Avec cette révision de la loi de bioéthique, attendue de longue date, nous allons devoir statuer sur des sujets qui engagent la personne humaine, notre organisation sociale, nos convictions, et qui appellent des réponses tranchées et cohérentes, alors que les enjeux sont complexes et que le débat oppose des arguments souvent pertinents d'un côté comme de l'autre.
Pour la première fois sur le sujet, une grande consultation nationale a été organisée, sous la forme d'Etats généraux de la bioéthique. En associant panels de citoyens, spécialistes et experts de tous ordres, elle a ouvert largement le débat et permis de recueillir des avis qui complètent les rapports de l'agence de la biomédecine, du Conseil d'Etat, du comité consultatif national d'éthique, de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ainsi que de la mission d'information de l'Assemblée nationale.
A l'initiative de notre présidente, nous avons aussi engagé la réflexion dès l'an dernier grâce à « quatre rencontres de la bioéthique » consacrées respectivement au prélèvement et don d'organes, au diagnostic prénatal et préimplantatoire, à la médecine prédictive et à la recherche sur les cellules souches et l'embryon : autant de thèmes de réflexion et de débat qui font l'objet d'articles dans le présent projet de loi. Qu'il me soit permis de rendre ici un hommage tout particulier à Marie-Thérèse Hermange qui a introduit chacune de ces rencontres par un exposé liminaire complet et ouvert, favorisant des échanges riches. Nous avons approfondi ces travaux par de nombreuses auditions au cours des dernières semaines. Malheureusement, les délais étaient très courts, puisque l'Assemblée nationale a adopté son texte le 15 février, et que nous avons interrompu nos travaux pendant trois semaines. Au total, nous avons mené vingt-huit auditions, ouvertes à tous les sénateurs, et nous avons pu entendre une quarantaine de personnes représentant toutes sortes de sensibilités.
Grâce à ces femmes et ces hommes, nous avons pris la mesure du travail quotidien de ceux qui prélèvent et transplantent des organes, de ceux qui se battent pour permettre à des couples stériles de connaître la joie d'avoir des enfants, de ceux qui ont la lourde tâche d'annoncer des nouvelles difficiles, par exemple l'existence d'une affection génétique grave, de ceux qui consacrent leur vie à chercher de nouvelles thérapies et, à cet égard, la table ronde de mercredi dernier sur la recherche sur les cellules souches était passionnante. Nous avons pu élever le débat avec des philosophes, des juristes, des sociologues. Nous avons aussi vécu des moments d'émotion intense, notamment lorsque le docteur Leblanc est venu de Béziers nous demander de « sauver la médecine prénatale ». Tout cela a nourri notre réflexion et éclairé les choix que nous allons faire.
Un point de détail enfin, mais qui a son importance : la chaîne Public Sénat m'a demandé l'autorisation de filmer mes travaux et les auditions. J'ai donné mon accord mais je n'ai à aucun moment choisi ce qu'elle devait filmer.
La biomédecine est cette part de la médecine qui intervient sur les fondements du vivant : la génétique, la procréation, les cellules souches et peut-être, demain, au travers de l'imagerie médicale, les sources de nos émotions et de nos actions.
Ce texte n'est pas en rupture avec les principes adoptés en 1994 pour encadrer la biomédecine, qui constituent le socle de la conception française de la bioéthique. Le premier d'entre eux est la primauté de la personne, inscrite à l'article 16 du code civil. Cette primauté signifie que les considérations techniques, scientifiques et économiques doivent toujours être secondaires par rapport au respect de la vie. Le second principe qui fonde la bioéthique est celui de la non-patrimonialité du corps humain, qui figure à l'article 16-1 du même code : on ne peut vendre tout ou partie de son corps. La seule possibilité d'utiliser des éléments du corps humain en médecine repose donc sur le don et ce don doit être libre et éclairé, anonyme et gratuit.
Ces principes n'ont pas varié et il n'est pas question de les remettre en cause aujourd'hui. Mais, à l'intérieur de ce modèle éthique, l'encadrement des activités biomédicales est susceptible d'évoluer. Des demandes se font ainsi jour pour adapter la législation à l'avancée de la science ou pour tenir compte de certains cas particuliers : il nous appartient de savoir si nous devons les prendre en considération et dans quelle mesure. Il me semble que, pour nous décider, nous devons nous fonder sur le respect de la dignité des personnes, qui repose sur le respect de leur autonomie, et sur la raison d'être de la médecine qui est de soigner et de ne pas nuire. Primum, non nocere.
Je souhaite vous exposer rapidement ce que ces mots signifient pour moi.
Respecter la dignité de la personne, c'est d'abord ne pas la soumettre aux contraintes économiques ou sociales quand il est question d'atteinte au corps ou à ses produits. Concrètement, nous savons que la France manque de donneurs d'organes, de tissus et de cellules et le projet de loi, dans sa version issue des travaux de l'Assemblée nationale, tend à remédier à cette situation de plusieurs manières ; il améliore l'information du public sur le dispositif de la loi Caillavet de 1976 selon laquelle, sauf opposition expresse, nous sommes tous potentiellement donneurs d'organes au moment de notre mort ; il élargit le cercle des donneurs vivants au-delà de la famille proche ; il autorise une nouvelle procédure pour le don de rein entre vifs, le don croisé, qui permettra de surmonter certains cas d'incompatibilité en procédant à un « échange » de greffons entre deux couples donneur-receveur ; enfin, et c'est le point à mon sens le plus contestable, il met en place certaines contreparties pour le donneur d'organe ou de gamètes, sur lesquelles il nous appartiendra de nous prononcer pour distinguer ce qui relève de l'encouragement au don altruiste de ce qui transforme, ou risque de transformer, le don en obligation ou en démarche intéressée.
Respecter l'autonomie des personnes, c'est leur donner tous les moyens de décider librement de la manière dont elles souhaitent conduire leur existence face aux informations que fournit la science et aux choix qu'elle propose. Garantir la liberté de choix n'est pas chose facile. Est-ce vraiment une décision libre que celle de l'interruption médicale de grossesse en cas de diagnostic de la trisomie 21 quand on sait que 96 % des diagnostics positifs conduisent à demander la fin de la grossesse ? Je suis convaincu que la société ne doit pas décider, à la place des parents, quels enfants ils doivent faire naître et élever. Mais préserver leur choix, cela suppose qu'ils disposent de l'ensemble des informations sur les maladies diagnostiquées et de faire en sorte, autant qu'il est possible, que les contraintes liées à la difficulté d'élever un enfant handicapé ne dictent pas leur conduite.
La médecine conforte l'autonomie des personnes mais il importe aussi de protéger leur autonomie par rapport à elle. Je pense aux tests génétiques pour lesquels le droit de ne pas savoir est aussi important que la possibilité de connaître la maladie dont on est porteur ou les risques que l'on encourt. De même, face à l'offre mondiale de tests génétiques de qualité diverse disponibles sur Internet, une information sur leur degré de fiabilité est une précaution nécessaire.
Affirmer l'autonomie par rapport à la science, c'est aussi remettre l'humain au coeur des procédures d'assistance médicalisée à la procréation. La demande de levée de l'anonymat du don de gamètes peut se comprendre : certaines personnes nées grâce à un don ne veulent pas devoir leur existence à la seule technique médicale, elles revendiquent le fait qu'un gamète n'est pas un simple matériau thérapeutique mais le vecteur de la transmission de la vie et qu'à ce titre, il est porteur d'une histoire et d'une identité. Nous devrons nous prononcer sur leur requête.
J'insiste également sur un point : préserver la dignité des personnes et leur autonomie, c'est refuser de tirer le bénéfice de pratiques conduites à l'étranger hors du cadre éthique qui est le nôtre. En les acceptant, nous cautionnerions l'exploitation des plus faibles ailleurs, tout en nous donnant la bonne conscience de ne pas nous livrer à de telles pratiques chez nous. Ce serait là une hypocrisie cynique.
Assumer nos choix éthiques, cela suppose d'être sûrs qu'ils soient solides, c'est-à-dire conformes à nos principes. La médecine, et à plus forte raison la biomédecine, doivent soigner et ne pas nuire. Est-ce à dire que, pour soigner, nous pouvons utiliser toutes les ressources possibles, y compris en extrayant les cellules souches qui composent les embryons entre le cinquième et le septième jour de la fécondation ? On estime souvent que mieux vaut donner à la science - et donc faire participer au bien-être futur de la collectivité - des embryons voués à la simple destruction en cas d'abandon du projet parental. J'ai cependant été interpellé par les propos du docteur Xavier Mirabel que j'ai auditionné : il considère qu'on ne détruit pas des embryons quand on ne les donne pas à la recherche, mais qu'on laisse seulement la vie reprendre ses droits face aux artifices créés par la médecine. Cette analyse mérite réflexion.
