Intervention de Anne Lauvergeon

Commission des affaires économiques — Réunion du 1er février 2006 : 1ère réunion
Énergie — Nucléaire - Audition de Mme Anne Lauvergeon présidente du directoire du groupe areva

Anne Lauvergeon :

Après avoir remercié le président pour ses propos de bienvenue, Mme Anne Lauvergeon a indiqué qu'il lui était agréable de s'exprimer devant la commission des affaires économiques du Sénat, qui a toujours soutenu avec force le nucléaire français, y compris lorsque ce secteur n'était pas aussi bien considéré qu'aujourd'hui. Elle a souligné qu'elle avait toujours pu apprécier ce soutien indéfectible depuis sa prise de fonction en 1999, année où le président du Sénat avait effectué une visite à l'usine de la Hague.

Elle a poursuivi son exposé en rappelant quelles étaient les contraintes spécifiques pesant sur le marché de l'énergie.

En premier lieu, elle a rappelé la contrainte démographique : la population mondiale devant compter 8 à 9 milliards d'individus à l'horizon 2050, les besoins énergétiques seront fortement accrus avec des conséquences directes sur l'espérance de vie et le développement économique. Elle a ajouté que, de surcroît, le mode de vie des habitants des pays développés était sans cesse plus consommateur d'énergie, prenant à ce titre l'exemple de la diffusion des appareils de climatisation.

Ensuite, elle a évoqué la contrainte environnementale, du fait du lien direct entre le réchauffement climatique et la combustion des énergies fossiles. Mme Anne Lauvergeon a précisé qu'il en résultait une obligation collective de réduire de façon très significative les émissions de gaz à effet de serre, les experts évoquant la nécessité d'une réduction par quatre des quantités actuelles.

Puis elle a souligné l'existence d'une contrainte géopolitique liée à la localisation de l'essentiel des ressources énergétiques dans des zones politiquement peu stables, tels que le Proche et le Moyen-Orient, le Venezuela et la Bolivie. Elle a fait valoir l'importance de disposer de sources d'énergies domestiques, facteur d'indépendance pour les pays, rappelant à titre d'exemple la récente affaire Gazprom.

Enfin, elle a fait état de contraintes politiques plus générales, l'énergie constituant une préoccupation constante et centrale des Etats. Elle a indiqué que l'Europe accusait un retard par rapport aux Etats-Unis, à la Russie, à l'Inde ou encore à la Chine, car elle avait tardé à remettre l'énergie au centre de ses préoccupations, alors que l'on assiste aujourd'hui à un retour de l'énergie comme enjeu stratégique, à l'instar de la situation des années 1970, après la parenthèse qu'aura constituée la période d'apparente facilité des années 1980 et 1990.

Par rapport à l'ensemble de ces contraintes, elle a ensuite rappelé que l'énergie nucléaire était une énergie domestique permettant de produire de l'électricité à faible coût tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre comme les éoliennes, l'énergie photovoltaïque ou les barrages hydro-électriques. Elle a relevé que, si l'énergie nucléaire répondait, grâce à ces caractéristiques, à l'évolution des besoins actuels, elle ne pouvait pas en revanche constituer une solution énergétique réaliste pour un certain nombre de pays en développement, en raison de leurs insuffisances technologiques ainsi que de leur incapacité à mettre en place une autorité de contrôle offrant des garanties suffisantes.

a ensuite centré sa présentation sur trois zones stratégiques pour Areva : l'Europe, l'Amérique et l'Asie.

S'agissant de l'Europe, elle a cité le cas de la Finlande, qui a décidé en 2003 la construction d'un cinquième réacteur selon des modalités de financement originales, celui-ci étant assuré par un opérateur privé aux côtés d'investisseurs électro-intensifs -papeteries et chantiers navals- et des collectivités locales, dont notamment la ville d'Helsinki. Elle a indiqué que ce modèle coopératif se développait également aux Etats-Unis et que la Finlande étudiait désormais la possibilité d'acquérir un sixième réacteur dans des conditions similaires.

