Intervention de Barah Mikaïl

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 février 2010 : 1ère réunion
Enjeux géopolitiques de l'eau — Audition de M. Barah Mikaïl chercheur à l'iris

Barah Mikaïl, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) :

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Barah Mikaïl, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), sur les enjeux géopolitiques de l'eau.

a tout d'abord rappelé que la première prise en compte du facteur hydraulique dans les relations diplomatiques date du sommet de Mar-el-Plata, à la fin des années 1990, mais que malgré les avancées politiques et juridiques il y avait toujours un fossé entre les populations qui souffrent d'une insuffisance d'accès à l'eau potable et celles qui en disposent largement. Il a également rappelé que la première des « guerres pour l'eau » date, selon l'historien Aaron Wolf, de 2 500 avant JC en Mésopotamie, lorsque deux tribus se sont affrontées pour l'appropriation de l'eau. Il a mentionné la guerre des six jours, précédée dès 1959 de tensions importantes autour des ressources hydriques, la volonté d'Israël de détourner une partie des eaux du Jourdain, le début de la construction d'un barrage par les pays arabes afin de priver Israël de cette ressource, puis finalement le bombardement de ce barrage par l'armée de l'air israélienne.

a toutefois souhaité relativiser l'importance de la ressource hydrique et rappeler que la première pierre d'achoppement dans les conflits restait de nature territoriale, même si certaines guerres ont effectivement éclaté pour l'eau, que ce soit au niveau interétatique ou infra étatique, comme en Inde ou aux Etats-Unis où l'appropriation de l'eau a donné lieu à des tensions importantes entre Etats fédérés.

Il a ensuite évoqué l'existence d'un « droit à l'eau », qui a été débattu au Forum de l'eau qui s'est tenu à Istanbul au printemps 2009, tout en spécifiant les limites de ce droit. Ce droit n'est pas en effet synonyme de gratuité, ce qui ruinerait les efforts des opérateurs chargés de la distribution. M. Barah Mikaïl a ensuite évoqué « l'agenda 21 » rédigé lors du sommet de la terre en 1992 dont le chapitre 18 contenait des dispositions relatives à la nécessité que les citoyens de la planète payent l'eau dont ils ont besoin. Il a rappelé que même dans les bidonvilles les habitants devaient payer l'eau qu'ils consommaient. Il a souligné que le secteur privé aurait une importance de plus en plus grande dans la distribution de l'eau. Comme le montre la directive européenne de 2000, les critères de qualité entraînent une hausse des coûts que ne peut plus assumer totalement la sphère publique.

a ensuite évoqué le problème de gestion des eaux transfrontalières. Il a cité le cas du Mexique qui, au XIXè siècle, avait perdu une bonne partie de son territoire au profit des Etats-Unis d'Amérique et avait ensuite tenté de faire prévaloir un droit d'accès aux eaux du fleuve Colorado dont il avait perdu la maîtrise. Le gouvernement des Etats-Unis avait alors, à l'époque, fait prévaloir l'idée (doctrine Hartman - 1896) de la territorialité absolue d'un Etat sur les fleuves et les rivières qui traversent son territoire et donc leur droit absolu à disposer des eaux du Colorado. Mais, par la suite, les Etats-Unis ont développé une autre théorie juridique, vis-à-vis du Canada, en faisant valoir les droits de la puissance avale. Ces dispositions négociées à partir de 1909 avec le Royaume-Uni constituent un arsenal juridique qui ôte toute possibilité au Canada de bloquer l'écoulement des eaux vers l'aval. Au total, c'est une sorte de raison du plus fort qui l'emporte en matière d'appropriation de l'eau, et le fait, pour un pays, d'être situé en amont d'un autre ne lui donne des droits que pour autant qu'il dispose d'une puissance militaire supérieure à celle du pays de l'aval.

