Intervention de Yvon Collin

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 juin 2010 : 1ère réunion
Politique française de coopération et de développement — Communication

Photo de Yvon CollinYvon Collin, rapporteur spécial :

Le Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) du 5 juin 2009 a décidé la réalisation d'un document cadre pour la politique de coopération au développement. Ce document doit formaliser les objectifs et la stratégie à moyen terme, et servir de référence unique pour l'ensemble des acteurs de notre aide publique au développement (APD). Il devrait être finalisé et adopté par le CICID en juillet prochain.

Pour son élaboration, le ministère des affaires étrangères et européennes a organisé une concertation entre les administrations et la société civile, en particulier les organisations non gouvernementales. Le Parlement a également été invité à participer à la réflexion. Dans cette perspective, le Gouvernement, début mai, nous a fait parvenir un document de travail qui préfigure le futur document cadre.

Notre commission, conjointement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a déjà tenu deux réunions sur ce sujet. Le 12 mai dernier, nous avons entendu le point de vue de quatre experts de l'APD. Le 26 mai, nous avons procédé à l'audition du ministre des affaires étrangères et européennes.

Il est certain que le futur document-cadre, tel qu'il a été préfiguré, présentera de nombreux mérites. Le premier est l'existence même d'un tel document. En effet, le monde change : les pays du Sud connaissent des trajectoires de développement très diverses ; les économies sont devenues interdépendantes ; les risques - en matière d'environnement, de santé ou de sécurité - sont désormais globaux. Dans ce nouveau contexte, complexe et mouvant, il est important que la France se dote d'une doctrine claire en matière de coopération.

Une autre qualité majeure du futur document tient à l'inflexion de la politique d'aide au développement qu'il tend à cristalliser. Il s'agit de mettre en oeuvre une APD qui ne relève plus de la charité, ou de la compassion, mais d'une stratégie géopolitique ; de soulager la pauvreté sans perdre de vue les intérêts de la France, que les enjeux soient économiques, migratoires ou de sécurité. On replace ainsi l'APD de plain-pied au sein de la politique étrangère.

Les ambitions du document cadre sont de redéfinir notre coopération au développement autour de quatre thèmes principaux : la stabilité et la promotion de l'Etat de droit, dans un contexte de montée des périls de nature politique que le sous-développement contribue à alimenter ; la croissance durable, alors que cette croissance dépend en partie de ressources non renouvelables et que le sous-développement favorise les modèles économiques les moins vertueux à cet égard ; la lutte contre la pauvreté et les inégalités ; enfin, la gestion des biens publics mondiaux, les questions environnementales s'avérant indissociables de la problématique du développement.

Suivant les orientations arrêtées par le CICID en 2009, le projet de document cadre fixe les priorités géographiques de l'intervention française et prévoit la mise en place de partenariats différenciés, en fonction du type de pays bénéficiaires. Il s'agit d'approfondir nos relations avec l'Afrique et le bassin méditerranéen et de préciser les objectifs de coopération avec les pays émergents et les pays en crise.

Je rappelle qu'il a été décidé en 2009 que 60 % des ressources budgétaires mobilisées pour notre APD seront désormais ciblées sur l'Afrique subsaharienne. Le sommet « Afrique-France » de la semaine dernière a d'ailleurs été l'occasion de réaffirmer la volonté d'une implication rénovée de notre pays sur le continent. Cette implication est d'autant plus nécessaire que, désormais, la croissance africaine attire les investissements de pays comme la Chine, l'Inde ou le Brésil.

En outre, quatre catégories de pays éligibles à notre aide ont été identifiées, des modes d'intervention adaptés étant associés à chacune de ces catégories. Il est appréciable que soit resserré, sur la base de ces nouveaux critères, le périmètre de la zone de solidarité prioritaire de la France.

En faveur des « pays pauvres prioritaires », dont une liste de quatorze Etats subsahariens a été arrêtée, il est prévu que soit affectée la moitié des subventions destinées aux objectifs du millénaire pour le développement, sous la forme de dons et de prêts très concessionnels.

Pour les pays à revenu intermédiaire, l'aide prendra la forme de prêts concessionnels et d'une assistance technique. Elle sera attribuée sous la forme de dons et de crédits humanitaires en ce qui concerne les pays en crise ou en situation de sortie de crise.

Enfin, les pays émergents bénéficieront de prêts peu ou pas concessionnels. Les financements ne constituant pas le besoin premier de ces pays, l'investissement y vaut surtout comme « point d'entrée » dans les politiques publiques locales et la promotion de l'expertise et des technologies françaises. Cependant, on peut s'interroger sur la pertinence de certaines de ces interventions sous le label « aide au développement ». En 2008, par les montants engagés, la Turquie et la Chine ont respectivement occupé le quatrième et le cinquième rangs des pays bénéficiaires de notre APD ! Il conviendrait de se doter de critères clairs encadrant cette aide.

