Intervention de Catherine Morin-Desailly

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales — Réunion du 9 juillet 2008 : 2ème réunion
Enseignements artistiques — Décentralisation - examen du rapport d'information

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly, rapporteur :

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'examen du rapport d'information de Mme Catherine Morin-Desailly sur la décentralisation des enseignements artistiques.

A titre liminaire, Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur, a tenu à remercier ses collègues de lui avoir confié l'élaboration de ce rapport d'information sur un sujet majeur, tant en termes de démocratisation culturelle que de politique locale.

Elle a rappelé qu'elle avait été alertée par le retard pris dans la mise en oeuvre effective du volet « enseignements artistiques » de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Celle-ci, répondant à un objectif de clarification de la répartition des compétences entre les collectivités publiques, n'organisait pas, stricto sensu, un transfert de compétences, les lois de décentralisation de 1983 ayant déjà reconnu l'initiative des collectivités territoriales dans ce domaine.

Aux termes de plus de six mois de travaux, elle a confirmé que, sur le terrain, cette réforme restait bien délicate à « orchestrer » et qu'il apparaissait urgent de sortir de l'« impasse » et de ne pas laisser s'installer plus durablement un climat d'incertitude qui serait, à terme, préjudiciable à notre système d'enseignement artistique.

Elle a souhaité que les acteurs concernés par ce dossier puissent, dans toute leur diversité, exprimer leur point de vue librement et sans tabou.

Après avoir ainsi entendu une centaine de personnes, au Sénat ou en région (à Rouen, Montpellier, Lille et Lyon ), elle a pris la mesure des attentes très fortes qui sont à la hauteur des espoirs que les professionnels du secteur ont placés dans une réforme jugée opportune pour accompagner le nécessaire renouveau des enseignements artistiques ; elles traduisent également un certain désarroi face à une réforme qui a été, dès le départ, mal engagée et qui a souffert, au-delà des problèmes financiers, d'un évident déficit de méthodologie auprès des élus.

Après avoir souligné que, derrière ses aspects « techniques », le sujet était éminemment politique, elle a indiqué que son rapport s'articulait autour de 3 axes : un volet historique et une présentation des objectifs de la loi de 2004, une analyse de la situation de blocage actuelle, puis des préconisations pour faciliter une sortie de crise.

Elle a relevé que du volet historique ressortait comment l'édification progressive de notre système d'enseignement artistique, depuis la création du Conservatoire de Paris en 1795, avait conduit à sa complexité actuelle, le réseau s'étant étoffé de par la volonté tantôt de l'Etat, tantôt des villes, et considérablement développé sous l'impulsion du Plan Malraux-Landowski de 1967.

Elle a rappelé que si les communes finançaient aux trois quarts, voire davantage, ces enseignements, l'Etat continuait d'en fixer les règles et d'en assurer le contrôle, mais en assumant une part de plus en plus réduite de leur financement (environ 7 % du budget des conservatoires classés).

a noté que, dans ce contexte, la loi de 2004 avait répondu à l'ambition louable d'améliorer la lisibilité du dispositif et de rééquilibrer les financements.

Elle a indiqué, qu'en 2002, le protocole de décentralisation en région Nord-Pas-de-Calais avait concerné les enseignements artistiques, afin d'expérimenter une organisation territoriale plus cohérente dans les domaines de l'enseignement de la musique, de la danse et du théâtre, mais aussi des arts plastiques. Après cette première étape, dont elle a regretté que l'ensemble du bilan n'ait pas été tiré, elle a indiqué que la loi de 2004 avait procédé à un aménagement de l'exercice des compétences des acteurs publics, selon le schéma suivant :

- les communes et leurs groupements conservent les responsabilités déjà exercées en termes d'organisation et de financement des missions d'enseignement initial et d'éducation artistique des établissements ;

- le département est chargé d'adopter un « schéma départemental de développement des enseignements artistiques », dans le souci, notamment, d'améliorer l'accès à ces enseignements ;

