Intervention de Jean-Pierre Bayle

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 23 mars 2011 : 2ème réunion
Gestion du centre national de la fonction publique territoriale cnfpt — Audition de Mm. François deluGa président du cnfpt jean-marie bertrand rapporteur général de la cour des comptes et de représentants des associations d'élus locaux

Jean-Pierre Bayle, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes :

Ce sont vingt-trois années de gestion du CNFPT, entre 1987 et 2010, que la Cour a examinées, formulant des constats parfois très critiques et déplorant que les engagements pris n'aient pas été tenus, ou ne l'aient été que très partiellement. Nous avons certes observé une certaine remise en ordre, mais elle demeure très insuffisante. Le CNFPT doit s'adapter à un contexte nouveau et entrer en convalescence, alors qu'il est confronté à des obstacles en grande partie internes.

Il n'a appliqué qu'avec retard la loi du 19 février 2007. S'étant beaucoup consacré à la formation initiale des agents, il a porté une attention inégale aux différentes catégories de personnel et de collectivités et n'a pas su suffisamment mobiliser son potentiel ou renouveler sa stratégie et ses pratiques. La loi instaurait un droit individuel à la formation professionnelle et la validation des acquis de l'expérience. A la formation initiale étaient substituées des formations d'intégration et de professionnalisation. La gestion des concours de la catégorie A était transférée aux centres départementaux de gestion à compter du 1er janvier 2010. Le recentrage des missions du centre donnait l'occasion de réformer son fonctionnement, alors que les moyens humains et financiers ne manquaient pas. Mais ce n'est qu'en septembre 2010 que vit le jour un projet national de développement destiné à affiner les objectifs, à satisfaire les demandes des collectivités et à remédier aux insuffisances de la gestion.

Parmi les adaptations nécessaires, il faut mentionner le renouvellement de l'ingénierie de formation, par des actions plus territorialisées et individualisées, la dématérialisation des procédures et des formations, le resserrement des liens avec les collectivités et l'établissement de partenariats avec les réseaux professionnels et les universités. La transformation des écoles en un réseau d'instituts organisés comme des pôles de compétences spécialisés ne résout pas tous les problèmes, car la réforme ne doit pas se limiter à un plan de sauvegarde des structures existantes. Nous avons de longue date souligné l'inégal niveau d'activité entre les quatre écoles nationales d'application des cadres territoriaux (Enact) et formulé des critiques à l'égard de celles de Dunkerque et, dans une moindre mesure, de Nancy.

Les ressources financières du CNFPT n'ont cessé d'augmenter. Pour l'exercice 2008, l'excédent s'est monté à 35 millions d'euros, ce qui s'explique à la fois par l'augmentation des cotisations - due aux transferts de personnel de l'acte II de la décentralisation - et par la diminution de l'activité, donc des charges. En 2009, l'excédent fut de 33 millions d'euros. Les fonds propres ont augmenté - plus de 326 millions d'euros en 2009 - ainsi que les disponibilités financières, tandis que l'endettement a été réduit.

Or le Centre a été incapable de développer ses activités en proportion. En 2009, le nombre de journées de formation pour les stagiaires a diminué de 7,8 %. La réduction de la formation initiale n'a pas été compensée par un développement de la formation continue, malgré un redressement en 2009. Entre 2004 et 2009, le nombre de journées de formation pour les stagiaires n'a augmenté que de 24 %, alors que les effectifs de la fonction publique territoriale augmentaient de 28 % et le produit des cotisations de 40 %. Trois défauts persistent : la quasi absence d'évaluation des formations, les refus de stage et l'absentéisme.

J'en viens aux ambitions immobilières du Centre. Un plan d'investissement immobilier a été lancé en février 2010 ; entre 2009 et 2013, les dépenses augmenteront de 150 millions d'euros, pour couvrir des opérations de construction et de rénovation et le regroupement des immeubles parisiens dans un site unique. Seule l'acquisition d'un immeuble intra muros a été envisagée : elle devrait coûter 70 millions. Le Centre s'expose ainsi à des dépenses non négligeables, alors que la maintenance n'est ni pilotée, ni programmée ; il est d'autant plus nécessaire d'y réfléchir que les obligations de mise aux normes incombant aux propriétaires s'alourdissent.

L'abondance des ressources n'est sans doute pas étrangère au laxisme de la gestion, en particulier dans les domaines des achats de formation, de la logistique et des ressources humaines. Dans un établissement où la responsabilité a été peu reconnue et peu sanctionnée, le CNFPT a tenté de mettre en place des instruments et des procédures pour améliorer la gestion, sans outils d'information en mesure de délivrer rapidement et systématiquement des indications simples. Le projet national de développement devrait toutefois permettre un pilotage plus efficace.