Par ailleurs, il est prévu que l'aide soit concentrée sur cinq secteurs prioritaires : la santé, l'éducation et la formation professionnelle, l'agriculture et la sécurité alimentaire, le développement durable, enfin le soutien à la croissance. Le projet de document cadre indique que les investissements et le long terme doivent être privilégiés.

Il y a lieu d'approuver, globalement, l'ensemble de ces orientations. Même si l'on peut discuter le détail de tel ou tel point, le Gouvernement a incontestablement entrepris un travail important de modernisation de la politique de coopération, selon des paramètres pertinents de « lecture » de l'état du monde actuel, des besoins des pays en développement et, je crois, de nos intérêts propres en ce domaine.

Je serai plus critique sur les aspects financiers du sujet.

Sous cet angle, il y a au moins trois enjeux majeurs : la comptabilisation des dépenses par le Comité d'aide au développement de l'OCDE, qui détermine le classement annuel des Etats contributeurs ; les moyens financiers consacrés à la politique de coopération au développement, et donc la « soutenabilité » budgétaire de cette politique, dont dépend la crédibilité même ; enfin, les instruments financiers utilisés. Or le projet de document cadre ne traite que de ce dernier aspect.

Une approche « globale » du financement du développement a été retenue, qui postule la nécessité de mobiliser les ressources tant publiques que privées, notamment les ressources fiscales des pays destinataires de l'aide, les investissements directs étrangers, ou encore les transferts de fonds des migrants. Il me semble que le document pourrait se référer davantage au Consensus de Monterrey, en particulier aux principes selon lesquels les ressources nationales doivent constituer la source prioritaire de financement du développement et les mécanismes permettant un effet de levier sont à mobiliser en priorité.

Par ailleurs, le projet souligne le soutien de la France à l'essor des financements innovants. Je rappelle le rôle pionnier de notre pays en ce domaine : la contribution de solidarité sur les billets d'avion, instaurée en 2006, a rapporté 160 millions d'euros en 2009 ; ce produit permet de financer l'accès aux vaccins et médicaments dans les pays en développement. La France promeut aujourd'hui l'idée d'une contribution assise sur les transactions financières internationales, au taux de 0,005 %, soit 5 centimes sur 1.000 euros. Son produit pourrait être affecté au Fonds mondial de lutte contre le sida.

Les évaluations attribuent un potentiel considérable à un semblable mécanisme : une taxe sur les transactions sur produits dérivés aurait un produit annuel de l'ordre de 33 milliards d'euros pour les transactions de gré à gré, et jusqu'à 110 milliards dans le cas des transactions opérées sur les places boursières. Toutefois, de tels dispositifs de taxation d'activités économiques internationales n'auront de portée véritable qu'à la condition d'être appliqués par le plus grand nombre possible d'Etats, ce qui suppose un très large accord entre eux. Il ne sera pas facile à obtenir.

Nous examinerons tout à l'heure ma proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières, qui va dans le même sens.

En ce qui concerne la complémentarité à trouver entre les actions bilatérales et multilatérales, le document prône la cohérence des politiques française et européennes d'aide au développement et note avec raison que l'existence de plusieurs niveaux d'aide représente un atout pour opérer des choix stratégiques fondés sur des considérations d'efficacité et d'influence, sous la réserve d'un pilotage réel de l'allocation entre les canaux.

Au demeurant, tout le monde s'accorde à présent pour juger nécessaire de rééquilibrer le partage entre l'aide bilatérale d'un côté, l'aide européenne et multilatérale de l'autre. En effet, actuellement, si l'on retient seulement l'aide programmable (c'est-à-dire hors dépenses constatées « ex post »), soit environ 65 % du total, la part bilatérale de notre APD est minoritaire, ne représentant qu'environ 40 %. La part européenne s'établit à 34 % et la part multilatérale au sens strict à 26 %. Or il en va de notre rayonnement international car, avec l'aide bilatérale, la France est visible à l'étranger ; dans l'aide multilatérale, elle passe souvent inaperçue.

Bien sûr, la contribution multilatérale de notre pays est difficile à réduire : elle se trouve contrainte par nos engagements, en général pluriannuels, qui la préservent des coupes budgétaires que supporte, en revanche, l'aide bilatérale. Le ministre des affaires étrangères et européenne nous a fait observer qu'il est déjà délicat, pour un Etat membre permanent du conseil de sécurité, de n'occuper que le dix-septième ou le vingt-cinquième rang parmi les contributeurs aux agences des Nations-Unies. Mais, précisément, je m'interroge sur l'utilité de s'attacher à conserver ces positions relativement médiocres.

