Le chapitre II du projet de loi transpose la directive « marchés publics » dans ses dispositions qui modifient l'ordonnancement juridique de valeur législative.
La plus grosse partie de la transposition sera effectuée par voie règlementaire. Un décret est actuellement en cours d'élaboration par le Gouvernement.
J'en viens à l'article 5. L'ordonnance de 2005 prévoit un régime spécifique, dérogatoire au droit commun des marchés publics, pour un ensemble de personnes publiques ou privées. Il s'agit notamment pour ce qui nous concerne du CEA, du CNES et de l'ONERA, étant entendu que des entités civiles, telles que la Banque de France, l'Autorité de marché, ou encore les entités en charge de réseau telles que ERDF, GRDF ou RTE peuvent également passer des marchés de défense ou de sécurité.
Le projet de loi prévoit d'apporter les modifications suivantes à l'ordonnance de 2005. En particulier, il ouvre la possibilité par un nouvel article 37-2, aux pouvoirs adjudicateurs de fermer les appels d'offre aux opérateurs économiques de pays non membres de l'Union.
Cet article 37-2 est au coeur du dispositif prévu par le projet de loi, puisqu'il instaure de façon implicite pour les marchés de défense et de sécurité une sorte de mécanisme de préférence communautaire.
La France n'a pas obtenu que soit insérée dans le dispositif de la directive une clause de préférence communautaire, similaire au Buy American Act et en vertu de laquelle, lorsqu'ils décident d'ouvrir une compétition pour l'acquisition d'équipements militaires, les autorités d'un État membre restreignent l'offre aux opérateurs économiques de l'Union européenne.
Par ailleurs, la directive MPDS ne donne aucune définition des opérateurs économiques européens et, en l'absence d'une telle définition, il est impossible d'exclure des opérateurs sur la base de leur nationalité. On peut même penser que toute tentative de définition, par le législateur national de ce qu'est un « opérateur économique européen » serait vraisemblablement, dans le silence de la directive à ce sujet, censurée par la Cour de justice de l'Union européenne.
En revanche, la France a obtenu que soit inséré dans l'exposé des motifs un considérant 18, qui dispose notamment que : « dans le contexte spécifique des marchés de la défense et de la sécurité, les États membres conservent le pouvoir de décider si oui ou non leurs pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices peuvent autoriser des agents économiques de pays tiers à participer aux procédures de passation des marchés. »
Rappelons que selon une jurisprudence constante, le « préambule d'un acte communautaire n'a pas de valeur juridique contraignante »
Ce considérant n'est pas à proprement parler une « préférence communautaire » si on entend par là une clause donnant un avantage automatique à un approvisionnement dans le marché intérieur européen, au détriment du marché mondial.
Néanmoins, le considérant 18 est une invitation, à valeur politique, faite aux États-membres, à considérer que le principe régissant le marché européen des équipements de défense est que les États européens ouvrent leurs offres, préférentiellement, aux opérateurs économiques de l'espace européen et que, s'agissant des opérateurs économiques des pays tiers à l'Union, ils décident souverainement d'ouvrir ou non. Juridiquement rien n'est changé par rapport à la situation actuelle. Politiquement, oui.
C'est donc en quelque sorte l'esprit de ce considérant qu'a voulu transposer la nouvelle rédaction prévue pour l'article 37-2 de l'ordonnance de 2005.
Ce nouvel article prévoit en effet que :
« Art. 37-2.- Un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice peut autoriser des opérateurs économiques n'ayant pas la qualité de ressortissant de l'Union européenne ou de ressortissants de la Confédération suisse ou d'un État partie à l'Espace économique européen à participer à une procédure de passation de marchés de défense ou de sécurité.».
Il doit être rapproché du nouvel article 38 de l'ordonnance qui prévoit que : « Les dispositions de l'article 37-1 et 37-2 sont applicables aux personnes soumises au code des marchés publics.».
Cela signifie que cet article pourra être invoqué par tout pouvoir adjudicateur soumis ou décidant de recourir au code des marchés publics, en particulier l'État, et pour ce qui nous concerne plus particulièrement en matière d'équipements de défense : la DGA.
Dans le silence des textes, le droit positif français autorise actuellement les pouvoirs adjudicateurs de notre pays à recourir, pour les équipements de défense et de sécurité, à des opérateurs économiques de pays tiers à l'Union autant qu'ils le souhaitent et pour les équipements qu'ils souhaitent. La souveraineté joue à plein et il n'est nullement nécessaire d'invoquer l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui, par construction, ne concerne que les opérateurs économiques des États membres.
