Intervention de Marie-Hélène Des Esgaulx

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 octobre 2010 : 1ère réunion
Représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration — Présentation de l'avis de la délégation aux droits des femmes - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marie-Hélène Des EsgaulxMarie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur :

Nous examinons la proposition de loi Copé-Zimmermann adoptée à l'Assemblée nationale, ainsi que celle, précédemment renvoyée en commission, de notre collègue Mme Nicole Bricq. Entre les deux textes, il existe une seule vraie différence, qui concerne le cumul des mandats.

La sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoir économique est un constat objectif, un phénomène persistant. Or un vivier existe : on estime à 1 350 au moins le nombre de femmes qui sont qualifiées pour siéger immédiatement dans un conseil d'administration. Leur présence améliorerait l'efficacité économique. Comment expliquer que les femmes représentent 50 % des cohortes à la sortie des grandes écoles, mais seulement 5 % des membres de comités de direction ? Il y a un impératif de justice et d'équité, mais c'est aussi la compétitivité qui commande ce rééquilibrage. Je suis persuadée que la gouvernance s'améliorera, donc les performances. Les entreprises dont le conseil d'administration est ouvert aux femmes résistent mieux à la tourmente économique. Se priver de la moitié des compétences disponibles ne peut pas être bon ! Les sociétés ont besoin d'administrateurs impliqués, indépendants, complémentaires. C'est la diversité, non l'identité des parcours et des cursus, qui assure le bon fonctionnement des conseils d'administration. Je souris de constater que l'on pose seulement maintenant la question des compétences pour siéger aux conseils : juste au moment où nous cherchons à y promouvoir les femmes...

La loi du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale prévoyait un quota de 20 % au moins dans les conseils d'administration. Son périmètre incluait toutes les sociétés anonymes et le Sénat s'y est rallié en commission mixte paritaire. Le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions au motif que l'égal accès mentionné dans la Constitution était réservé aux mandats et fonctions électives. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, ce verrou a été levé et c'est à l'article 1er de la Constitution - à l'initiative de M. le président Hyest - qu'est mentionné l'égal accès aux responsabilités professionnelles.

L'intervention du législateur dans ce domaine est légitime. Elle est légitime socialement, au titre de l'égalité professionnelle. Elle est aussi légitime d'un point de vue économique, car le conseil d'administration a pour mission d'orienter et contrôler l'action des dirigeants de l'entreprise et un conseil plus diversifié, avec des profils complémentaires, remplira mieux sa mission. Il a donc un rôle essentiel pour l'emploi et la croissance. Je ne suis pas une grande adepte des quotas, n'étant pas féministe, mais, quand les incitations et les recommandations ne changent rien, il faut bien intervenir... « Une nouvelle contrainte », se lamenteront certains : mais reconnaissons ensemble qu'elle n'est guère douloureuse et n'induit en particulier aucun coût financier.

Dans la proposition de loi votée par l'Assemblée nationale, seules sont concernées par l'objectif de 40 % les entreprises cotées sur un marché réglementé, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, tandis que les sociétés par actions simplifiées sont exclues du dispositif.

Sur la forme, je vous propose de nombreuses modifications au texte, afin qu'il soit parfaitement clair et d'application aisée. Sur le fond, les sanctions doivent être proportionnées. La nullité des délibérations doit être écartée, en particulier parce qu'elle induit des risques pour les tiers. Le code de commerce réserve cette sanction à des infractions très graves. Dans le cas présent, le Conseil constitutionnel pourrait la censurer comme disproportionnée. En outre, les sanctions ne sauraient être plus lourdes pendant la période transitoire qu'après. Je propose donc de conserver la nullité de nominations, plus lourde qu'il y paraît, car si plusieurs nominations sont remises en cause, le conseil d'administration risque de ne pouvoir se réunir ni élire son président. La suspension des jetons de présence, idée incluse dans la proposition de Mme Bricq, est préférable à une pénalité qui toucherait la société elle-même et serait donc indolore pour les décideurs. Le versement des arriérés serait effectué dés la régularisation de la composition du conseil. Je précise que cette sanction s'appliquerait à terme, dans six ans, et non durant la période transitoire.

