Intervention de William C. Ramsay

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 février 2010 : 1ère réunion
Audition de M. William C. ramsay directeur du programme energie de l'ifri

William C. Ramsay, directeur du programme Energie de l'Institut français des relations internationales (IFRI) :

Puis la commission a procédé à l'audition de M. William C. Ramsay, directeur du programme Energie de l'Institut français des relations internationales (IFRI).

A l'aide d'un diaporama, M. William C. Ramsay a dressé un tableau des enjeux géopolitiques de l'énergie. Il a souligné que si les tendances actuelles se poursuivaient jusqu'en 2030, 80 % de l'énergie utilisée dans le monde proviendrait des énergies fossiles, ce qui engendrerait une augmentation de 60 % des émissions de gaz carboniques et une augmentation de 6°C de la température. Cette augmentation dramatique de la pollution s'accompagnera de nombreux autres effets pervers, dont une dépendance et une vulnérabilité accrue des pays de l'OCDE à l'égard des producteurs d'hydrocarbures, ainsi que de la persistance d'une pauvreté en énergie pour plus de 1,5 milliard de personnes. La majeure partie de l'augmentation de la consommation d'énergie proviendra des pays hors OCDE, alors que la consommation des pays membres de l'OCDE devrait rester stable. Parmi les sources d'énergie, le charbon devrait voir sa part croître de façon considérable en raison, notamment, des réserves détenues par la Chine et l'Inde. Cette augmentation est d'autant plus préoccupante qu'il s'agit d'une source d'énergie particulièrement polluante.

Il a précisé que 77 % de l'augmentation de la demande d'énergie de 2007 à 2030 sera liée à la consommation d'énergies d'origines fossiles avec, en particulier, une augmentation de la demande de pétrole de 85 milliards de barils en 2008 à 105 milliards de barils en 2030. En 2008, la consommation d'énergies fossiles des pays hors OCDE a déjà dépassé celle des pays membres de l'OCDE, celle de charbon des pays hors OCDE a dépassé celle des pays de l'OCDE en 1988 et celle de gaz en 2008. Ce croisement s'effectuera en 2016 pour le pétrole.

a ensuite évoqué l'évolution de la production et des investissements pétroliers ces deux dernières années. Il a indiqué que les projections de consommation dans les cinq années à venir montraient que les pays hors OCDE devraient augmenter leur consommation de 8 milliards de barils alors que la consommation des pays de l'OCDE devrait diminuer d'un milliard de barils. La croissance de la consommation de 7 milliards de barils qui en résultera devrait inciter les pays producteurs à investir. Cependant la diminution conjoncturelle de la consommation entre 2007 et 2009 de 4 milliards de barils et la surcapacité de l'Arabie saoudite et du Koweït d'environ 6 millions de barils par jour ont conduit les compagnies pétrolières à réduire leurs investissements dans la production d'hydrocarbures de 19 % en 2009, les investissements dans les énergies renouvelables diminuant également dans la même période de 38 % du fait de la baisse des cours du brut et de la moindre rentabilité de ces investissements. Ces tendances contradictoires expliquent qu'il y ait une réelle incertitude sur les montants des investissements dans les années à venir. Selon les scénarios de l'OPEP retenus, le montant global des investissements réalisés entre 2008 et 2020 au sein des membres de cette organisation devrait être compris dans une fourchette très large allant de 130 milliards de dollars à 430 milliards de dollars.

Évoquant l'évolution de la production de gaz naturel, il a indiqué que les prix avaient, dans l'ensemble, suivi ceux du pétrole. Il a précisé qu'il fallait cependant distinguer le prix du gaz indexé au prix du pétrole, tel que le gaz consommé en Europe et au Japon, du gaz issu du « marché libre » américain et britannique, 60 % moins cher. Il a souligné que le marché du gaz avait été largement modifié par le développement de la production de gaz non conventionnel issu de schisme bitumineux. En trois ans la production du gaz non conventionnel des schistes bitumineux a augmenté de 430 milliards de mètres cube. Cette augmentation a conduit les Etats-Unis à réduire sensiblement leur importation de gaz liquide naturel et a ainsi contribué à la diminution du prix du gaz qui est devenu, aujourd'hui, concurrentiel avec celui du charbon en Europe et aux Etats Unis. Cette évolution devrait favoriser une substitution du gaz au charbon dans la production d'électricité.

Il a ensuite fait observer que de très nombreux investissements dans les infrastructures de transport de gaz avaient été initiés en Europe et en Asie pour diversifier la trajectoire des gazoducs afin de sécuriser les approvisionnements, ajoutant que de nombreux terminaux de regazification du gaz liquéfié avaient été créés aussi sur la façade atlantique de l'Europe ainsi qu'en Méditerranée. Il a constaté que seuls 73 % de la capacité de gaz serait d'ici 2015 non utilisée et que les consommateurs payaient le coût de ces investissements, en particulier pour les très coûteuses usines de regazification et le gazoduc Nordstream.

La production de la Russie diminue de manière rapide, à tel point que l'on peut s'interroger sur les capacités de ce pays à satisfaire une augmentation de la demande. Une part très significative de l'approvisionnement, de l'ordre de 40 % du marché domestique russe, pourrait être donnée à des indépendants. S'agissant des gazoducs, M. William C. Ramsay a souligné leur vulnérabilité, notamment au terrorisme, et du fait que certains d'entre eux sont très mal entretenus. De plus, l'élection de Victor Ianoukovytch en Ukraine va vraisemblablement conduire à l'apaisement des tensions avec la Russie, ce qui permet de s'interroger -mais trop tard- sur l'utilité du Nord Stream. La production russe cheminera en fait par trois gazoducs au lieu de deux, au détriment sans doute de l'Ukraine.

a ensuite évoqué la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il a souligné que si les tendances actuelles étaient poursuivies, la production annuelle de gaz carbonique passerait de 28 giga tonnes par an, en 2010, à 42 giga tonnes en 2030 et à 62 giga tonnes en 2050. Il a fait valoir que le développement de nouvelles technologies et les engagements pris par les États pour réduire les émissions carbone pouvaient considérablement infléchir ce scénario. Il a souligné que les engagements pris à Copenhague permettraient, s'ils étaient respectés, de réduire à 31 giga tonnes la production de carbone en 2020. Il a estimé que les négociations à Copenhague avec 193 pays avaient illustré les limites du multilatéralisme. Il a jugé qu'il aurait été sans doute préférable de chercher un accord entre les 15 principaux pays consommateurs, qui produisent à eux seuls 81 % des émissions de gaz carbonique, puis d'essayer d'obtenir un consensus sur cet accord au sein des 193 pays participant à la conférence.

Il a souligné, en conclusion, que l'enjeu principal, dans les années à venir, n'était pas le manque de sources d'énergie mais le choix du type d'énergie le moins polluant. L'utilisation potentielle de l'énergie solaire inépuisable ou de l'uranium offre en effet à la créativité humaine un champ quasi infini.

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