Intervention de Jean-René Lecerf

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 décembre 2010 : 1ère réunion
Evolution du régime de l'enquête et de l'instruction — Examen du rapport d'information

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, co-rapporteur :

Première contrepartie, la modification du statut du parquet, question intimement liée à la suppression du juge d'instruction. De fait, l'affaiblissement du juge d'instruction, les auditions l'ont montré, est moins lié à la défaillance de l'institution qu'à des évolutions de fond. Le juge d'instruction aurait manqué le train du contradictoire, dit-on. La critique paraît excessive quand le législateur, par la loi du 4 janvier 1993 et la loi du 5 mars 2007, a renforcé le caractère contradictoire de l'information. Ses fonctions d'enquêteur et de juge sont souvent jugées incompatibles ; il serait « à la fois Maigret et Salomon », pour reprendre la formule de M. Badinter. Mais l'enquêteur ne doit-il pas analyser les éléments à charge et à décharge pour rechercher la vérité ? À considérer la proportion des décisions de non-lieu, une telle démarche est possible, d'autant que l'avant-projet de loi la confie au parquet. La confusion des fonctions d'investigation et des fonctions juridictionnelles est également critiquée. Elle est néanmoins moins décriée depuis la création du JLD. Demeure l'épineuse question de la faculté de renvoi devant la juridiction de jugement, qui peut apparaître comme un acte de mise en accusation. Dernière critique, l'isolement du juge d'instruction que la loi du 10 décembre 1985 de M. Badinter, puis la loi du 5 mars 2007, après le choc d'Outreau, ont tenté de rompre en instaurant la collégialité de l'instruction. Beaucoup regrettent aujourd'hui que cette dernière opportunité législative, que certains qualifiaient alors de « réformette », au grand dépit de Pascal Clément, n'ait pas été saisie.

Mais l'institution du juge d'instruction a surtout souffert du renforcement du rôle du parquet : le nombre de dossiers soumis à l'instruction est inférieur à 4% aujourd'hui, contre 8% en 1990. Le développement de l'enquête préliminaire tient à la priorité donnée à une réponse pénale rapide. Le parquet jouit d'une organisation hiérarchisée mais souple, ce qui garantit une grande réactivité dont témoigne le traitement en temps réel des affaires pénales, sans compter que la loi du 15 juin 2000 a étendu ses pouvoirs dans la conduite de l'enquête préliminaire. Dans le même temps, le renforcement des droits des parties a rendu l'information plus complexe : sa durée est passée de 11 à 23 mois entre 1990 et 2008. À l'aune de l'efficacité, l'instruction est apparue moins concurrentielle alors que nos voisins, notamment l'Allemagne ou l'Italie, l'avaient abandonnée.

L'attachement au juge d'instruction tient moins à ses mérites propres qu'au sentiment de défiance suscité par une enquête entièrement confiée à un ministère public dépendant du Garde des sceaux. Notons toutefois que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 prévoit désormais l'avis du Conseil supérieur de la magistrature sur la nomination de tous les magistrats du parquet et que les instructions individuelles du Garde des sceaux doivent être écrites et versées au dossier, le procureur restant libre de ses réquisitions à l'audience selon l'adage : « la plume est serve mais la parole est libre ». Malgré ces évolutions, la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt du 10 juillet 2008 « affaires Medvedyev et autres c. France » a remis en question l'appartenance même du parquet à l'autorité judiciaire. Elle a confirmé sa position dans l'arrêt Moulin c. France du 23 novembre 2011 en jugeant les fonctions du parquet incompatibles avec le contrôle juridictionnel des arrestations et des détentions, qui implique une double indépendance tant à l'égard de l'exécutif que des parties.

Pour lever les suspicions, une première piste serait d'adopter le principe de la légalité des poursuites. Nous l'avons écartée car celui-ci fait obstacle, nous a expliqué le président de l'Union syndicale des magistrats, à une diversification de la réponse judiciaire ; il accentuerait la dégradation du travail des parquets tout en étant aisément contournable -il suffirait au procureur de ne pas considérer l'infraction comme constituée. Mieux vaut donc privilégier une réforme statutaire du parquet qui, nous ne l'ignorons pas, implique un renforcement du rôle du CSM et, partant, une révision constitutionnelle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion