A l'heure où le débat sur la réforme des retraites met en lumière les inégalités professionnelles et salariales persistantes entre les hommes et les femmes, la question de la place des femmes dans les instances de direction des entreprises prend une importance particulière.
La délégation s'intéresse depuis longtemps à cette question. Elle s'est déplacée en Norvège et en Espagne en 2009, pour étudier la politique conduite par ces pays en matière d'égalité professionnelle. J'ai accompagné la ministre de la famille en Suède en octobre 2009, puis participé le 16 septembre dernier à Washington à une conférence organisée par le Centre des relations transatlantiques et consacrée aux inégalités de genre dans les conseils d'administration.
Je salue tout d'abord la qualité des travaux de votre rapporteur, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, et le rôle essentiel de conciliateur qu'elle a joué entre le Sénat et l'Assemblée nationale dans ce dossier. Elle a mené de nombreuses auditions, que la délégation aux droits des femmes n'a pas entendu reproduire. A mon invitation et sous le patronage de la présidente de notre délégation, Mme Michèle André, une table ronde s'est tenue au Sénat le 13 septembre dernier. Mme Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur, et Mme Debon, présidente de la commission « droit de l'entreprise » du MEDEF, sont venues donner le point de vue, respectivement, du Gouvernement et du patronat.
Le dispositif comporte quatre points clés : le périmètre d'application, le choix des sanctions, l'opportunité de limiter le cumul des mandats et les modalités d'évaluation de la loi. Tous les experts, dont Mme Brigitte Grésy, ainsi que toutes les femmes chefs d'entreprises présentes s'accordaient sur un constat : les femmes sont aujourd'hui bloquées dans leur accession aux postes à responsabilités dans l'entreprise. Elles représentent en France 41,2 % des cadres administratifs et commerciaux des entreprises, 18,2 % des ingénieurs et cadres techniques, mais seulement 10 % des membres des conseils d'administration. En dépit de la récente amélioration dans les entreprises du CAC 40, la France reste parmi les mauvais élèves de l'Europe, loin derrière la Norvège, dont 44,2 % des administrateurs de sociétés sont des femmes, loin derrière la Suède, qui compte 26,9 % de femmes dans ses conseils d'administration. Comme l'a dit l'International Herald Tribune, dans un article très récent, « les femmes françaises ont tout, sauf l'égalité ».
La situation dans les établissements et sociétés détenus par l'État n'est pas meilleure : 15,16 % des administrateurs nommés par l'État sont des femmes, un niveau comparable à ce que l'on observe dans le reste de l'économie. Mais on ne compte aucune femme parmi les dix personnalités nommées par le Parlement, à la RATP ou à Radio France par exemple. La composition, exclusivement masculine, du conseil d'administration de l'établissement public du Plateau de Saclay, décidée le 24 septembre dernier, est aussi une flagrante illustration du retard des établissements publics en matière de parité. Or l'État devrait être exemplaire.
La délégation souhaite donc durcir les obligations imposées aux autorités publiques compétentes quand il s'agit de nommer des administrateurs dans les conseils des établissements et sociétés publics : c'est l'objet de la recommandation n° 3, sur laquelle notre délégation sera particulièrement vigilante. Les deux propositions de loi, celle de Mme Nicole Bricq et celle qui nous vient de l'Assemblée nationale, traitent de manière comparable les sociétés privées et les établissements publics. Elles proposent de nommer 40 % de femmes dans les conseils d'administration des entreprises, des établissements publics à caractère administratif et des établissements publics industriels et commerciaux, à l'horizon 2016, avec un palier de 20 % d'ici trois ans. Cet objectif est ambitieux mais réaliste : il implique de recruter entre 600 et 1 000 femmes en six ans. L'accession récente de près de 50 femmes dans les instances directionnelles des entreprises cotées entre avril et septembre dernier a bien montré qu'il existe un « vivier » de femmes possédant l'expérience et les compétences requises. Les recommandations de la délégation visent à fixer un objectif ambitieux aux entreprises : que la féminisation des instances de direction des entreprises et établissements de l'État s'impose d'elle-même, à l'issue d'une période fixée par la loi.
Nous avons adopté sept recommandations. En ce qui concerne le périmètre d'application, la délégation considère que toutes les sociétés commerciales d'une certaine taille devraient faire entrer 40 % de femmes dans leurs conseils d'administration ou de surveillance. Le dispositif actuel des deux propositions de loi vise les sociétés cotées et celles qui emploient un nombre donné de salariés et atteignent un certain chiffre d'affaires. La référence au chiffre d'affaires ne nous semble pas opportune car celui-ci est fluctuant, introduisant un aléa inutile. Nous préférons viser toutes les sociétés cotées ainsi que les entreprises employant plus de 500 salariés, sans considération de seuil de chiffre d'affaires. Nous proposons également d'intégrer dans le champ d'application le secteur mutualiste.
La délégation considère qu'en matière de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances de direction, l'État doit être exemplaire. Un calendrier plus strict - trois ans au lieu de six - pourrait être prévu pour l'accession des femmes aux conseils des établissements publics administratifs, entreprises publiques et sociétés nationales. Je ne sous-estime pas les difficultés pratiques dues à l'hétérogénéité des statuts des établissements - certains n'ont pas de conseil d'administration. Cependant, l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes a, dans une note récente, proposé une liste des établissements publics administratifs de l'État susceptibles d'être mis en conformité avec la loi. La délégation suggère d'annexer cette liste à la loi, pour faciliter la mise en oeuvre de cette recommandation.
Par ailleurs, l'État pourrait nommer à parité, à compter de la promulgation de la loi, un homme et une femme alternativement dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises du périmètre de l'Agence des participations de l'État : les femmes n'y représentent à l'heure actuelle que 15 %. L'opportunité de fixer une barrière d'âge aux administrateurs nommés par les pouvoirs publics a fait l'objet d'un débat ; nous avons estimé utile de préciser qu'aucune nomination dans un conseil d'administration d'un établissement ou d'une société publique ne devrait être faite au-delà de l'âge de 75 ans.
La délégation estime que les sanctions doivent être proportionnées au but poursuivi tout en étant dissuasives. Nous approuvons la nullité des nominations contraires aux objectifs de la loi, mais non celle des délibérations prises par des conseils mal constitués. Quant au cumul des mandats, si on veut favoriser l'accession des femmes aux conseils d'administration, encore faut-il qu'elles trouvent des places vacantes ! C'est pourquoi la délégation se rallie à la proposition de loi sénatoriale, qui limite à trois le nombre de mandats simultanés d'administrateur, de membre du conseil de surveillance ou de membre du directoire de sociétés anonymes ayant leur siège sur le territoire français.
Les exemples étrangers l'ont prouvé : la simple existence d'une autorité de contrôle encourage les entreprises à se mettre en conformité avec la loi. La délégation souhaite l'institution d'une telle autorité au sein du ministère de l'économie et des finances. Enfin, nous demandons que le Gouvernement présente tous les trois ans un rapport au Parlement pour évaluer la progression de la situation.
Pour la délégation, l'objectif de 40 % de femmes dans les instances stratégiques des entreprises n'est pas un but en soi : il doit avoir un effet d'entraînement sur la situation des femmes dans l'ensemble de l'entreprise. Enjeu de justice sociale, la mixité des conseils doit aussi permettre d'améliorer la croissance des entreprises.