Intervention de Alain Juppé

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 février 2011 : 1ère réunion
Paquet défense — Examen du rapport et du texte de la commission

Alain Juppé, ministre de la défense :

Vous le savez, ce projet de loi transpose deux directives complémentaires : l'une simplifie les conditions des transferts de produits liés à la défense entre Etats membres de l'Union européenne et l'autre coordonne les procédures de passation des marchés de défense et de sécurité.

Elles poursuivent le même objectif d'accroissement de la sécurité des approvisionnements dans le cadre d'un marché européen de la défense.

Dans ce contexte, la transposition dans un texte commun répond au double objectif de lisibilité du droit et de limitation de l'inflation législative.

Sur les transferts intracommunautaires des biens de défense je dirai que la construction de l'Europe de la défense passe par des échanges plus fluides et des modalités de contrôle étatique harmonisées.

Pour les entreprises, il s'agit de réduire les incertitudes juridiques liées à l'actuelle hétérogénéité des régimes nationaux, dans le domaine des procédures de contrôle, des champs d'application et des délais d'autorisation.

Pour les Etats membres, il s'agit de garantir la sécurité d'un approvisionnement d'origine européenne pour faire face à leurs besoins opérationnels.

S'agissant des transferts intracommunautaires, la règle de base sera celle d'une liberté encadrée du commerce et de l'industrie. Le cadre juridique, harmonisé, reposera toujours sur un dispositif de contrôle. Celui-ci sera désormais fondé sur trois types de licences de transfert.

Il n'y aura donc plus d'autorisations d'importation et de transit dans le cadre intracommunautaire.

Un mécanisme de certification pour les entreprises fiables qui le souhaiteront et l'instauration d'un contrôle a posteriori, que rendra possible l'harmonisation des procédures de transferts intracommunautaires, seront institués.

L'occasion était également donnée de rénover le dispositif de contrôle des importations et des exportations qui repose sur des principes datant de 1939.

L'actuel système de double autorisation - agrément préalable pour négocier et signer un contrat d'une part, autorisation d'exportation d'autre part - sera remplacé par une licence unique, qui fusionne les deux autorisations actuelles.

Il sera créé une licence générale d'exportation, utilisable à destination de pays jugés suffisamment sûrs et limitativement désignés par un arrêté.

Un dispositif de contrôle a posteriori sera développé, avec la mise en place d'un comité ministériel du contrôle, qui impliquera plusieurs services du ministère de la défense dans les opérations de contrôle des entreprises sur pièce et sur place. C'est le sens des amendements gouvernementaux qui vous sont aujourd'hui présentés.

Ils introduisent, d'une part, la notion d'habilitation pour les agents du ministère de la défense en charge du contrôle, d'autre part, les obligations des entreprises pour permettre l'accès de ces personnels habilités et enfin, une demande d'avis du ministre de la défense pour prendre en compte les informations, préalablement à tout acte de poursuite envisagé.

Parallèlement, un haut niveau de sécurité sera maintenu, car toute autorisation pourra être suspendue, modifiée, abrogée ou retirée, notamment dans le cas d'un brusque changement du contexte international.

Sur les marchés de défense et de sécurité, en introduisant un instrument juridique adapté aux spécificités des marchés publics de défense ou de sécurité, la directive a pour effet d'ouvrir ces marchés à la concurrence européenne, de manière maitrisée.

En particulier, chacun des Etats membres continuera de pouvoir recourir à l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne lorsque les dispositions issues de la directive ne seront pas suffisantes pour assurer la protection de ses intérêts essentiels de sécurité.

Les mesures législatives ont pour objet de transposer les dispositions de la directive, mais aussi d'utiliser toutes les marges de manoeuvre qu'elle offre, dans le but d'accroître l'efficience des marchés passés dans les domaines de la sécurité ou de la défense.

Les dispositions sur les marchés de défense et de sécurité appellent deux remarques. Tout d'abord sur la recherche et le développement, vous évoquez la nécessité de ne pas soumettre les programmes de recherche et développement (R&D) de défense au libre jeu de la concurrence, et vous avez raison.

D'ailleurs, les marchés de services de R&D pour lesquels le service acheteur n'acquiert pas la propriété exclusive des résultats ou ne finance pas entièrement la prestation sont exclus du champ d'application de la directive. Il en va de même pour les marchés passés dans le cadre d'un programme de coopération fondé sur des activités de R&D mené conjointement par l'Etat et un autre Etat membre de l'Union européenne.

Ces marchés pourront donc être passés selon des modalités librement définies par les services acheteurs, au besoin sans publicité ni mise en concurrence, ce qui permettra de mener une politique industrielle visant à développer et maintenir des compétences nationales dans des secteurs stratégiques.

S'agissant de la préférence communautaire, je rappelle que celle-ci a été évoquée lors des négociations à Bruxelles mais n'a pas été explicitement retenue par nos partenaires européens.

Toutefois, il existe de facto, une sorte de préférence communautaire. Nous avons, en effet, obtenu que la directive précise dans son considérant 18 que les services acheteurs européens ne sont pas tenus d'ouvrir leurs marchés à des opérateurs de pays tiers.

Mais s'ils souhaitent le faire, ils ne peuvent pas éliminer les opérateurs des pays tiers à l'Union européenne sur la seule base de leur nationalité. En revanche, ces opérateurs peuvent être exclus sur le fondement d'exigences relatives à la sécurité d'information, par exemple, ou encore à la sécurité d'approvisionnement, et ce d'autant plus que la localisation de leurs activités hors de l'Union européenne les rendraient impropre à satisfaire ces exigences.

Ce sont d'ailleurs ces critères que vous reprenez dans votre amendement. Autant vous le dire tout de suite, le Gouvernement sera favorable à l'adoption de votre amendement.

En réponse à M. Reiner, que je remercie de tout ce qu'il a dit, en particulier vis-à-vis des services de l'Etat, je dirai sur le point particulier de l'impact de ces directives sur la BITDE que, comme nous tous ici, je crois dans le libre échange, à condition qu'il soit régulé. Le libre jeu du marché ne suffira pas pour construire la BITDE. Il y faut un peu de volontarisme. Nous avons en France des bijoux industriels. Je viens de visiter une filiale du groupe Safran, l'entreprise Turboméca, qui fabrique à elle seule 46 % des turbines d'hélicoptères dans le monde. C'est impressionnant. Nous avons bien sûr des sociétés mondialement connues comme EADS, DCNS, NEXTER, THALES, sans oublier évidemment DASSAULT. Comment restructurer ces entreprises à l'échelle européenne. C'est difficile. Et avec qui ? Les Anglais ont BAE. Mais nous savons tous que BAE est autant américain que britannique. Du côté allemand c'est compliqué. De même du côté italien.

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