Intervention de Michel Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 février 2011 : 1ère réunion
Garde à vue — Audition de M. Michel Mercier garde des sceaux ministre de la justice et des libertés

Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Je m'en tiendrai à un bref panorama, puisque nous entrerons ensuite dans le détail du projet de loi avec vos questions. Cette réforme de la garde à vue a été voulue par ceux qui ont voté la révision constitutionnelle de 2008 ; il n'y aucune raison de s'y engager à reculons. De fait, la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 faisait suite à une question prioritaire de constitutionnalité, une innovation constitutionnelle majeure appelée à devenir un mode habituel de réforme de notre droit. C'est une bonne réforme qui construit un équilibre nouveau entre deux exigences de même valeur constitutionnelle : celle de sûreté inscrite à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et celle du respect des libertés et droits garantis par notre loi fondamentale. Ce texte est entouré -c'est là tout l'intérêt de l'affaire- de deux garanties pour le citoyen : une garantie constitutionnelle via la question prioritaire de constitutionnalité et une garantie conventionnelle, soit la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Cet équilibre doit apporter un « plus ».

Quels sont les objectifs de ce texte ? Tout d'abord, mettre fin à la banalisation de la garde à vue. Entre 2000 et 2009, leur nombre est passé environ de 200 000 à 800 000. Plus de 170 000 d'entre elles sont aujourd'hui décidées pour des infractions routières, ce qui, dans la très grande majorité des cas, ne paraît pas nécessaire. La garde à vue doit rester un moyen exceptionnel d'enquête. Le but est de réduire leur nombre d'au moins 300 0000. Ensuite nous visons une plus grande conformité avec les règles du droit conventionnel. Elle passe par la reconnaissance du droit au silence : la personne gardée à vue doit être informée qu'elle a le droit de se taire, sauf lorsque les questions touchent à son identité. Elle passe également par l'humanisation des conditions de la garde à vue : utilisation des fouilles à corps seulement lorsque la sécurité l'exige, droit à une visite médicale, droit d'informer les proches et l'employeur que l'on est gardé à vue et, surtout, droit à la présence d'un avocat dès la première minute de la privation de liberté. Cette dernière disposition, qui va obliger les barreaux à se réorganiser, entraîne des conséquences budgétaires importantes. La conservation de régimes dérogatoires est nécessaire pour les crimes en bande organisé, le trafic de stupéfiants et le terrorisme. La loi Perben s'appliquera, moyennant quelques modifications issues des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation d'octobre et de décembre 2010.

Le débat s'est focalisé sur le contrôle de la garde à vue et sa durée. Cessons de nous flageller en permanence : la France a un des systèmes les plus protecteurs au monde ! La Grande-Bretagne en aurait un meilleur ? Tout à fait faux ! L'officier de police y dirige l'enquête et décide du prolongement de la garde à vue dont la durée maximale va jusqu'à 26 jours. Soit, il y existe l'habeas corpus. Mais celui-ci n'est-il pas expressément inscrit à l'article 66 de notre Constitution ? (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, approuve.) Cet article dispose : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » Tout est dit : c'est la définition même de l'habeas corpus.

Je serai clair sur le rôle du parquet, qui a suscité de nombreux débats. Le parquet à la française n'est pas propre à notre république ; il existe dans d'autres pays de droit continental, même si son statut y est différent. Je renvoie tous ceux qui veulent fouiller la question en droit interne aux conclusions de Marc Robert, avocat général à la Cour de cassation, dans l'arrêt de décembre 2010 relatif à des événements survenus à l'Ile de la Réunion. En droit conventionnel, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a évolué vers une confusion entre l'article 5-3 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif aux mesures de privation de liberté qui prévoit la présence d'un magistrat et les dispositions de l'article 6-1 relatives au procès équitable qui imposent l'intervention d' un juge indépendant. Résultat, la Cour de Strasbourg a jugé que le procureur à la française, parce qu'il n'est pas neutre, ne peut pas être l'autorité de contrôle. C'est donc la nature de partie poursuivante du parquet qui est en cause, et non son statut.

A quel moment faire intervenir l'autorité de contrôle de la garde à vue, donc le juge? Les arrêts de la Cour de Strasbourg varient sur ce point sans compter les problèmes de traduction. Pour faire coexister les deux versions - anglaise et française- de la Convention qui font foi, la Cour a recours au concept de promptly, que l'on pourrait traduire par promptitude, à distinguer de l'immédiateté. La Cour de Strasbourg a prévu que le juge devait intervenir dans un délai compris entre trois et quatre jours selon les cas. En deçà, chacun est libre de faire comme il l'entend et de nombreux États confient à la police le soin de mettre en oeuvre la garde à vue. Quid de la France ? Nous confions, durant cette période, le contrôle de la garde à vue à un magistrat, le procureur de la République. N'en déplaise à certains, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 30 juillet 2010, que l'autorité judiciaire était composée des magistrats du parquet et du siège. Cette décision s'impose à tous ; il n'y a pas lieu d'y revenir. Nous ajoutons à cette garantie constitutionnelle du procureur pour le premier prolongement de la garde à vue, la garantie conventionnelle du juge du siège pour la suite de la procédure. Voilà l'architecture retenue après les débats à l'Assemblée nationale.

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