Au Moyen-Orient, il a évoqué le cas des eaux du Tigre et de l'Euphrate dont le partage soulève des problèmes depuis très longtemps. En 1960, la Turquie, réalisant le profit qu'elle pourrait tirer de l'utilisation des eaux du Tigre et de l'Euphrate, a mis en place un projet prévoyant la construction de vingt-deux barrages et bassins hydroélectriques permettant le développement du sud-est anatolien et l'irrigation massive de ses terres agricoles (1,8 million d'hectares). Les répercussions évidentes de ce projet sur la Syrie et l'Irak ont conduit la Banque mondiale à lui refuser son financement. En 1988, le protocole de Damas fut signé entre la Syrie et la Turquie, engageant ce dernier pays à écouler un volume annuel vers la Syrie. Mais il ne fut pas respecté par le gouvernement turc. S'il est évident que ce projet de développement du sud anatolien avait pour objectif politique de réduire l'influence du PKK kurde, la Syrie -soutenant ce parti-instrumentalisait à son profit la question kurde pour faire pression sur Ankara. A partir de 2002, les choses ont changé. La situation s'est améliorée avec l'arrivée de l'AKP au pouvoir et le développement des relations économiques et commerciales entre les deux pays. Les divergences sur le partage des eaux n'en demeurent pas moins, comme l'a montré l'opposition des pays au Forum d'Istanbul.

S'agissant des eaux du Jourdain et du réservoir d'eau du lac Tibériade, M. Barah Mikaïl a rappelé qu'Israël n'était pas dans une situation de « stress hydrique », mais bien de pénurie hydraulique. Or la Syrie et le Liban détiennent les affluents du Jourdain. Lors de l'opération « Litani » l'armée israélienne s'était livrée à des détournements de cours d'eau, estimant que le fait que le fleuve Litani se déverse dans la Méditerranée sans être utilisé constituait un gâchis. Là encore, M. Barah Mikaïl a souligné l'importance de la raison du plus fort. Israël est situé en aval des cours d'eau, mais sa situation de force extrême par rapport à la Syrie ou au Liban fait qu'il n'a pas même besoin de faire la guerre pour que ses voisins ne soient pas tentés d'utiliser l'eau comme facteur de pression. Le contrôle total du lac Tibériade après la guerre de 1967 illustre cet état de fait.

Il a encore évoqué la situation d'Israël vis-à-vis de la Jordanie. Le traité de paix de 1994 prévoit des dispositions en matière hydrique qui n'ont jamais été respectées par Israël. A l'été 2007, ce sont les Israéliens qui ont fait, moyennant finances, un « prêt hydraulique » de vingt millions de mètres cubes d'eau à la Jordanie, dont huit millions de mètres cubes devront être restitués à terme. Par ailleurs, il a rappelé l'importance stratégique des nappes phréatiques situées en Cisjordanie et le fait que les colons israéliens ont un accès libre aux ressources hydrauliques, ce qui n'est pas le cas des Palestiniens (multiplication par trois des tarifications, interdictions de creuser des puits...), situation qu'il a qualifiée d'inique.

Enfin, s'agissant des eaux du Nil, il a rappelé que la Grande-Bretagne, puissance coloniale, avait fait prévaloir les intérêts de l'Egypte (75 % des eaux) sur ceux du Soudan (25 %). Le dernier traité date de 1959 et ne concerne pas l'Éthiopie qui est pourtant à l'origine de 80 % des eaux du Nil bleu. Ce dispositif contient en germe les conflits futurs. Il a été permis par la supériorité militaire égyptienne. En 1989, la visite d'hydrologues israéliens en Éthiopie pour la mise en valeur de ces ressources a conduit l'Égypte à menacer ce pays d'une guerre. Il a également rappelé que lorsque Nasser avait nationalisé le canal de Suez, c'était, notamment, pour disposer des ressources financières suffisantes afin de construire le barrage d'Assouan. La primauté des intérêts nationaux sur l'intérêt général fait que l'Egypte n'est pas prête à reconnaitre des droits à l'Éthiopie. Toutefois, une structure intergouvernementale, l'Initiative pour le bassin du Nil, a été mise en place en 1999. Les Éthiopiens ont ainsi déclaré leur intention de construire un barrage sur le Nil, sans que cela ait soulevé de tollé en Egypte, preuve que la situation peut évoluer.

Enfin, il a conclu son intervention en insistant sur le fait que le Soudan était la zone de tous les dangers dans le bassin nilotique. Le référendum, prévu en 2011, sur l'indépendance du sud Soudan, sur le territoire duquel s'écoule 20 % du débit du Nil, risque d'entraîner de fortes turbulences politiques. Après le sud Soudan, dans la province du Nil bleu, le Darfour pourrait également avoir des velléités d'indépendance aboutissant à une désintégration de ce pays qui profiterait à l'Ethiopie et affaiblirait l'Egypte.

Puis un débat s'est ouvert au sein de la commission.

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