J'estime que nous devons sortir de l'ambiguïté de notre système d'interdiction avec dérogation pour la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires : il faut ou bien interdire ou bien autoriser, mais chacun doit savoir à quoi s'en tenir. En parlant de recherche impliquant l'embryon, on se focalise trop souvent sur les thérapies qui utilisent les cellules souches embryonnaires, alors que des recherches sont conduites au profit des embryons, dans le but de mieux comprendre l'embryogénèse, de soigner les maladies dès les premiers stades de la vie et d'améliorer les procédures d'assistance médicalisée à la procréation. Elles ne doivent pas être négligées. Il existe aussi des recherches sur d'autres catégories de cellules souches qui ne posent pas les mêmes problèmes éthiques et qui doivent être encouragées.
Le devoir de ne pas nuire nous impose encore la plus grande prudence en matière de choix de politique de santé publique. Jusqu'à ce que les pratiques de diagnostic évoluent en 2008, le recours à l'amniocentèse a causé la perte de six cents à sept cents embryons sains par an pour le diagnostic de trois cents cas de trisomie 21. La balance bénéfice-risque demande à être toujours exactement prise en compte.
J'en viens au contenu du projet de loi. Avec le titre I, consacré à l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne, le texte modifie la procédure d'information de la parentèle en cas de diagnostic d'une affection génétique grave mais curable, le dispositif mis en place en 2004 n'ayant pas fonctionné. L'Assemblée nationale a également souhaité mettre un peu d'ordre dans l'offre de tests génétiques disponibles sur Internet. Ce n'est pas une question simple à régler, le Conseil d'Etat l'a clairement souligné dans son rapport.
Le titre II est relatif aux organes et cellules. Il élargit le cercle des donneurs vivants, met en place la possibilité du don croisé, prévoit des mesures d'encouragement et accorde un statut aux cellules extraites du sang de cordon, du cordon ombilical et du placenta.
Le titre III inscrit dans la loi chacune des étapes du diagnostic prénatal. En incluant l'échographie parmi les examens concourant à ce diagnostic, il améliore l'information délivrée à la femme enceinte et précise les modalités de son accompagnement. Aucune modification n'a été apportée à l'encadrement actuel du diagnostic préimplantatoire, le DPI. L'Assemblée nationale a néanmoins supprimé le caractère « expérimental » du DPI-HLA, ou double DPI qui, pour la première fois, a donné lieu à une naissance en janvier dernier.
Le titre IV renforce l'équipe pluridisciplinaire amenée à statuer sur l'interruption médicale de grossesse pour motif lié à la santé de la mère.
Le titre V, supprimé par l'Assemblée nationale, est relatif aux conditions de la levée de l'anonymat du don de gamètes.
Le titre VI traite de l'assistance médicale à la procréation (AMP). Je relèverai simplement trois ajouts de l'Assemblée nationale : l'article 19 A qui tend à favoriser le don de gamètes et spécialement le don d'ovocytes, l'article 20 bis qui autorise le transfert d'un embryon après la mort du père et l'article 22 ter qui prévoit la publication des résultats des centres d'AMP.
Le titre VII est relatif à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. Il maintient le système actuel d'interdiction avec dérogation, tout en prévoyant certaines modifications du régime d'autorisation des recherches par l'agence de la biomédecine.
Le titre VII bis, ajouté par l'Assemblée nationale, vise à intégrer les questions de neurosciences et d'imagerie cérébrale dans le cadre des lois de bioéthique.
Le titre VII ter, également ajouté par l'Assemblée nationale, organise un suivi et une évaluation de la loi, ce qui me paraît tout à fait judicieux puisque le texte initial du Gouvernement ne prévoit aucune échéance de révision de la loi. Je suis convaincu que les normes doivent être stables, mais aussi que le Parlement doit rester régulièrement informé de l'évolution de la biomédecine, pour pouvoir reprendre l'initiative législative si elle se révèle nécessaire.