En revanche, le CNFPT se refuse à envisager la mutualisation des fonctions logistiques et administratives entre délégations régionales de petite taille. Il faudrait peut-être remettre en cause l'exercice en régie de prestations d'hôtellerie et de restauration, pour un coût plus élevé que lorsqu'elles sont confiées à un intervenant extérieur. Enfin, un établissement de la taille du CNFPT aurait dû disposer d'un service d'audit interne à même de vérifier la bonne application des directives du siège, d'apprécier la pertinence des indicateurs, de formuler des recommandations, d'en suivre l'application. La Cour prend acte de l'engagement de se doter d'un tel service.

La gestion des activités de formation doit être revue. Le CNFPT a fait le choix de ne pas se doter d'un corps interne d'enseignants mais de recourir à des prestataires extérieurs - intervenants individuels, associations ou entreprises spécialisées - avec lesquels il conclut des marchés de formation. Pour ne rien dire du respect des procédures mises en place par le siège pour normaliser la commande publique, il est possible de souligner que les structures méconnaissent souvent la nécessité de définir rigoureusement les besoins, d'élargir le vivier des intervenants au-delà du cercle des « habitués » du CNFPT, de maîtriser les coûts pédagogiques et logistiques et d'évaluer les formations dispensées.

Les règles de la commande publique sont loin d'avoir été parfaitement respectées dans toutes les délégations régionales au cours des années 2006 et 2008. Dans certains cas, il n'y a eu aucune procédure de mise en concurrence et de passation de marchés publics. La plupart du temps la formalisation de la commande publique, qui conduit au renouvellement des mêmes intervenants, n'est qu'un habillage, même lorsque les montants en jeu sont très importants comme à l'Institut national des études territoriales. Pour apprécier les rentes de situation ainsi constituées, encore faudrait-il que le système informatique de recensement des intervenants permette de remonter avant l'année 2000...

L'établissement vient d'engager un audit de ses marchés de formation. Cette prise de conscience est devenue particulièrement nécessaire tant au regard de l'exigence de régularité que de l'évolution de la formation elle-même : des dérives punissables pénalement ont été relevées dans l'insertion de la Cour, l'une d'entre elles ayant fait l'objet d'une plainte ; plus généralement, certaines pratiques relevées par la Cour seraient de nature à mettre en cause la responsabilité de l'ordonnateur. Qui plus est, les nouvelles orientations du plan stratégique comportent un risque de renchérissement des coûts, avec le raccourcissement des sessions de formation, la professionnalisation, la territorialisation, l'individualisation et la diminution des effectifs par session.

S'agissant des intervenants individuels, leur renouvellement demeure faible : certains sont des quasi salariés à mi-temps de l'organisme. Des frais de déplacement leur sont servis en méconnaissance de toute notion de coût « par économie et pour un gain de temps », selon les termes des ordres de mission ; le remboursement en véhicule individuel, de toute puissance fiscale, est systématique - l'existence de transports publics, et même de lignes ferroviaires rapides, est ignorée. Des cas de remboursement excessifs ou des présomptions de fraude ont été relevés.

Sur les ressources humaines, nous relevons trois points faibles : peu d'évaluation, peu de mobilité, peu de formation. Le CNFPT, qui doit gérer plus de 2 200 agents répartis dans de multiples structures, au risque d'une confusion entre cette gestion et le paritarisme de son fonctionnement institutionnel, ne s'est pas doté d'une véritable politique de ressources humaines : ce point a été constamment relevé dans les communications successives de la Cour. Si la mobilité de l'encadrement supérieur est réelle, parfois grâce au recours à des compétences extérieures, tant au siège que dans les écoles et les délégations, il n'y a aucune cotation des postes en fonction de l'importance des responsabilités exercées. L'encadrement intermédiaire est géré comme l'encadrement supérieur, la mobilité en moins. La mobilité interne demeure extrêmement faible.

Le régime indemnitaire est établi en application des textes relatifs à la fonction publique territoriale et des délibérations du conseil d'administration ; les indemnités sont fixées au plafond prévu, sans aucune modulation en fonction du service rendu et des résultats obtenus. Cela vaut en particulier pour les cadres supérieurs. Le CNFPT n'a tiré aucune conséquence du passage de la notation à l'évaluation tenant compte des résultats obtenus par rapport aux objectifs assignés aux agents. Le nouveau directeur de l'INET a été le premier cadre à recevoir en 2010, lors de sa nomination, une lettre de mission lui confiant la réorganisation du réseau des instituts ; cette pratique jusqu'alors inconnue devrait être généralisée.