- la région doit organiser le cycle d'enseignement professionnel initial (CEPI), dans le cadre du plan régional de développement des formations professionnelles (PRDF), et en assurer le financement ;

- l'Etat continue d'exercer ses prérogatives en matière de contrôle pédagogique des établissements, il procède à leur classement (avec des conservatoires à rayonnement régional, départemental, intercommunal ou communal), il détermine les qualifications requises pour le personnel enseignant et il conserve l'initiative et la responsabilité des établissements d'enseignement supérieur.

a constaté qu'en parallèle, la loi avait prévu le transfert par l'Etat aux départements et régions des concours financiers qu'il accordait jusqu'alors aux communes pour le fonctionnement des 36 conservatoires nationaux de région et des 101 écoles nationales de musique, de danse et d'art dramatique.

Enfin, elle a souligné que la loi avait défini les missions des établissements, avec le souhait de les élargir, pour aller de l'éveil artistique à la formation de l'amateur et du futur professionnel, et qu'elle avait pour ambition de corriger les déséquilibres territoriaux et de remédier à l'insuffisante démocratisation de ces enseignements.

Elle a relevé que, parallèlement, le ministère avait décidé d'une réforme pédagogique, avec le nouveau cycle d'enseignement professionnel initial (CEPI), sanctionné par un diplôme national (et non plus un diplôme d'établissement), ainsi que d'une révision des conditions de classement des établissements.

Elle a insisté sur le fait que la conjonction de la loi de 2004 et de cette réforme des enseignements expliquait une partie des difficultés rencontrées. Quatre ans après, cette situation de blocage est préoccupante et la réforme est restée « au milieu du gué »...

Elle a souligné que tout n'était pas négatif cependant et qu'on pouvait se réjouir d'avancées certaines : ainsi, une dynamique s'est progressivement mise en marche, grâce notamment à la forte implication des professionnels ; ils attendent beaucoup de cette réforme, qui doit permettre une plus grande homogénéisation des cursus, encourager une diversification, une ouverture des enseignements et une mise en réseau des établissements.

a fait part ensuite des réactions des collectivités territoriales :

- les communes ont assez peu répondu, pour l'instant, à la réforme ;

- les départements se sont réellement investis dans l'élaboration des schémas départementaux, bien que les contenus de ces derniers soient très divers et prennent souvent faiblement en compte les volets danse et théâtre, ou encore les musiques actuelles ;

- quant aux régions, un certain nombre d'entre elles ont avancé, mais seule, à ce jour, la région Poitou-Charentes a inscrit un « volet enseignements artistiques » au sein de son PRDF. En effet, certaines régions ont considéré que le CEPI, dont la loi leur confie l'organisation et le financement, ne relève pas de leur champ « traditionnel » de compétence en matière de formation professionnelle, car le diplôme national d'orientation professionnelle auquel il conduit n'apparaît pas comme ayant pour finalité première l'insertion dans l'emploi.

a rappelé, cependant, que la vocation d'orientation du CEPI justifiait que la région ne puisse s'en désintéresser.

Elle a constaté que l'ensemble des acteurs se trouvaient donc face à une posture parfois assez largement attentiste des élus régionaux, en raison de craintes légitimes en termes d'impact financier de la réforme, mais aussi pour des motifs politiques.

Dans ces conditions, le transfert des crédits de l'Etat (soit 28,8 millions d'euros), qui devait être effectué au 1er janvier 2008, n'a toujours pas eu lieu : aux termes de la loi, il devait intervenir, en effet, dans le cadre de conventions passées avec les collectivités, au vu des schémas départementaux et des plans régionaux.

a souligné que ce report créait un contexte financier incertain, qui freine la dynamique engagée sur le terrain et qui est source d'inquiétudes pour les directeurs de conservatoire, leurs élèves et les familles concernées. En effet, certains des conservatoires les plus dynamiques ont déjà lancé le CEPI, à titre de préfiguration, alors que de lourdes incertitudes pèsent sur son organisation et son financement.

a regretté, par ailleurs, que le CEPI, qui ne constitue qu'un aspect d'une réforme plus globale, focalise les inquiétudes alors qu'il ne concerne qu'une minorité (environ 3 %) des élèves des conservatoires.