Elle a précisé que le réacteur EPR en projet à Flamanville avait pour objectif de préparer le futur renouvellement des centrales en activité.

Elle a ajouté qu'Areva était aussi en discussion avec des opérateurs allemands, notamment pour des projets hors d'Allemagne, et bulgares. Par ailleurs, elle a noté qu'en dépit des annonces officielles de sortie du nucléaire faites par certains pays européens, les choses n'étaient pas aussi évidentes dans la mise en oeuvre : la Belgique a finalement indiqué que sa décision n'était pas irrévocable et la Suède n'a toujours pas mis en oeuvre le sien. Elle a aussi évoqué le cas de la Grande-Bretagne, qui avait lancé très récemment un débat sur le nucléaire, l'objectif affiché étant la construction rapide de nouvelles centrales.

Elle a conclu sa présentation de la situation européenne en précisant qu'elle avait été sollicitée pour participer au groupe de travail « compétitivité, énergie, environnement » aux côtés de quatre commissaires européens et de représentants de sept autres entreprises, estimant qu'il s'agit là d'un signe du regain d'intérêt à l'égard des opérateurs du secteur nucléaire.

Evoquant ensuite le continent américain, Mme Anne Lauvergeon a précisé que la récente loi sur l'énergie, votée aux Etats-Unis tant par les républicains que par les démocrates, prévoyait la relance du nucléaire par l'octroi de subventions substantielles et dégressives au profit des six premières centrales nucléaires à construire. Elle a indiqué qu'Areva s'inscrivait pleinement dans le cadre de ces opérations aux côtés des compagnies électriques américaines, et ce en plus de sa participation au programme actuel d'extension de la durée de vie des centrales existantes, les trois quarts des cent trois réacteurs américains devant voir leur durée de vie prolongée. Elle a souligné que, pour répondre aux besoins du marché américain, Areva avait constitué avec un partenaire américain (Constellation Energy) une société commune dénommée Unistar Nuclear qui avait d'ores et déjà enregistré la commande de quatre réacteurs EPR.

Elle a complété sa présentation en indiquant que le Canada envisageait également la construction de nouvelles centrales nucléaires et que son groupe était en discussion sur des projets au Brésil.

S'agissant du continent asiatique, elle a rappelé que le Japon et la Corée poursuivaient leurs programmes nucléaires et que la Chine avait annoncé que ses besoins énergétiques s'élèveraient au minimum à 35 000 mégawatts en 2020. Précisant que son groupe participait à l'appel d'offre chinois lancé pour quatre réacteurs de troisième génération, elle a souligné toute l'importance du marché chinois dans la perspective, annoncée par les autorités, de produire 20 % de leur énergie à partir du nucléaire en 2045, ce qui équivaudrait à environ 500 centrales nucléaires actuelles. Elle a ensuite indiqué qu'elle accompagnerait le Président de la République en Inde à la fin du mois de février tout en précisant qu'Areva ne participait pas au projet d'acquisition de quatre réacteurs annoncé par ce pays, dans la mesure où son gouvernement n'avait pas signé le traité de non-prolifération. Elle a conclu son propos sur l'Asie en indiquant que plusieurs autres pays en développement y étaient demandeurs de capacité nucléaire, mais qu'il ne lui semblait pas raisonnable, pour des raisons de sécurité, d'y répondre. A ce titre, elle a fait valoir que l'énergie nucléaire ne constituait effectivement qu'une partie -actuellement 16 %- de la réponse aux besoins énergétiques mondiaux, tout en précisant à cette occasion que les réserves en uranium étaient suffisantes pour satisfaire la demande.