Au surplus, la France ne pèse que de façon très faible sur la programmation de ces organisations multilatérales, y compris la Banque mondiale, la Banque pour la reconstruction et le développement ou l'Union européenne, pour lesquelles sa contribution est substantielle. L'aide servirait certainement mieux l'image de notre pays si une partie des sommes en cause se trouvait réaffectée au canal bilatéral.

Un progrès significatif a été accompli en ce qui concerne le Fonds européen de développement : nous avons obtenu de diminuer notre contribution pour la période 2011-2013. C'est une orientation à poursuivre, et à imiter pour la plupart de nos contributions multilatérales - sauf à renforcer l'influence française dans les enceintes concernées, ce qui devrait constituer un objectif de notre politique de coopération. Je souhaite que le futur document cadre soit clairement tourné vers ce but.

Pour le reste, le projet de document cadre s'avère lacunaire sur les aspects financiers de l'APD, et d'abord sur la question, pourtant cruciale, des moyens alloués à cette politique.

Dans un document dit « cadre », on attendrait pourtant un cadrage budgétaire ou, si l'on doit réserver les arbitrages budgétaires aux lois de finances, à tout le moins les critères d'une répartition proportionnée des crédits, selon les priorités définies en termes de géographie et de secteurs. Cela n'a été fait que pour l'Afrique subsaharienne, qui bénéficiera globalement, comme je l'ai indiqué, de 60 % des ressources. C'est un cadrage bien fruste !

Pour mémoire, l'effort public français global en faveur du développement, tel que le calcule l'OCDE, a représenté 7,6 milliards d'euros en 2008 et est évalué à hauteur de 8,5 milliards en 2009. Au seul plan budgétaire, la loi de finances initiale pour 2010 a prévu 6,2 milliards d'euros de crédits pour l'aide au développement, répartis sur onze missions. Cet effort important fait de la France le deuxième contributeur parmi les membres du G7, après le Royaume-Uni, par rapport au revenu national brut (RNB). La conservation de cette place se trouve loin d'être assurée.

En 2008, nous avons consacré 0,39 % de notre RNB à l'aide publique au développement ; l'estimation est de 0,44 % pour 2009. La France s'est engagée à consacrer à cette aide, à l'horizon 2015, quelque 0,7 % du RNB. De toute évidence, dans le contexte actuel, cet engagement n'est pas tenable.

Il est donc dommage que l'élaboration du document cadre n'ait pas été l'occasion pour le Gouvernement de préciser des objectifs budgétaires plus réalistes. Nous risquons d'exposer nos partenaires à des déconvenues.

Deux mots sur un problème régulièrement soulevé, mais que le projet n'aborde pas : la comptabilisation des dépenses d'APD en tant que telles.

On le sait, cette mesure est contestable. D'un côté, elle intègre des dépenses qui ne sont pas réellement de l'aide au développement ; de l'autre, ne sont pas comptées des dépenses qui, pourtant, relèvent effectivement de cette aide. Il serait donc judicieux que le futur document cadre fasse état de la nécessité de poursuivre la négociation avec nos partenaires de l'OCDE, afin que la comptabilisation des dépenses d'APD soit à la fois plus pertinente et plus fidèle à la réalité.

En outre, dans la mesure où la coopération décentralisée est comptabilisée dans l'effort national d'APD, le document cadre devrait lui faire plus de place que n'en prévoit son projet, et poser des règles de coordination avec la politique menée par l'Etat. Pour l'heure, le document se borne à fixer le principe d'un travail en partenariat, comme avec les organisations non gouvernementales ou les entreprises, ce qui est trop vague.

Ma dernière préconisation visera l'évaluation de notre politique d'aide au développement.

Il est regrettable que le document cadre n'ait pas été fondé sur une ample évaluation de la politique d'APD que nous avons menée jusqu'à présent. Pour l'avenir, le projet marque la nécessité de « mesurer les résultats et les impacts », notamment en systématisant les évaluations externes et en encourageant les revues par les pairs. La mise en place d'indicateurs de résultat est prévue. C'est un aspect essentiel, mais c'est d'indicateurs de performance que nous avons besoin, dans la logique de la LOLF. Les indicateurs existants au sein de la documentation budgétaire ne sauraient suffire ; c'est donc un point sur lequel il convient de faire porter un effort tout particulier.

Je propose que notre commission approuve cette communication, et que notre Président envoie une lettre au ministre des affaires étrangères et européennes, pour lui en transmettre le compte-rendu.

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