Elle a identifié ensuite les principales raisons de cette « panne » :

- tout d'abord, le problème financier, qui recouvre plusieurs dimensions : d'une part, le manque de transparence sur les modalités de ce transfert, en l'absence de critères de répartition des crédits de l'Etat entre régions et départements, et d'autre part, la question du différentiel entre le coût prévisionnel de mise en place des CEPI, tel qu'évalué par les régions, et les crédits susceptibles de leur être transférés ;

- ensuite, la concomitance entre les transferts prévus par la loi et la parution de textes réglementaires qui fixent des exigences plus élevées (en matière de qualification des enseignants, de structuration de la danse ou du théâtre, de diversification des disciplines...) et contribuent à renforcer ces tensions ;

- enfin, certaines carences de l'Etat ; en effet, s'il est vrai que des efforts ont été accomplis, toutes les personnes auditionnées ont insisté sur l'insuffisance de l'accompagnement de la réforme par l'Etat.

a regretté ce déficit de méthodologie et le fait que les services déconcentrés de l'Etat, en pleine mutation, soient souvent apparus « mal à l'aise » pour accompagner les élus.

Elle est convenue également que ce dossier « technique » était apparu non prioritaire aux yeux d'un certain nombre d'élus. Très occupés par la mise en oeuvre des autres volets de la décentralisation, ils ont, le plus souvent, laissé le dossier aux mains des professionnels.

Enfin, Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur, s'est demandé si la loi de 2004 était ou non applicable en l'état, ou s'il convenait de la modifier :

- certains, notamment l'Association des régions de France, défendent ce point de vue. Pour eux, la loi serait passée à côté de son objectif de clarification des responsabilités des différentes collectivités publiques dans le domaine des enseignements artistiques et devrait être modifiée ;

- pour d'autres au contraire, la souplesse de la loi permettrait une définition concertée des rôles entre les différentes collectivités publiques et justifierait ainsi de s'adapter à la diversité des situations locales ; ils craignent, en outre, que l'application de la loi ne soit encore différée.

Dans ce contexte délicat, Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur, a affirmé son souhait d'établir une synthèse des différents points de vue et d'avancer les propositions les plus consensuelles possibles. Elle a souligné que l'exercice s'était révélé d'autant plus délicat que tous les niveaux de collectivités publiques avaient vocation à intervenir, à un titre ou à un autre, dans le dispositif d'enseignement artistique.

Elle a précisé que ses préconisations, guidées par un souci de pragmatisme, visaient à n'entraîner aucune prépondérance de l'un des acteurs, mais plutôt à privilégier une coordination de leurs interventions.

Tout d'abord, elle a souhaité définir une méthodologie répondant à trois objectifs, pour sortir de l'impasse :

- réaffirmer la nécessité d'un consensus national autour du caractère prioritaire des enseignements artistiques en France ;

- sensibiliser l'ensemble des acteurs éducatifs et culturels, mais aussi les élus locaux, à l'importance de cet enjeu pour leur territoire, en termes d'aménagement et de développement culturels ainsi que de cohésion sociale ;

- favoriser le recrutement de personnels compétents chargés de ces missions dans les départements et régions.

Elle a souligné, ensuite, l'urgence pour l'Etat de clarifier et de conforter le volet financier de la réforme. Elle a souhaité que soit pris acte de la nécessité de desserrer la contrainte calendaire, en prorogeant le système actuel d'au moins un an, tout en sécurisant clairement l'enveloppe des crédits à transférer.

Elle a jugé nécessaire, également, de parvenir à une évaluation partagée du coût de mise en oeuvre de la réforme par les régions, en définissant une fourchette de coût du CEPI par élève, et de définir, sur la base de critères transparents, une clé de répartition des crédits à transférer entre départements et régions.

