Reprenons les principes de la réforme inaboutie de 1999. Celle-ci, issue du rapport Truche, avait fait l'objet de tels blocages politiques que la convocation du Congrès en janvier 2000 avait été annulée. Les temps ont changé : nous pouvons réunir un consensus autour de l'avis conforme du CSM sur les nominations des magistrats du parquet et d'un CSM exerçant la fonction disciplinaire. L'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif s'appliquerait donc aux carrières, non à la conduite de la politique pénale qui demeure du ressort des autorités politiques. La création d'un procureur général de Nation, proposée par M. Fauchon, n'emporte pas l'adhésion : des circulaires de politique pénale ou encore des instructions suffiraient à incarner le lien entre ministère de la justice et parquet. Ces orientations auraient d'autant plus de force si elles faisaient l'objet d'un débat annuel devant le Parlement, a indiqué Mme Delmas-Marty. Il n'y a donc pas lieu de modifier l'article 30 du code de procédure pénale. En tout état de cause, la réforme devrait être accompagnée d'un renforcement des effectifs, ce que reconnaissait le Garde des sceaux devant l'Assemblée nationale lors du précédent budget.
J'en viens à la deuxième contrepartie : la reconnaissance des droits de la défense de la personne mise en cause qui, j'y insiste, est présumée innocente jusqu'à sa condamnation. Un cadre unique d'enquête mettra fin à la distorsion actuelle entre les droits reconnus à la défense dans le cadre de l'enquête et dans le cadre de l'information. Des avancées avaient été obtenues dans l'avant-projet de réforme sur la garde à vue : caractère exceptionnel de la garde à vue, renforcement des droits à l'assistance d'un avocat, interdiction de prononcer une condamnation sur le seul fondement des déclarations d'un gardé à vue qui n'aurait pas bénéficié de l'assistance d'un avocat, institution d'une audition libre de quatre heures avec l'accord de la personne. Pour autant, elles restaient insuffisantes au regard des exigences de la Cour de Strasbourg et de la décision du 30 juillet 2010 du Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité. D'où la réforme plus ambitieuse présentée par le Gouvernement qui prévoit l'information du gardé à vue sur son droit à garder le silence, la présence de l'avocat après douze heures de détention au maximum et l'accès de l'avocat au dossier.
Pour autant, en raison des dérogations prévues pour la criminalité organisée et le terrorisme, le dispositif devra être revu. En effet, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans ses trois arrêts du 19 octobre 2010, a rappelé que la restriction au droit d'être assisté par un avocat doit répondre à l'exigence d'une raison impérieuse, laquelle ne peut pas découler de la seule nature de l'infraction. À l'instar du Conseil constitutionnel, elle a différé l'application de ces principes au plus tard le 1er juillet 2011.
Un régime de garde à vue équilibré implique un contrôle par un juge indépendant, le respect de la dignité de la personne, l'efficacité de l'enquête.
Le projet de loi laisse le contrôle de la garde à vue au procureur de la République, ce qui n'est pas conforme à l'arrêt Medvedyev de la CEDH, ni à l'arrêt de chambre Moulin contre France du 23 novembre 2010. En tout état de cause, le contrôle de la garde à vue devrait revenir à terme au juge de l'enquête et des libertés (JEL), et entre-temps au juge des libertés et de la détention (JLD).
La reconnaissance des droits des personnes passe par le respect de leur dignité. La majorité des personnes que nous avons entendues se sont prononcées contre les fouilles à corps -position partagée par les représentants de la police et de la gendarmerie, à condition que des règles claires soient fixées. Le projet de loi sur la garde à vue proscrit les fouilles à corps intégrales, sauf lorsqu'elles sont indispensables pour les nécessités de l'enquête. Nous souhaitons toutefois que le dispositif soit aussi protecteur que celui retenu par la loi pénitentiaire pour la fouille des détenus. Enfin, nous nous faisons l'écho des constats dressés par les services de police eux-mêmes sur l'état des locaux de garde à vue.
Le droit à l'assistance d'un avocat ouvre-t-il la voie à une « judiciarisation » de la garde à vue, comme le redoutent certains ? Une telle évolution entraînerait une confusion entre la phase policière et la phase judiciaire de l'enquête. Plusieurs intervenants, dont M. Robert Badinter, ont estimé que l'assistance de l'avocat n'impliquait pas l'accès au dossier. Selon vos rapporteurs, celui-ci devrait être limité aux éléments provenant de la personne mise en cause, à savoir ses procès verbaux d'audition.
Le rôle de l'avocat dans le cadre de la garde à vue ne se confond pas avec celui qui lui revient dans le cabinet d'instruction. Il devrait laisser les officiers de police judiciaire conduire leurs interrogatoires sans y prendre part. Le projet de loi relatif à la garde à vue lui permet d'assister aux auditions et de présenter des observations écrites à l'issue de chaque audition : c'est le rôle « taisant » de l'avocat.
Pour éviter une justice inégale selon les moyens de l'intéressé, il faudra une forte mobilisation des barreaux, ainsi qu'une revalorisation de l'aide juridictionnelle.
En matière de terrorisme ou de grande criminalité, si l'assistance de l'avocat ne saurait être reportée, l'avocat pourrait être choisi par la personne gardée à vue sur une liste agréée par le barreau, voire, comme en Espagne, être désigné d'office par le bâtonnier.
L'audition libre répond sans doute au souci de limiter le nombre de gardes à vue, mais soulève nombre de critiques. La rédaction du projet de loi n'a pas levé toutes les ambiguïtés de l'avant-projet de réforme : l'audition libre et la garde à vue concerneraient l'une et l'autre « la personne à l'encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Ne vaudrait-il pas mieux réserver l'audition libre aux convocations, et l'exclure à l'issue d'une interpellation ?