Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il n'y a rien d'étonnant à ce que j'intervienne pour vous entretenir de la Guyane et de ses activités spatiales, mariage qui eut lieu en 1964 grâce à la volonté exprimée à cette époque par le général de Gaulle. Ce territoire fut préféré à Mers-el-Kébir et à d'autres sites.
La Guyane, c'est un « jardin sans limite » dans lequel se mêlent des fleuves géants et mystérieux, que vous connaissez, madame la ministre, une nature impressionnante, une faune sauvage extraordinaire. C'est aussi une richesse de cultures et de croyances. C'est encore, pour revenir au sujet qui nous intéresse aujourd'hui, le berceau de l'aventure spatiale européenne.
Le département français de la Guyane a été choisi en 1964 comme base de lancement, en raison de sa situation géographique privilégiée, de sa large ouverture sur l'océan autorisant toutes les inclinaisons d'orbites et en raison de l'absence de cyclones et de tremblements de terre.
Depuis cette date, le Centre spatial guyanais n'a cessé de se développer, au rythme des initiatives françaises en matière de lanceurs, puis avec le programme européen Ariane, véritable succès commercial, pour devenir le port spatial de l'Europe. Plus de cinq cents lancements ont été réalisés à partir du CSG, dont plus de cent soixante lancements Ariane.
Si l'Europe et la France sont de grandes puissances spatiales, elles le doivent donc en partie à la Guyane, d'autant que le lancement d'une fusée depuis cet endroit nécessite un tiers de carburant en moins que les lancements effectués par les autres puissances spatiales, les États-Unis et la Russie en tête.
J'ai souvent entendu dire - encore aujourd'hui - que l'outre-mer coûte cher à la France et à l'Europe. Comme vous le constatez, la Guyane permet aussi à la France et à l'Europe de faire des économies. Peut-être en sera-t-il tenu compte dans le prochain budget de l'outre-mer...
Les deux accords, dont l'approbation nous est soumise aujourd'hui, fixent en quelque sorte un modus vivendi entre l'Agence spatiale européenne, le CNES et Arianespace quant à l'utilisation des installations du site de lancement.
Je n'entrerai pas dans le détail de ces accords techniques et juridiques, mais l'occasion était trop belle, madame la ministre, pour ne pas dire une nouvelle fois que la Guyane doit être non pas un vecteur, mais un acteur à part entière de la réussite du CSG. Le spatial doit accompagner le développement local. Ce serait un juste retour des choses.
Je n'ignore pas l'importance des retombées économiques et sociales de cette activité pour le département : 25 % de son produit intérieur brut, douze mille emplois directs et indirects.
Toutefois, je m'inquiète que le Gouvernement français s'engage, par l'un des accords avec l'Agence spatiale européenne, à favoriser l'implantation sur le site d'entreprises et de personnels européens non français.
Actuellement, les contrats de maintenance de la base sont en cours de renouvellement. Nul doute que cette contrainte d'européanisation risque de mettre hors jeu nos petites entreprises locales, qui auront du mal à rivaliser avec les grosses sociétés européennes.
De même, il semble que le CNES ait regroupé dans un seul marché tous les types de transport - satellites, marchandises et personnes. L'entreprise locale qui assurait jusqu'à ce jour le seul transport des personnes ne pourra évidemment pas répondre en direct au nouvel appel d'offres. C'est un véritable problème, qui demande une réponse politique.
Vous le savez, madame la ministre, le chômage est déjà très élevé en Guyane et les retards de développement structurels très importants. Si, demain, nos petites entreprises n'ont plus accès aux marchés offerts par le CSG, ce sera pire.
Que pouvons-nous dire aussi à nos jeunes diplômés guyanais qui espèrent rejoindre le rêve spatial ? Y a-t-il une possibilité d'embauche pour eux dans les programmes à venir ?
Quant aux Guyanais qui travaillent déjà au CSG, ils n'entrevoient pas toujours une évolution de leur carrière. Il faut mettre en place un véritable projet pour les agents locaux.
Un deuxième point me paraît appeler un éclaircissement : celui des privilèges et immunités dont dispose l'Agence spatiale européenne en application de l'article 11 de l'accord.
L'exemption de tout droit de douane et de toute taxe spécifique sur les biens importés par l'Agence a été décidée quand la politique spatiale en était à un stade expérimental, en 1975. J'ai du mal à comprendre le maintien aujourd'hui de cette disposition, dans la mesure où il s'agit de l'exercice commercial du spatial. Elle entraîne incontestablement un manque à gagner pour les collectivités du département de la Guyane.
Enfin, j'aimerais vous faire part de certaines réserves concernant l'implantation du lanceur Soyouz sur le CSG, laquelle devrait faire l'objet d'un accord ultérieur.
Vous le savez, cette fusée russe, qui devrait déchirer le ciel de la Guyane à partir de 2008, a fait parler d'elle avant même que les travaux de terrassement du pas de tir n'aient démarré.
Un article, paru au début de 2005 dans la revue scientifique Nature, a fait état de l'impact toxique du site de lancement de Baïkonour sur la santé des populations proches. Cet article a légitimement suscité des questions et des craintes ; tout le monde se souvient en Guyane de l'explosion, en juin 1996, du premier exemplaire de la fusée Ariane 5 peu après son décollage et des picotements et larmes aux yeux qui s'ensuivirent.
Le CNES a certes réagi immédiatement en expliquant en quoi la fusée Soyouz était différente de celle qui est décrite dans l'article s'agissant de l'usage des produits, en particulier de l'hydrazine. Il est légitime que les Guyanais demandent des garanties quant à la protection des personnes, des biens et de l'environnement, qui doit être une priorité absolue.
Je note cependant avec satisfaction que, pour la première fois de manière explicite, le CNES est chargé par le Gouvernement d'une mission de sauvegarde, qui ne figurait pas dans les accords précédents.
Il me paraît indispensable d'associer à cette mission les collectivités locales susceptibles de subir des préjudices liés aux différentes activités du CSG. Comment le CNES pourrait-il, par exemple, organiser les secours à l'extérieur de sa propriété sans empiéter sur les pouvoirs de police des maires, à qui revient en principe cette compétence ?
Une structure d'observation des risques associant tous les acteurs concernés serait en même temps un véritable outil pour des actions en faveur de l'environnement et - pourquoi pas ? - de l'écotourisme, dont l'image de marque a pu être ternie par l'activité spatiale.
Pour en revenir à Soyouz, il semble que l'étude d'impact, élément essentiel du dossier de demande d'exploitation pour lequel une enquête publique a été ouverte le 1er mars 2006, contient un certain nombre d'insuffisances.
Avant l'exploitation du site, il serait souhaitable de faire procéder par un bureau d'étude indépendant et spécialisé à un inventaire floristique et faunistique le plus complet possible, sur un périmètre suffisamment large et de mettre en place de nouveaux bio-indicateurs, notamment sur la Malmanoury et la Paracou.
Par ailleurs, une nouvelle étude portant sur les effets des activités tant de Soyouz que de l'ensemble du Centre spatial guyanais sur la santé humaine serait la bienvenue.
Enfin, l'installation du pas de tir sur le territoire de Sinnamary a été accompagnée de façon très sensible par la commune, qui a mis en place un programme de réalisation et de réhabilitation de nombreux équipements afin de pouvoir accueillir dans les meilleures conditions les techniciens russes et leurs familles.
Ces investissements justifient que le CNES et Arianespace s'engagent en faveur de mesures compensatoires comme le maintien de la desserte routière exclusive à partir de Sinnamary, l'implantation dans cette commune des entreprises créées pour l'exploitation du site et leur assujettissement à la taxe professionnelle ou, enfin, le maintien d'un accès permanent de la population à la crique de Malmanoury pour la pratique de la pêche et des activités touristiques.
Des discussions sur ces points sont en cours et je compte sur l'appui du Gouvernement pour qu'elles aboutissent. Aussi souhaitons-nous que toutes les activités spatiales soient en synergie avec les autres pôles de développement de notre pays.