Puis Mme Anne Lauvergeon a présenté plus précisément son entreprise, indiquant qu'elle s'était profondément recentrée sur ses métiers fondamentaux. Soulignant que, lors de la création d'Areva en 2001, l'objectif était de mieux faire jouer la synergie entre les acteurs du nucléaire français (Framatome, la Cogema et CEA-Industrie), elle a fait valoir que tel était aujourd'hui pleinement le cas. Elle a rappelé que, lors de cette fusion, le groupe comprenait aussi la société FCI, filiale de Framatome, spécialisée dans la connectique, qui enregistrait 220 millions d'euros de pertes par semestre et qui a été cédée au fonds d'investissement Bain Capital, après avoir été rétablie financièrement, et moyennant des garanties importantes pour les salariés, aucun établissement en France ne pouvant être fermé dans les trois ans. Elle a ensuite évoqué le cas du pôle Transmission & Distribution (T&D), qui a permis à Areva de devenir le troisième acteur mondial en matière de réseaux électriques en 2004, cette position résultant d'une stratégie du groupe visant à en faire le fournisseur de produits, de systèmes et de services pour la transmission et la distribution d'électricité.

a par ailleurs insisté sur le fait que la stratégie du groupe Areva passait par un développement des exportations, citant en exemple l'usine de Chalon-sur-Saône dont la fermeture avait été envisagée par Framatome et qui, depuis la création du groupe, a vu son activité relancée par une orientation résolue vers l'international, 70 % de ses capacités industrielles étant aujourd'hui utilisées pour satisfaire les besoins du marché américain, principalement en générateurs de vapeur et en couvercles de cuves. A ce titre, elle a rapporté que le nucléaire et l'aéronautique étaient tous deux regardés à l'étranger comme des secteurs d'excellence pour la France.

Puis elle a évoqué le développement des capacités minières du groupe en uranium. Elle a rappelé que le marché de la production d'uranium avait été perturbé par la stratégie de ventes massives à court terme mise en oeuvre par la Russie à partir de 1991. Elle a poursuivi en indiquant que, dans ce contexte, seuls, Areva et la société canadienne Canaco Resources avaient continué à produire de l'uranium. Elle a ajouté que son groupe aspirait désormais à devenir le leader mondial dans ce secteur stratégique.

Evoquant ensuite les résultats obtenus par son groupe, Mme Anne Lauvergeon a indiqué que la marge opérationnelle n'avait cessé de progresser depuis 2001 et que le chiffre d'affaires de 2005, bien qu'inférieur à celui de 2004 en raison de la cession de FCI, attestait néanmoins d'une croissance organique significative. Elle a rappelé par ailleurs que le cours de l'action Areva, qui était de 131 euros en 2001, s'élevait à 475 euros aujourd'hui. En complément, elle a précisé que le groupe n'était que très faiblement endetté, présentant ainsi un bilan très solide et noté « A » par les agences spécialisées. Elle a imputé ces résultats au fait qu'Areva n'avait pas cédé à la tentation de la diversification vers d'autres activités considérées comme plus porteuses à la fin des années 1990. Elle a fait valoir que la bonne santé économique du groupe était aussi une condition fondamentale de son développement, dans la mesure où c'est sur son bilan financier que sont garanties les centrales nucléaires vendues, ajoutant que c'est cette contrainte de garantie qui avait justifié à l'époque le refus d'Areva de fusionner en l'état avec Alstom. Elle a enfin rappelé qu'Areva était la dixième des cinquante entreprises françaises inspirant le plus confiance aux leaders d'opinion.

Elle a mis en avant le fait que les succès d'Areva sur les marchés internationaux aboutissaient à ce que les trois quarts du chiffre d'affaires soient aujourd'hui réalisés hors de France. Elle a affirmé son attachement à un développement aussi équilibré que possible entre les continents européen, américain et asiatique. Elle a ajouté que le développement du groupe à l'international profitait aux centres de production français parallèlement aux unités créées à l'étranger, l'ensemble constituant un exemple réussi de mondialisation des activités.

A ce titre, Mme Anne Lauvergeon est revenue sur l'exemple des Etats-Unis, d'où Areva était quasiment absente il y a cinq ans alors que le groupe occupe désormais la première position dans son secteur, précisant que ce succès avait été rendu possible par le soutien du gouvernement américain au choix de la technologie MOX d'Areva (combustible mixte d'oxyde d'uranium et de plutonium) en matière de recyclage d'une partie du plutonium militaire, actuellement testée dans une centrale américaine.

