Nous sommes appelés à nous prononcer en première lecture sur ce texte, adopté par l'Assemblée nationale le 25 janvier 2011, pour lequel la procédure accélérée n'a pas été déclarée. L'exigence d'une réforme de la garde à vue découle de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, rendue sur la base d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil nous a donné jusqu'au 1er juillet 2011. Par ailleurs, la Cour de cassation, dans deux arrêts rendus le 19 octobre 2010, a jugé contraires à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme les dispositions du code de procédure pénale relatives aux régimes dérogatoires en matière de garde à vue.
Avant même ces jurisprudences, la représentation nationale, et en particulier le Sénat, ont convenu de la nécessité de modifier en profondeur les règles relatives à la garde à vue. La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé le droit des mis en cause à l'assistance effective d'un avocat. Cette question est d'autant plus importante que, l'enquête primant sur l'instruction préparatoire, une personne est désormais le plus souvent jugée, comme l'a relevé le Conseil constitutionnel, « sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire pendant celle-ci ».
Or le nombre de gardes à vue est en forte augmentation : 276 000 en 1994, 580 000 en 2010, sans compter les gardes à vue pour infractions au code de la route ! Au surplus, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a relevé que les conditions minimales de dignité n'étaient pas respectées dans les lieux de garde à vue.
Le Sénat a débattu de l'évolution de la garde à vue le 9 février 2010, lors du débat organisé à l'initiative de M. Mézard. Lors de l'examen, le 24 mars 2010 et le 29 avril 2010, des propositions de loi présentées par M. Mézard, par Mme Boumediene-Thiery et M. Bel, le Sénat s'est accordé sur l'impossibilité de maintenir le statu quo, tout en discutant des orientations de la réforme. Le rapport de MM. Lecerf et Michel sur la réforme de la procédure pénale a également traité du sujet.
De son côté, le Gouvernement, reprenant pour partie les propositions de la commission Léger, a envisagé une modification profonde des règles de la garde à vue dans le cadre d'une refonte d'ensemble du code de procédure pénale. Les dispositions relatives à la garde à vue sont aujourd'hui extraites de cette réforme d'ensemble. Il s'agit de concilier le respect des libertés individuelles avec la nécessaire recherche des auteurs d'infractions et la prévention des atteintes à l'ordre public, dans le cadre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour de Cassation et de la Cour européenne des droits de l'homme.
Le projet de loi initial marquait une nette avancée par rapport au droit en vigueur. Les modifications, nombreuses et importantes, apportées par l'Assemblée nationale ont permis d'aboutir à un équilibre encore plus satisfaisant entre les différents objectifs que doit conjuguer le régime de la garde à vue.
Parmi les avancées, six sont particulièrement importantes : la garde à vue ne sera possible que pour les délits et les crimes ; elle ne pourra être prolongée au-delà de 24 heures qu'en cas de crimes ou délits passibles d'au moins un an d'emprisonnement ; la personne sera avisée qu'elle a le droit de garder le silence ; l'avocat aura accès aux procès verbaux d'audition ; la personne en garde à vue pourra demander à son avocat d'assister aux auditions, alors qu'aujourd'hui, les avocats ne peuvent voir les gardés à vue que trente minutes maximum et qu'ils n'ont accès à aucun document. Enfin, la fouille à corps intégrale menée pour des raisons de sécurité sera proscrite.
L'Assemblée nationale a supprimé l'audition libre qui soulevait plusieurs interrogations. Elle a introduit un délai de carence interdisant de faire débuter les auditions de la personne gardée à vue hors la présence d'un avocat pendant les deux heures suivant le placement en garde à vue. L'avocat a donc deux heures pour arriver. Elle a enfin étendu aux régimes dérogatoires, sous réserve de certains aménagements, les droits de la défense reconnus à la personne gardée à vue dans le cadre du régime de droit commun.
Je vous propose d'approuver ces modifications et de les conforter par plusieurs amendements.
Nous développerons les principaux points lorsque nous serons en séance publique mais je voudrais revenir sur certains d'en eux dès maintenant.
Le premier concerne l'interdiction de prononcer une condamnation sur la base des seules déclarations faites par une personne qui n'a pu s'entretenir avec un avocat ou être assistée par lui : il s'agit du fameux article 1er A nouveau introduit par l'Assemblée nationale, à l'initiative du gouvernement. Ce principe est directement inspiré de l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008 rendu par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Nous en avons parlé hier avec M. le Garde des Sceaux. Nous voulons sécuriser les procédures pénales pour éviter que cet article, qui part d'une bonne intention, ne devienne un nid de nullités. Je vous proposerai de préciser que la valeur probante de la déclaration implique que la personne ait pu s'entretenir avec son conseil et être assistée par lui.