L'objectif intermédiaire de 20 % vaut uniquement pour les sociétés cotées. Elles ont d'ailleurs commencé à appliquer la recommandation AFEP-MEDEF sur la présence des femmes dans les conseils et le pourcentage des femmes est passé de 10 à 15 % après les derniers renouvellements de juin dernier.

Il m'avait semblé initialement que le critère de cotation n'était pas le bon, car de petites sociétés sont parfois cotées et toutes les grandes ne le sont pas. Néanmoins, ce critère peut être conservé car ces sociétés qui font appel public à l'épargne, grandes ou petites, doivent être encore plus vertueuses que les autres. Inclure les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions me paraît raisonnable. Exclure les sociétés par actions simplifiées se justifie aussi, car cette forme est typiquement celle des petites et moyennes entreprises. Mais élargir le périmètre, comme le souhaite Mme Bricq, est pertinent. Je retiendrais pour ma part le seuil de 500 salariés et 50 millions de chiffre d'affaires ou de total de bilan.

Le critère du total de bilan est complémentaire de celui du chiffre d'affaires. Par exemple, les holdings ont un chiffre peu élevé, contrairement au bilan du groupe qu'elles coiffent, au titre de leurs participations... J'ajoute que si l'on ne prenait en considération que les sociétés cotées, les femmes feraient plutôt leur entrée au sein des holdings, structures qui s'intéressent essentiellement à la stratégie de long terme. Le pouvoir économique dans les groupes se situe aussi à l'étage inférieur.

Je propose d'inclure les entreprises publiques, mais non les établissements publics industriels et commerciaux qui ne sont pas régis par la loi du 26 juillet 1983, ni les établissements publics administratifs, en raison de leur très grande hétérogénéité. Il serait absurde d'appliquer la règle aux conseils d'université, par exemple.

Le cumul des mandats est une affaire complexe. Il faut distinguer entre mandats exécutifs et mandats au sein d'un organe de contrôle. Je souligne que tous les conseils d'administration ont tendance à créer des postes, certains conseils peuvent aller jusqu'au maximum légal de 18 membres, la moyenne se situant à 14 dans les grandes sociétés. La limitation du cumul des mandats doit s'appliquer surtout à l'exécutif, ce dont la proposition de loi ne traite pas. Les auditions ont révélé un consensus : un seul mandat exécutif et deux mandats d'administrateur au maximum paraissent un bon équilibre à tous nos interlocuteurs. Mais il faudra consacrer à ce sujet spécifique un autre texte, qui sera du reste fort technique et comprendra un certain nombre de dérogations. Nous y reviendrons. Traiter ici du non-cumul occulterait la volonté politique qui sous-tend le présent texte : changer la composition des conseils d'administration et de surveillance.

J'en viens enfin aux recommandations de la délégation aux droits des femmes.

Sur la recommandation n° 1, je crois le seuil de 500 salariés pertinent, mais je ne peux suivre la délégation lorsqu'elle veut écarter le critère du chiffre d'affaires. Mieux vaut donc combiner les critères du nombre de salariés, du chiffre d'affaires et du bilan.

Quant au champ mutualiste, objet de la recommandation n° 2, les règles qui s'y appliquent sont très différentes, les membres des conseils sont élus par les adhérents. En outre, nous ne sommes pas là dans l'économie à proprement parler concurrentielle.

Je suis d'accord avec la recommandation n° 3, si l'on exclut les établissements publics industriels et commerciaux qui ne relèvent pas de la loi de 1983 et les établissements publics administratifs. La recommandation n° 4 est satisfaite. J'approuve la recommandation n° 5 relative au cumul des mandats mais il faut la renvoyer à un texte distinct. Enfin, les recommandations n° 6 et 7 relèvent à mon sens du domaine réglementaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion