Je souhaiterai dire que je partage l'esprit et même la lettre de ce qui vient d'être dit. Je m'associe, Monsieur le Président, à vos félicitations sur la qualité de l'étude d'impact. Honnêtement, elle est d'excellente qualité.
J'aurais deux observations de forme à faire, suivies de deux séries de considérations sur le fond.
Premièrement, ce texte est un cadre législatif. La vraie transposition va se faire par voie réglementaire. Il y aura pas moins de quatorze décrets et six arrêtés. Nous souhaitons que ces textes respectent l'esprit du texte législatif dont nous sommes saisis et que nous puissions le vérifier assez vite.
Deuxièmement, les modalités du contrôle vont changer. Nous allons passer d'un contrôle a priori à un contrôle a posteriori. Il faut avoir une attention absolue sur le marché des armes et leur commerce. Sur ce plan, chaque année est remis au Parlement le rapport sur le contrôle des exportations d'armement. Il serait souhaitable que les prochaines livraisons de ce rapport étudient de près l'impact des directives sur le marché européen et les exportations en particulier. Il serait également souhaitable d'étudier comment la transposition s'est effectuée ailleurs. Nous sommes partis dans les wagons de tête de la transposition. Il faudra s'assurer que nous sommes bien suivis.
S'agissant de mes réflexions, je souhaiterai dire, ce sera ma première série de considérations, que ces directives vont dans la bonne direction et marquent dans certains domaines une amélioration par rapport à la situation présente. Mais elles ne sont pas constitutives, à elles seules, d'une Europe de la défense et peuvent même présenter un risque. J'y reviendrai.
Le rapporteur, M. Josselin de Rohan, a rencontré la plus grande partie des industriels et tous sont unanimes : la directive TIC - transferts intracommunautaires - va leur faciliter la vie. Il faudra être attentif à ce que l'administration mette en place les procédures adéquates, notamment en matière de systèmes informatiques.
La directive MPDS va harmoniser les procédures de passation des marchés publics. On peut penser que nos industriels vont avoir de nouvelles opportunités sur les marchés européens. Je suis frappé par le fait que leurs exportations dans l'Union européenne portent sur moins de 20 % du total de leurs exportations. Jusqu'à présent, certains Etats faisaient un usage abusif de l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui autorise, pour des motifs tenant aux intérêts essentiels de la sécurité, de se dispenser de toute procédure d'appels d'offre pour l'achat d'armements. Le fait de limiter le recours à cet article devrait favoriser la mise en concurrence au sein de l'espace économique européen. Il vaut mieux pour nos industriels de se retrouver en concurrence, même si cela est avec des industriels américains, que face à des marchés fermés. Cela est un progrès et tous les industriels de la défense européens devraient, en principe, en bénéficier.
Par ailleurs, la mise en concurrence a des effets sur les prix. Dns une période où les budgets de défense sont contraints, le fait d'exercer une pression à la baisse sur ces prix n'est pas en soi une mauvaise chose.
Néanmoins, ces directives sont insuffisantes et leur transposition ne va pas sans risques. En l'absence de clause de préférence communautaire, comme l'avait affirmé votre prédécesseur, le ministre Hervé Morin au sommet de Gand, l'ouverture des marchés de défense à la concurrence risque de déboucher sur un dilemme - soit une fermeture aux seuls producteurs nationaux - soit une ouverture à l'ensemble de la concurrence internationale. Or il n'y a aucune raison d'ouvrir notre marché national, en l'absence de réciprocité. C'est le cas du marché américain, qui nous reste fermé, comme on a pu le constater avec l'appel d'offres sur les avions ravitailleurs dits MRTT fabriqués par Airbus.
Il faut donc prendre garde à ce que l'ouverture reste maîtrisée. Ce qui est difficile quand on sait que la Commission européenne a une vision libre-échangiste, consistant à ouvrir d'abord et à contrôler ensuite. Or, en matière d'équipements de défense, où les investissements se font dans le temps long et la nature des marchés est oligopolistique, quand vient l'heure de constater les effets c'est souvent pour enregistrer les actes de décès des industriels. On dit que nos voisins britanniques s'en sont mordu les doigts et qu'ils sont semble-t-il revenus de la théorie de la best value for money qui s'est traduite par la disparition de pans entiers de leur industrie de défense.
Le fait est que, faute d'une clause de préférence communautaire, nous aurons bel et bien une dissymétrie de protection entre le marché nord américain et le marché européen. Ce n'est plus la « forteresse Europe », c'est la passoire Europe.
Le second risque est l'absence de réciprocité entre Européens. Si par exemple nous ouvrons notre marché des véhicules blindés aux producteurs européens, mais que les autres Etats ne font pas de même, nous serons les dindons de la farce. C'est un risque qu'il ne faut pas négliger.
Le troisième risque était qu'une rédaction un peu imprécise n'ouvre la porte à des faux-nez européens, ou à de mauvais européens qui feraient fabriquer hors d'Europe l'essentiel de leur production. Grâce à l'amendement du président de Rohan ce risque paraît désormais conjuré.
Ces directives feront elles avancer l'Europe de la défense ? Peut-être, mais à pas comptés. Nous disons toujours que c'est la faute des autres. Mais nous-mêmes ne sommes pas exempts de reproches et en matière de restructurations, nous avons cherché des solutions uniquement en rapprochant des industriels nationaux. Nous avons signé des accords particuliers avec les Britanniques, mais elle n'est pas équivalente à la coopération structurée prévue dans le cadre du Traité de Lisbonne.
Pour que l'équation reliant la mise en place d'un marché européen de la défense au renforcement d'une base industrielle et de technologie européenne soit vérifiée, il eût fallu mettre en place une clause de préférence communautaire.
Une telle clause a des avantages mais aussi des inconvénients. Elle suppose d'accepter quelquefois d'acheter plus cher au sein de l'espace où elle s'applique, au profit des industriels qui en bénéficient. Cet inconvénient est paru inacceptable à tous les pays européens qui n'ont pas d'industrie de défense, et même à certains d'entre eux, je pense aux Anglais et aux Suédois, qui ont une industrie de défense.
A supposer même que nous eussions réussi à imposer une telle clause à nos amis et voisins européens, cela ne serait pas suffisant pour contribuer à renforcer la politique européenne de sécurité et de défense commune.
Encore faudrait-il que :
- les efforts en matière de défense soient identiques ou équivalents dans tous les pays de l'Union, et que cet effort ne repose pas de façon disproportionnée sur la France et la Grande-Bretagne ;
- qu'il y ait une harmonisation des besoins afin qu'on ne fabrique pas trois avions de combat et dix-sept programmes de blindés ;
- qu'il y ait une harmonisation des calendriers et des doctrines d'emploi ;
Nous en sommes loin.
Dans ces conditions les directives du paquet défense n'ont que peu de chances d'atteindre les objectifs qu'elles se sont elles mêmes fixées, en tous cas ceux qui apparaissent dans leur exposé des motifs.
Dans le meilleur des cas, ces directives augmenteront la concurrence entre producteurs européens et contribueront à une pression à la baisse sur le coût des équipements, ce qui n'est pas rien.
Dans le pire des cas, elles affaibliront les BITD nationales au profit d'une BITD transatlantique. Cela sonnerait le glas de l'Europe de la défense, ce que personne ne souhaite.