J'en viens au deuxième point : dans sa version initiale, le projet de loi insérait un article qui instituait l'audition libre. Depuis 2000, la jurisprudence de la Cour de cassation impose le placement en garde à vue dès lors que la personne est tenue sous la contrainte à la disposition des services de police et qu'elle est privée de sa liberté d'aller et de venir, ce qui a généré une inflation du nombre de gardes à vue. Il paraît néanmoins normal de rappeler, comme le dit la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'« aucun texte n'impose le placement en garde à vue d'une personne qui, pour les nécessités de l'enquête, accepte (...) de se présenter sans contrainte aux officiers de police judiciaire afin d'être entendue et n'est à aucun moment privée de sa liberté d'aller et venir ». D'après les informations recueillies auprès des services de police et de gendarmerie, la moitié des personnes mises en cause en 2010 a été entendue sous le régime de l'audition libre.
Le gouvernement voulait créer un nouveau régime d'audition libre qui ne permettait pas de recourir à l'assistance d'un avocat : c'était une mauvaise idée et je ne souhaite pas que nous revenions sur ce point.
J'en arrive au contrôle de la garde à vue par l'autorité judiciaire. Qui doit contrôler la garde à vue dans le cadre de l'enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire : le procureur de la République ou un magistrat du siège ? Avant de se prononcer de façon dogmatique, il convient d'examiner la jurisprudence de la CEDH et de regarder ce qui se fait dans les autres pays de l'Union européenne. La jurisprudence de la CEDH rappelle que la personne gardée à vue doit être présentée rapidement devant un magistrat du siège, mais elle n'exige pas une présentation immédiate. Le délai maximal pour la présentation devant un juge ne saurait dépasser quatre jours. En France, nous en sommes à 48 heures. En Grande-Bretagne, les délais de présentation devant le juge sont plus rapides, mais la garde à vue peut durer jusqu'à 28 jours. Dans les autres pays, ce n'est pas un magistrat qui assure le contrôle pendant les premières heures de la garde à vue mais des fonctionnaires de police.
Autre point : quelle sera l'autorité compétente pour décider du report de l'assistance de l'avocat lors des auditions ? Dans le texte de l'Assemblée nationale, il est prévu que, dans des circonstances très particulières, l'officier de police judiciaire puisse demander au procureur de retarder l'arrivée de l'avocat jusqu'à la douzième heure. Les raisons devront être impérieuses et tenir aux circonstances particulières de l'enquête. Si tel est le cas, le procureur devra rendre une autorisation motivée par écrit. Si le report de l'arrivée de l'avocat va au-delà de la douzième heure, le JLD devra intervenir.
J'en viens à la question importante du rôle de l'avocat dans la nouvelle procédure de garde à vue. Lorsqu'il y a plusieurs mis en cause lors d'une garde à vue, il risque d'y avoir des conflits d'intérêts : la profession d'avocats devra donc les gérer en rappelant la déontologie et en prévoyant l'intervention du bâtonnier dès qu'une difficulté apparaîtra. Autre point qui concerne également les avocats : la police des auditions. Il ne faut pas que les auditions de garde à vue, qui sont contraintes par le temps - le plus souvent douze heures - deviennent une foire d'empoigne.
On peut sans doute raisonner par analogie avec les auditions dans les cabinets des juges d'instruction, mais trois différences importantes doivent être prises en compte : la tension est bien moindre dans un cabinet de juge d'instruction, car il s'est passé du temps et il est rare que l'interpellation vienne d'avoir lieu. Le juge d'instruction représente l'autorité du magistrat, il a son greffier à côté de lui, et la solennité du palais de justice concourt à la tranquillité des débats. Enfin, les avocats ont pu consulter les dossiers et se préparer à l'audition.
En matière de police des gardes à vue, il faut éviter que le législateur stigmatise la profession d'avocat en préjugeant d'un mauvais comportement. Je vous proposerai de partir du principe que l'avocat se comportera selon sa déontologie, mais il convient de prévoir que, dans certaines circonstances, le bâtonnier puisse intervenir de façon à ce que des avocats ne se fassent pas une spécialité de bloquer les auditions.
Cette réforme est un véritable défi pour la profession d'avocat. Autant pour les barreaux comme Paris ou pour ceux des grandes villes, il sera facile d'organiser l'assistance permanente des gardés à vue, autant pour les barreaux de province où il n'y a qu'une cinquantaine d'avocats, voire moins, ce sera bien plus compliqué. La profession devra donc prendre des dispositions pour assister les mis en cause.
Hier, nous avons interrogé M. le Garde des Sceaux sur les moyens financiers. L'évaluation a été faite a minima. Cette réforme aura en effet beaucoup de conséquences financières : le montant de l'aide juridictionnelle va augmenter mais elle est à peu près prise en compte par l'étude d'impact. En revanche, le ministère de la justice devra prévoir une présence accrue des parquets et du JLD dans un certain nombre de cas. En outre, le ministère de l'Intérieur devra améliorer les locaux de garde à vue, organiser les transferts de mis en cause devant les magistrats pour les prolongations de garde à vue ou développer la visioconférence.
En résumé, ce texte était très attendu par le Sénat. Il constitue une avancée incontestable, même si certains estiment qu'il ne va pas assez loin. S'il doit y avoir de nouvelles avancées, elles ne pourront s'inscrire que dans le cadre d'une réforme d'ensemble de la procédure pénale avec l'apparition d'un nouveau venu : le juge des enquêtes et des libertés qui interviendrait à tout moment dès le début de la contrainte par corps.