Intervention de Robert Bret

Réunion du 16 mai 2006 à 10h30
Convention européenne des droits de l'homme — Adoption d'un projet de loi

Photo de Robert BretRobert Bret :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cela vient d'être rappelé, le protocole n° 14 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soumis aujourd'hui à notre approbation vient amender le système de contrôle de la convention dont la Cour européenne des droits de l'homme constitue la pierre angulaire.

Tout d'abord, je voudrais insister sur le fait que la réforme de la Cour européenne ne doit pas être considérée comme une question d'ordre exclusivement technique. L'amélioration du mécanisme de protection des droits de l'homme est un enjeu fondamental lorsque l'on sait que le système de la CEDH est un exemple unique en matière de garantie juridictionnelle des droits des individus.

Certes, on ne peut ignorer le constat qui est à l'origine du protocole n° 14, celui du risque de saturation de la Cour, qui, victime de son succès, est confrontée à l'explosion de son activité. Cela témoigne de l'attachement des citoyens au respect de leurs droits.

Ainsi, le nombre de requêtes ne cesse d'augmenter : indubitablement, la Cour se trouve confrontée à un problème de surcharge.

Au cours de ses quarante-quatre premières années de fonctionnement, la Commission et la Cour ont rendu un total de 38 389 décisions, tandis que, entre 1998 et 2004, la Cour en a rendu 61 633. En outre, le nombre des affaires en instance s'accroît également. À ce jour, on dénombre 75 000 dossiers pendants.

Il est donc nécessaire d'améliorer le fonctionnement de la Cour afin de garantir son efficacité et l'effectivité même des droits qu'elle est censée protéger.

Cependant, aussi nécessaire une réforme soit-elle, je considère que les logiques de rationalisation de l'accès au juge européen ne doivent pas altérer le processus de démocratisation de l'accès au droit.

Certes, le protocole n° 14 comporte plusieurs dispositions d'ordre institutionnel qui me paraissent aller dans le bon sens. En particulier, l'article 2, relatif à la durée du mandat des juges, précise : « Les juges sont élus pour une durée de neuf ans. Ils ne sont pas rééligibles. » L'instauration d'un mandat non renouvelable conférera certainement une plus grande indépendance aux juges et offrira de meilleures garanties aux justiciables.

Par ailleurs, le fait que le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe se voie reconnaître le droit de tierce intervention me semble susceptible d'apporter une valeur ajoutée à la procédure, si toutefois les moyens financiers nécessaires à l'exercice effectif de ses nouveaux pouvoirs lui sont octroyés. De même, les dispositions du protocole qui encouragent le recours au règlement amiable me paraissent positives.

Au-delà de ces considérations d'ordre institutionnel, je souhaiterais ajouter quelques mots concernant les trois éléments de procédure qui ont été modifiés par le protocole soumis à notre approbation.

Premièrement, concernant le renforcement de la capacité de filtrage par la Cour, on constate généralement que celle-ci déclare irrecevables plus de 90 % des requêtes qu'elle reçoit. On admet qu'il s'agit d'une difficulté majeure à laquelle elle est confrontée en termes d'encombrement.

Le protocole n° 14 propose, pour renforcer la capacité de filtrage de la Cour, de confier aux nouvelles formations de juge unique la faculté de déclarer irrecevables ou de rayer du rôle les requêtes individuelles, dans la mesure où, selon l'article 7 du protocole, « une telle décision peut être prise sans examen complémentaire ».

Je suis défavorable à cet article. Je partage à ce sujet la position d'Amnesty International et de 73 autres organisations qui, dans une réponse commune aux propositions visant à assurer l'efficacité à long terme de la Cour européenne des droits de l'homme, signée et remise au Comité des ministres, soulignait qu'aucune décision sur la recevabilité et/ou le bien-fondé d'une requête ne devrait être prise par moins de trois juges. Compte tenu de leur gravité, les décisions obligatoires définitives sur la recevabilité des requêtes demandant réparation à une cour internationale des droits de l'homme pour des allégations de violation des droits humains à l'encontre de personnes devraient être collégiales par nature, madame la ministre.

Deuxièmement, s'agissant du traitement des affaires répétitives, l'article 8 du protocole prévoit l'accroissement des compétences des comités de trois juges. Leur est confié le nouveau pouvoir de prendre des décisions concernant en même temps la recevabilité et le fond des dossiers « lorsque la question relative à l'interprétation ou à l'application de la convention ou de ses protocoles qui est à l'origine de l'affaire fait l'objet d'une jurisprudence bien établie de la Cour ».

Ces comités de trois juges ne comprendraient pas nécessairement le juge élu au titre de l'État cité dans la requête. Cependant, ils seraient dotés du pouvoir de demander, à n'importe quel moment de la procédure, que le juge élu au titre de l'État mis en cause dans la requête prenne la place de l'un des juges au sein du comité concerné. Celui-ci ferait cette demande en prenant en considération tous les facteurs pertinents, notamment dans le cas où l'État se serait opposé au traitement de l'affaire selon cette procédure.

Je considère que la possibilité donnée aux comités de déclarer recevable et de statuer conjointement sur le fond d'une requête, du fait que celle-ci soulève des problèmes sur lesquels la jurisprudence de la Cour est bien établie, permettra d'accélérer le traitement de ces affaires « clones » et constituera un gain de temps pour la Cour.

En revanche, je suis très opposé à la possibilité de substitution, au sein du comité de trois juges, d'un juge élu au titre de l'État qui fait l'objet de la requête. Cela susciterait en effet des doutes compréhensibles sur l'indépendance de la Cour et nuirait par conséquent à sa crédibilité.

Troisièmement, et pour finir, concernant l'instauration d'un nouveau critère de recevabilité, l'article 12 du protocole prévoit que la Cour pourra déclarer irrecevables les affaires dans lesquelles le requérant « n'a subi aucun préjudice important », sauf si le respect des droits de l'homme exige un examen au fond et à la condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n'a pas été dûment examinée par un tribunal interne.

Je suis opposé à l'ajout d'un nouveau critère de recevabilité ayant pour effet de restreindre le droit de recours individuel au juge européen. Je considère fondamental que toute victime d'atteintes à la convention européenne puisse bénéficier du droit d'accès au juge européen, sans considération d'importance du préjudice subi.

Je le conteste d'autant plus que je note le grand flou juridique de ce nouveau critère. Il convient de relever que l'expression « aucun préjudice important » n'est pas définie dans le protocole. Une grande marge de manoeuvre est par conséquent laissée aux juges, qui décideront eux-mêmes ce qu'elle recouvre. Le juge européen sera donc à la fois juge et partie : lorsqu'il devra statuer sur la recevabilité d'une affaire, il lui faudra définir lui-même les contours du critère de recevabilité sur lequel il se fondera pour rendre sa décision. Cela n'est pas acceptable.

De façon plus générale, la possibilité pour la Cour de choisir, en fonction de leur importance, les requêtes qu'elle entend traiter me paraît aller à l'encontre de l'objectif même assigné à la Cour européenne : garantir le respect des droits de l'homme inscrits dans la convention et en assurer une interprétation cohérente.

Pour toutes ces raisons, madame la ministre, mes chers collègues, vous comprendrez que le groupe communiste républicain et citoyen, après avoir formulé ces remarques sur le fond, s'abstienne lors du vote sur ce projet de loi.

Je vous remercie, madame la ministre, de la réponse que vous pourrez m'apporter.

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