La formation interne s'est améliorée au cours de la décennie mais reste insuffisante. Ce n'est qu'en 2009 que le CNFPT a décidé de se doter d'un schéma pluriannuel de formation, d'un plan de formation et d'un centre de formation interne.

J'en viens aux effectifs. Le nombre total de postes permanents s'est continûment accru au cours des dix dernières années, passant de 2 043 à 2 204 entre 2004 et 2008. Or une partie de ces postes est occupée par des agents contractuels - 122 fin 2004, 130 fin 2008. Le CNFPT ne manque pas de personnel, mais ne se donne pas les moyens de former ses agents et de leur faire changer d'affectation, et s'estime donc contraint de recruter des agents contractuels, y compris dans des domaines non techniques. La Cour renouvelle ses observations sur le nombre excessif d'emplois fonctionnels et sur l'inadéquation entre le nombre de postes d'encadrement et le niveau des responsabilités réellement exercées.

Avec 387 agents, le siège regroupe plus de 15 % de l'ensemble des agents, ce qui résulte en partie de l'histoire et du mode de gouvernance. La réorganisation de ses missions n'est possible que dans le cadre d'un redéploiement.

L'intégration des agents des centres départementaux de gestion est encore incomplète. Entre 2005 et 2009, on a recouru de plus en plus souvent à ce mode de recrutement, avec pour résultat un volant supplémentaire d'environ 110 agents affectés au siège et dans les structures. Les postes occupés ne figuraient pas dans le tableau des emplois voté par le conseil d'administration. Une première clarification a été engagée en 2009 avec l'intégration au budget 2010 de 59 agents. Cette procédure de régularisation par intégration n'est donc réalisée qu'à moitié.

Certains avantages sont accordés sans justification, à commencer par les logements. Le conseil d'administration du CNFPT a fait usage des dispositions légales pour attribuer des logements pour nécessité absolue de service ou pour utilité de service à certains directeurs régionaux et à des membres de la direction générale. La Cour estime que le coût global de ces avantages est élevé. Comme elle l'avait déjà relevé, aucune des fonctions exercées au sein du CNFPT ne justifie l'octroi d'un logement pour nécessité absolue de service, ce qui suppose que l'agent ne puisse « accomplir normalement son service sans être logé dans les bâtiments où il doit exercer ses fonctions ». Quant aux concessions de logement pour utilité de service, au nombre de seize à la fin 2009, elles ne présentent pas clairement « un intérêt certain pour la bonne marche du service ».

Le CNFPT contribue, à hauteur de 1,3 million d'euros, au fonctionnement d'un comité des oeuvres sociales. La subvention ainsi versée à une structure externe est en partie utilisée pour financer, en dehors de la caisse publique, des prestations incombant à l'employeur, en l'occurrence des indemnités professionnelles, comme une prime à la mobilité et une prime de départ à la retraite ainsi que la cotisation à un contrat de prévoyance pour le maintien de la rémunération ; sur ce dernier point, comme l'a confirmé l'analyse transmise par le ministère de l'Intérieur à la Cour, le montage est irrégulier.

S'agissant des relations sociales, les informations communiquées à la Cour sur les moyens affectés à l'exercice de la fonction syndicale interne sont maigres. Le CNFPT n'a pas produit le protocole conclu en 1990 avec les organisations syndicales, qui lui a été expressément réclamé alors qu'il avait indiqué par écrit avoir cherché à le renégocier en 2000. Ce protocole étant introuvable, il en résulte que les pratiques observées ne peuvent être fondées que sur l'usage et la coutume. En outre, le siège ne centralise pas les données relatives aux facilités accordées en application de la loi et de ce prétendu protocole. Or il ressort des éléments recueillis par la Cour que les montants en cause ne sont pas négligeables.

En conclusion, la Cour prend acte de la définition d'une stratégie et de la volonté affichée d'améliorer la gestion au moyen de nombreux audits. Les réformes annoncées doivent se concrétiser et ne pas se limiter à de simples mesures correctrices, comme la Cour le constate et le critique depuis quinze ans désormais. Au cours de la période récente, les ressources abondantes ont de nouveau encouragé une gestion peu rigoureuse et n'ont pas permis un développement équivalent de l'activité de formation. La Cour considère en conséquence que le montant de la cotisation perçue par le CNFPT, fixé une fois pour toutes par son conseil d'administration en 1988 au montant plafond - 1 % des traitements de la fonction publique territoriale -, doit être adapté à ses besoins et à son activité, selon une périodicité à déterminer et un taux à fixer par le législateur. Elle formule six recommandations, dont cinq recueillent l'accord du CNFPT, et veillera à ce qu'elles soient effectivement prises en compte.

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