Elle a souligné, en outre, que le groupe investissait massivement pour préparer l'avenir, notamment dans les mines, la conversion et l'enrichissement de l'uranium, la rénovation de l'outil industriel de l'usine de Romans ainsi que dans le renouvellement de ses équipes, le groupe ayant recruté près de mille jeunes -essentiellement des ingénieurs- en 2005. Sur ce dernier point, elle s'est félicitée de la qualité des recrutements opérés ainsi que de la façon dont s'effectuait la transmission de savoir-faire entre les collaborateurs expérimentés et les nouveaux arrivants. Eu égard aux préoccupations sociales plus larges de l'entreprise, elle a indiqué qu'Areva lançait actuellement une opération de recrutement de jeunes originaires de quartiers sensibles.

Au sujet de l'activité législative, elle a fait part de son souhait de disposer d'un texte précis en matière de traitement des combustibles usés, tout en souhaitant que le cadre posé ne soit pas trop contraignant quant aux durées de stockage, afin de laisser à l'industrie la possibilité de s'adapter. Elle a par ailleurs souligné que la réussite du laboratoire de Bure était essentielle et que l'année 2006 constituerait un rendez-vous essentiel pour la cohérence d'ensemble du modèle nucléaire français dont les déchets constituent le dernier maillon.

S'agissant plus précisément de la situation actuelle de T&D, elle a indiqué qu'un plan de redressement avait été mis en oeuvre depuis un an et que les résultats obtenus étaient satisfaisants. Elle a néanmoins précisé que la fermeture de certains sites s'était imposée, mais qu'elle s'accompagnait d'un reclassement actif de tous les salariés concernés auxquels Areva assure la priorité sur tous les emplois du groupe sans condition de formation préalable. Elle a constaté à cette occasion que les salariés de toutes les catégories étaient mobiles géographiquement, contrairement aux idées reçues. Enfin, elle a souligné que l'objectif pour T&D était désormais d'atteindre un niveau de profitabilité comparable à ses concurrents.

Revenant sur le nécessaire développement d'énergies ne provoquant pas d'émission de dioxyde de carbone, elle a fait savoir que son groupe continuait à élargir son offre d'énergies non productrices d'effets de serre. Elle a ainsi indiqué qu'Areva avait pris une participation dans le capital du fabricant allemand d'éoliennes REpower, les très grosses éoliennes off shore lui paraissant être une solution à fort potentiel. Elle a aussi fait valoir que le groupe développait les piles à combustible au travers de sa filiale HELION, ainsi que différents projets liés à la biomasse au Brésil, en Afrique du Sud, et éventuellement à Bure.

En synthèse, Mme Anne Lauvergeon a tenu à présenter l'état de plusieurs axes essentiels pour l'avenir du groupe. Elle a d'abord évoqué l'achat de Westinghouse par Toshiba pour préciser qu'Areva ne s'en était pas porté acquéreur d'une part en raison des lois anti-trust américaines et de l'importance de ses bonnes relations avec les autorités de ce pays, d'autre part eu égard à la difficile comptabilité entre les choix technologiques entre l'EPR d'Areva et l'AP 100 de Westinghouse.

A titre de synthèse, elle a fait valoir qu'Areva, leader mondial de son activité, connaissait une phase de forte croissance et qu'il convenait que le groupe, pour maintenir sa position, augmente ses capacités de production, maintienne son avance technologique et développe de nouvelles technologies sûres. Elle a insisté sur le fait que le groupe visait une croissance externe centrée sur son coeur de métiers, ce qui n'excluait pas le développement des énergies renouvelables. S'agissant de T&D, elle a indiqué que, passé la phase de redressement, l'objectif était désormais de le développer.

Enfin, elle a conclu en indiquant qu'Areva aurait besoin à terme d'avoir recours au marché financier, à défaut de quoi le groupe risquerait d'être contraint de s'endetter lourdement, ce qui restreindrait sa capacité à garantir les centrales nucléaires sur ses fonds propres. Elle a indiqué avoir pris acte de la décision prise par le Premier ministre en octobre dernier sur ce point, mais a néanmoins souligné qu'elle demeurait convaincue de la nécessité d'une ouverture de capital.

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