Elle a estimé que l'Etat devrait donner un « coup de pouce », y compris budgétaire, en vue d'une application plus sereine, efficace et équitable de la réforme.

Elle a insisté, ensuite, sur la nécessité de répartir plus équitablement les charges pesant sur les communes :

- en poursuivant la structuration intercommunale des enseignements artistiques, en en faisant l'échelle de référence pour tout nouvel équipement et un moyen d'harmonisation et de mutualisation des pratiques et des enseignements ;

- en réaffirmant le rôle incitatif des conseils généraux dans le cadre des schémas (avec une « prime à l'intercommunalité » pour les aides aux écoles « ressources ») ;

- en diversifiant les sources de financement des établissements (mécénat, partenariats privés ou transfrontaliers...).

a affirmé la nécessité de consolider la gouvernance des enseignements artistiques :

- en repositionnant l'Etat sur ses missions de pilotage et d'accompagnement ;

- en prenant mieux en compte la dimension interministérielle ;

- en renforçant notamment le partenariat avec le ministère de l'éducation nationale, pour consolider le système des intervenants musicaux (les « dumistes ») ou les classes à horaires aménagés.

Par ailleurs, elle a souhaité que soit reconnu, sous certaines conditions, un rôle de « chef de file » à la région, dans un souci d'aménagement concerté du territoire et de valorisation des complémentarités locales et que soit organisée la concertation, au niveau territorial, entre les élus et les acteurs des différents niveaux de collectivités dans le cadre de « commissions de coordination régionale ».

En outre, le rapporteur a proposé de mettre en oeuvre la réforme progressivement, avec pragmatisme et de manière consensuelle. A cet égard, elle a évoqué l'« expérimentation » de la réforme dans les régions le souhaitant, tout en étudiant, dans le cadre du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, l'opportunité d'une légère adaptation consensuelle de la loi de 2004.

a ensuite préconisé une adaptation du cadre juridique et financier des établissements d'enseignement artistique.

Elle a proposé que soit encouragée la création d'« EPCC à géométrie variable » (établissement public de coopération culturelle) pour concrétiser la concertation entre les différents niveaux de collectivités et en vue de développer une logique de réseau entre établissements.

Elle a souhaité aussi l'assouplissement de certains critères de classement des établissements, dans le sens d'une plus grande mutualisation des moyens d'enseignement.

Enfin, elle a exposé ses propositions visant à consolider la rénovation des enseignements artistiques.

Il s'agit :

- d'accompagner les évolutions des missions des établissements d'enseignement artistique ;

- de répondre au défi de la démocratisation en réaffirmant les missions centrales des pratiques collectives et en amateur, et en démystifiant l'accès aux enseignements artistiques, dans le cadre de campagnes « Osez le conservatoire ! » ;

- d'encourager la création d'un conservatoire « pôle ressource » pour un territoire de référence en plaçant ces établissements au coeur de partenariats multiples (dans un réseau d'établissements spécialisés, avec les structures associatives telles que les Maisons des Jeunes et de la Culture (MJC), les lieux de diffusion du spectacle vivant, les établissements scolaires...) ;

- d'adapter la formation initiale et continue des directeurs d'établissement à ces mutations, en prenant acte des nécessaires compétences managériales qu'elles supposent, et de mieux reconnaître le rôle clé de ces personnels par une revalorisation de leur statut ;

- de préciser les finalités des formations professionnelles artistiques, les objectifs et la vocation des CEPI et d'informer les élèves sur les débouchés possibles.

A cette fin, Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur, a préconisé le développement, aux niveaux régional et national, d'outils statistiques de suivi du parcours des diplômés et d'analyse des débouchés professionnels.

Enfin, elle a proposé d'assurer la continuité et la cohérence des parcours vers l'enseignement supérieur, dans le cadre des futurs « pôles » en région.

Un échange de vues a suivi cette présentation.

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