Par ailleurs, le commerce des armes étant exclu de l'Accord sur les marchés publics, aucun opérateur économique d'un pays tiers ne pourrait se prévaloir du fait qu'il n'a pas été admis à une offre concernant un marché de défense ou de sécurité français, sauf à ce qu'il existe un traité particulier le prévoyant entre son pays et le nôtre.
Cette possibilité d'écarter de l'offre des candidats de pays tiers lorsque les pouvoirs adjudicateurs recourent à des procédures de gré à gré ou de procédure négociée ne semble guère contestable devant le juge national.
En revanche, lorsque les pouvoirs adjudicateurs lancent des appels d'offre sur la base du code des marchés publics, un opérateur d'un pays tiers à l'Union pourrait vraisemblablement invoquer, devant le juge national, le principe d'égalité à l'appui d'un recours contre un refus de concourir fondé exclusivement sur la nationalité.
Si le pouvoir exécutif avait souhaité écarter ce risque, il eût suffit qu'il inscrive que les pouvoirs adjudicateurs peuvent « exclure », et non autoriser, les opérateurs économiques des pays tiers à l'Union. Sous le contrôle du juge constitutionnel, la loi peut en effet écarter le principe d'égalité pour des raisons d'intérêt général. C'est ainsi qu'un critère de nationalité est posé pour admettre les candidats à la fonction publique.
Le fait au contraire d'écrire que les pouvoirs adjudicateurs « peuvent autoriser » ne prend dès lors tout son sens que si on admet la préexistence d'un principe implicite suivant lequel les marchés de défense ou de sécurité sont, en droit français, fermés aux opérateurs économiques de pays tiers à l'Union et que, par dérogation à ce principe, les pouvoirs et entités adjudicateurs peuvent autoriser de tels opérateurs à concourir.
Dans ces conditions, je considère qu'il serait préférable de modifier la rédaction de l'article 37-2.
Je vous propose donc un amendement n°COM-5 qui poursuit un double objet.
En premier lieu, la nouvelle rédaction prévue pour l'article 37-2 - qui est devenu entre le moment du dépôt du texte et aujourd'hui le 37-3 du fait de l'intervention d'une loi du 5 janvier 2011 - pose explicitement le principe d'une préférence communautaire spécifique aux pouvoirs adjudicateurs français, sans aller jusqu'à conférer d'automaticité à ce mécanisme.
C'est le I du texte prévu pour le 37-3 : « les marchés de défense ou de sécurité (...) sont passés avec des opérateurs économiques d'États membres de l'Union européenne (...) ». Les pouvoirs adjudicateurs pourront y déroger, chaque fois qu'ils le souhaiteront.
C'est le II.- du texte proposé pour ce même 37-3 : « un pouvoir adjudicateur (...) peut toutefois autoriser, au cas par cas, des opérateurs économiques de pays tiers à l'Union (...) à participer à une procédure de passation de marchés de défense ou de sécurité. »
Le III.- du texte proposé par le 37-3 restreint le champ de la possibilité d'ouvrir à des opérateurs étrangers, en demandant à ce que la décision d'ouvrir soit fondée, notamment, sur les motivations invoquées par la directive, à savoir : impératifs de sécurité d'information et d'approvisionnement, préservation des intérêts de la défense et de la sécurité de l'État ; intérêt de développer la base industrielle et technologique de défense européenne. Mais aussi, les objectifs de développement durable et les exigences de réciprocité.
En second lieu, l'amendement a pour objet d'autoriser les pouvoirs adjudicateurs français à prendre en compte, dans le respect de la directive, l'implantation géographique des opérateurs économiques, aussi bien au niveau du dépôt de l'offre - c'est le texte proposé pour l'article 37-4 de l'ordonnance - qu'à celui de son acceptation - article 37-5 - afin d'éviter les faux-nez et ce que l'on pourrait appeler les mauvais européens.
La rédaction proposée in fine pour l'article 38, reprend par coordination, la nouvelle numérotation des articles. Rappelons que c'est cet article 38 qui va permettre d'étendre ce dispositif à l'ensemble des acheteurs publics, autres que ceux visés par l'ordonnance de 2005, et en particulier la DGA.