Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 avril 2010 : 1ère réunion
Situation en afghanistan — Audition du général stanley a. mcchrystal fias

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président :

Accueillant le général McChrystal, M. Josselin de Rohan, président, a rappelé qu'il avait mené une mission de la commission en Inde, en Afghanistan et au Pakistan au mois de septembre 2009 et qu'un rapport intitulé « Afghanistan : quelle stratégie pour réussir ? » avait été publié.

La tonalité générale de ce rapport était, à la fois, de reconnaître la pertinence de la stratégie proposée tout en soulignant l'extrême complexité et la difficulté de sa mise en oeuvre. Les grandes lignes de cette stratégie globale avaient d'ailleurs été définies par les chefs d'État et de gouvernement réunis dans le cadre de l'OTAN à Bucarest. M. Josselin de Rohan, président, a souligné que, au-delà des prises de position politiciennes, on ne pouvait que regretter le caractère tardif de cette approche qui mêle afghanisation, contre-insurrection, développement et régionalisation dans une vision globale. L'arrivée aux responsabilités du Président Obama a indiscutablement accéléré la mise en oeuvre de la stratégie définie à Bucarest.

S'agissant de la question du désengagement d'Afghanistan, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que la fixation d'une date précise ne lui paraissait pas opportune. Plus qu'une date, il importait de définir les conditions à réunir pour permettre un début de retrait.

Faisant remarquer que la seule option militaire ne pouvait conduire qu'à une impasse et à l'échec -la France a connu cette situation en Algérie où la victoire militaire s'est accompagnée d'une défaite politique-, M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que deux conditions du succès de la stratégie occidentale en Afghanistan étaient fondamentales.

La première est celle de l'afghanisation. Elle consiste en une montée en puissance des forces armées et de la police afghanes qui doivent prendre le relais des forces de la coalition pour assurer la sécurité du pays. L'autre condition est de nature politique. Les conditions dans lesquelles se sont déroulées les élections présidentielles ne sont naturellement pas satisfaisantes. En dépit des pressions occidentales et des engagements du gouvernement afghan, en particulier après la conférence de Londres, il s'est interrogé sur l'existence de progrès significatifs en matière de gouvernance, de transparence et de lutte contre la corruption.

Ensuite, il a souligné que le calendrier politique de l'année 2010 était extrêmement chargé, avec, en particulier, la Jirga de la paix qui doit se réunir fin avril à Kaboul, la conférence de Kaboul au mois de juin et les élections législatives dont la date a été fixée au 18 septembre. Il a demandé ce que pourraient être les évolutions institutionnelles souhaitables pour aller vers le succès.

Enfin, il a interrogé le général McChrystal sur l'évolution des relations régionales, en particulier sur la situation au Pakistan, et sur le rôle de l'Inde, Etat dont il avait critiqué la stratégie dans son rapport du mois d'août 2009.

Le général McChrystal a tout d'abord rappelé que la stratégie de la coalition internationale reposait sur quatre éléments principaux. Dans le cadre de la contre-insurrection, l'objectif principal est de gagner la population et de faire en sorte qu'elle accepte et soutienne les autorités légales. En second lieu, la coalition doit remporter l'initiative. Cette manoeuvre est en cours, mais il est d'ores et déjà certain que l'ennemi a perdu l'initiative. Le troisième point consiste à créer une force armée et une police afghanes durables, honnêtes et efficaces. Enfin, un grand effort doit être accompli sur le plan international pour améliorer la gouvernance en Afghanistan. Si l'insurrection est dénuée de fondement idéologique, elle n'en reflète pas moins le rejet du Gouvernement et de la corruption. Cette image est utilisée par les taliban alors même qu'ils ne bénéficient pas d'un soutien populaire. Une meilleure gouvernance est dès lors indispensable.

S'agissant de la situation, en termes de menaces, on constate, depuis 2007, une multiplication des événements violents. Le niveau relativement élevé de ceux-ci devrait se maintenir en 2010, ce qui ne signifie pas que des progrès ne soient pas déjà réalisés. Toutefois, pour la population, la permanence de ces événements perturbe la vie quotidienne, les déplacements et le commerce. La prégnance de l'insurrection a diminué dans le sud et l'est où, si les taliban restent puissants, ils ne contrôlent pas le territoire.

La stratégie menée consiste à mettre l'accent sur un certain nombre de zones prioritaires, les plus critiques en termes de sécurité, et à élargir progressivement l'action de sécurisation. En effet, la coalition ne dispose pas de forces militaires et de coopérants civils en nombre suffisant pour agir sur toutes les zones en même temps. Des choix doivent donc être effectués et la priorité a été donnée pour l'instant au Sud, la province du Hemland et, en particulier, à la région de Kandaha, puisque c'est dans cette zone que les taliban étaient les plus puissants. La réduction de leur importance aura une incidence sur l'ensemble de l'insurrection dans le pays. Un second effort est fait à l'Est où le réseau Haqqanni est actif. Les effectifs dans cette zone seront renforcés à l'automne.

