équipement, et d'autre part, une trop grande ouverture qui détruirait bon nombre d'entreprises et nous rendrait trop dépendants d'armes fabriquées par d'autres pour assurer notre propre défense.
C'est dire également la nécessité pour notre Parlement de rester vigilant sur les évolutions futures du droit européen. Le droit qui vient d'être écrit par le Parlement européen et le Conseil sera amené à évoluer. Il est possible qu'un « paquet défense II » voie le jour à plus ou moins longue échéance. Il faudra alors veiller en particulier à ce que celui ne soumette pas les programmes de R & D de défense au libre jeu de la concurrence car cela conduirait à faire financer les entreprises des Etats qui font le moins d'effort en matière de défense par les contribuables des Etats qui en consentent le plus. Cela ne serait pas acceptable.
Je souhaiterai, dans le cadre de cette discussion générale faire cinq observations.
La première est que la production et le commerce des armes de guerre et de leurs munitions ne pourront jamais être considérés comme une production et un commerce ordinaires.
Fabriquer des armes de guerre pour les armées n'est pas produire des biens de consommation pour le public. Les utiliser, dans le respect des règles internationales, est du monopole légitime de l'Etat. En autoriser l'exportation est un acte politique. En importer suppose d'avoir une grande confiance en l'Etat qui les fournit, dans sa volonté de continuer les approvisionnements.
Un Etat peut être souverain sans pour autant produire d'armes. Mais aucun Etat souverain digne de ce nom ne peut rester indifférent à la production ni au commerce de ses armes.
Par ailleurs, un Etat peut-il être indépendant sans base industrielle de défense (BID) autonome ?
La France considère qu'une BID autonome est l'une des conditions de son indépendance.
D'autres pays en Europe, ou ailleurs, ont apporté à cette question une réponse plus nuancée, soit qu'ils n'aient pas les moyens d'entretenir une base industrielle autonome, soit qu'ils estiment avoir une communauté de destin avec un Etat ou une alliance plus forte.
Il est pourtant évident que l'industrie de défense est l'un des moteurs du développement économique et de la puissance industrielle d'un pays, ou d'une communauté de pays dans le cas de l'Europe.
La R&D en matière de défense est particulièrement innovante. C'est, par construction, une R&D de « rupture », puisqu'il s'agit de réaliser des armes apportant un avantage décisif sur les autres et donc de mettre en oeuvre des technologies qui n'existent pas.
Elle s'oppose en cela à la R&D civile qui est plus souvent « incrémentale ». C'est pour cette raison que la R&D militaire est stratégiquement importante et que les programmes d'armement sont, en règle générale, plus longs et plus couteux que prévu.
Beaucoup d'innovations viennent de la R & D militaire et profitent à l'ensemble de l'économie. C'est pour cette raison que les pays importateurs d'armes de guerre demandent des compensations industrielles (offsets) afin d'acquérir des compétences industrielles qu'ils n'ont pas et qu'ils recherchent dans des secteurs jugés par eux stratégiques, mais également pour maintenir des emplois sur le sol national.
La seconde observation porte sur la nature de la présente transposition qui permet une indéniable modernisation de notre droit. Cette directive, comme la plupart des directives européennes, laisse une marge de manoeuvre importante aux pouvoirs législatifs nationaux. Cette marge peut être utilisée afin de réexaminer la législation nationale, de moderniser les procédures, et de se débarrasser des archaïsmes en s'inspirant des meilleures pratiques européennes. C'est ce qu'a fait le gouvernement dans le cadre de la transposition de la directive TIC, en remettant à plat le système législatif actuel et en lui substituant un nouveau dispositif beaucoup plus efficace. Votre rapporteur ne peut que l'en féliciter.
Cette mise à niveau des textes législatifs fait partie intégrante de la compétitivité normative. Il appartient au législateur de veiller à ce qu'elle soit la meilleure possible tout en restant strictement fidèle au texte européen de la directive de manière à assurer la sécurité juridique de la transposition.
La troisième observation a trait au fait que les directives du paquet défense ont été élaborées avant la crise financière et que l'on peut y voir l'avancée d'une Europe de la défense davantage orientée vers les marchés que vers les Etats, consécration de la théorie anglaise dite de la best value for money.
Les directives du paquet défense n'auraient-elles pour seul effet que de nous permettre d'acquérir nos armes à moindre coût, ce serait déjà un avantage à ne pas dédaigner dans un contexte budgétaire contraint.
Ensemble, avec d'autres instruments juridiques, tels que les traités de Londres de novembre 2010, ces directives nous permettront de continuer à faire avec des partenaires choisis ce que nous ne serions plus capables de faire seul.
Quatrièmement, je tiens à saluer l'excellente qualité de l'étude d'impact qui accompagne le texte transmis par le Gouvernement, ainsi que la grande diligence et efficacité de l'ensemble des services de l'Etat concernés pour répondre aux diverses demandes qu'il a eu à formuler.
Enfin, je tiens également à féliciter notre collègue député, Yves Fromion, auteur d'un rapport remarqué sur la directive transferts intracommunautaires et notre collègue Daniel Reiner, sénateur, qui a su éclairer utilement les travaux de notre commission sur la directive marchés publics de défense.
Au bénéfice de ces observations, et sous réserve de l'adoption d'un amendement visant à préciser les conditions de mise en oeuvre de la préférence communautaire, je recommanderai à notre commission d'adopter ce texte.
Je vous propose maintenant que nous passions à la suite de la discussion générale. Je vais donner la parole à ceux d'entre vous qui le souhaitent et puis en dernier au Ministre.
Après quoi nous passerons à la discussion des articles.
Je vous rappelle que les amendements ont été distribués, ainsi que le tableau comparatif.