Le général McChrystal a ensuite commenté les opérations militaires récentes et notamment l'opération « Moshtarak ». Cette opération se situe dans une zone qui était maîtrisée par les taliban depuis de longues années. Il s'agit d'une zone de terres agricoles riches. L'objectif de l'opération, à laquelle a largement participé l'armée nationale afghane, est de montrer la capacité du Gouvernement à reprendre et à sécuriser une zone. Par rapport aux opérations précédentes, la préparation a constitué un élément fondamental. Un conseil a été mis en place afin de recueillir les besoins et les désirs des populations de manière à ne pas leur imposer des décisions de la coalition et de faire ce qu'elles désiraient. Le général McChrystal a souligné le caractère démocratique de la société afghane qui, à travers ses conseils d'anciens et ses « Jirga », aboutit à des décisions consensuelles. Le message relayé par ce conseil était extrêmement clair : une intervention est urgente mais elle suppose une volonté de rester dans la durée. Il convient, en second lieu, de remplacer les autorités corrompues. Enfin, les pertes collatérales doivent être évitées.

Un mois avant l'offensive, les chefs locaux afghans se sont réunis avec le Président Karzai en présence du général McChrystal. À l'issue de cette réunion, le président a donné des orientations de qualité. Vingt-quatre heures avant le déclenchement de l'offensive, le Président Karzai a approuvé officiellement l'opération, ce qui était sans doute une première, et consacrait son rôle de « commandant-en-chef ». Cette méthode de coopération et de partenariat avec les Afghans est fondamentale pour leur montrer que la coalition est au service du peuple afghan et de ses autorités légales.

Le général McChrystal a souligné que le changement de l'état d'esprit de la population prendra beaucoup de temps. Toutefois, en dépit des tentatives d'infiltration et de désinformation des taliban, cette opération est un succès.

Le général McChrystal a ensuite rendu hommage au dispositif français en Kapissa et Surobi et aux performances de la task force « La Fayette » avec laquelle il a été récemment en opération. La zone dans laquelle les forces françaises agissent avec une grande efficacité est caractérisée par la faiblesse des autorités gouvernementales de la province et de la police. La sécurisation de la zone se déroule de manière très satisfaisante mais doit s'inscrire dans la durée. Le général McChrystal a souligné la très forte participation française, en indiquant que son adjoint direct serait prochainement un général français. Par ailleurs, il a salué le travail effectué par la gendarmerie pour contribuer à la création d'une force de gendarmerie afghane.

Le général McChrystal a ensuite indiqué que la stratégie qu'il menait en Afghanistan consistait à bâtir l'avenir en interaction avec le peuple afghan et ses autorités. Il faut vivre, manger, planifier, s'entraîner, opérer et évaluer ensemble, d'égal à égal. Ce partenariat étroit est destiné à renforcer réciproquement les partenaires et à créer la confiance. Ce sont les ingrédients de la réussite.

Abordant la question des détentions, le général McChrystal a souligné que cette question constituait une vulnérabilité stratégique, dans la mesure où les Afghans ne souhaitent pas que les étrangers détiennent des nationaux. C'est la raison pour laquelle un centre de détention spécifique et moderne a été créé. Ce centre fait l'objet d'une gestion transparente, ouverte à la presse et à la Croix-Rouge. Il est pour l'instant géré conjointement avec les autorités afghanes qui en prendront la responsabilité au 1er janvier 2011. 74 % des détenus sont des taliban, 21 % appartiennent au réseau Haqqani et environ 3 % à Al Qaïda. La clé de cette question est la souveraineté afghane sur ces détenus.

S'agissant des pertes civiles, le général McChrystal a indiqué que tout devait être fait pour ne pas nuire à la population. La guerre peut être perdue si les pertes collatérales sont trop importantes. Pour l'instant, le nombre de ces pertes est en diminution, du fait de la coalition, alors qu'elles augmentent à cause des attentats perpétrés par les insurgés. Il existe une corrélation très forte entre l'augmentation de la violence et l'augmentation des pertes civiles, que ce soit du fait de la coalition ou de l'insurrection. Dans les deux cas, l'image de la coalition occidentale est atteinte en raison du ressenti de la population. Il faut donc agir sur deux fronts : celui de la limitation maximale des pertes collatérales dues à l'action des forces armées de la coalition et celui de la lutte contre les attentats terroristes.

Le général McChrystal a regretté le manque d'expérience afghane au sein de la coalition où, en particulier, personne ne parle les langues du pays. L'accroissement de ces compétences linguistiques est indispensable et il aurait dû être opéré dès 2001. L'augmentation du nombre des interprètes et celle du nombre des Afghans maîtrisant l'anglais permettent néanmoins de pallier partiellement cette carence. Le général a indiqué que l'un de ses aides de camp était afghan.

Le maintien du rythme, notamment en matière de formation des formateurs, comme de formation de l'armée nationale afghane est indispensable. De même, le partenariat avec les Afghans est un élément-clé. Le principal indicateur de succès sera le niveau de confiance de la population dans le Gouvernement. Il dépend de l'amélioration des conditions de vie, de la liberté de circulation, de l'éducation et de la santé, mais aussi de la montée en puissance des forces de sécurité afghanes qui doivent progressivement prendre la direction des opérations. Le général McChrystal a souligné l'extrême jeunesse de la population afghane qui n'a jamais connu d'autre situation que la guerre. Il est donc particulièrement important d'évaluer si les désirs de paix et de stabilité de la population sont satisfaits.

Le général McChrystal a insisté sur l'importance des questions de gouvernance et de lutte contre la corruption dans le rétablissement de la confiance de la population envers son propre Gouvernement.

En conclusion, le général McChrystal a indiqué que, du côté militaire, l'unité des efforts était satisfaisante, mais que des progrès devaient être faits en matière de coordination de l'action civile.

À la suite de cette présentation une discussion s'est instaurée.

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