Intervention de Virginie Bagouet

Mission commune d'information sur le Mediator — Réunion du 5 avril 2011 : 1ère réunion
Audition de Mme Virginie Bagouet journaliste scientifique

Virginie Bagouet :

J'ai accepté de venir témoigner devant vous car j'ai été victime des pressions exercées par les laboratoires Servier sur la rédaction d'un journal médical que je viens de quitter. Je suis journaliste scientifique de formation. J'ai travaillé dans la presse locale, puis dans un mensuel destiné aux chercheurs. Je suis entrée à Impact Médecine, hebdomadaire destiné aux médecins généralistes, début 2008. La perspective d'écrire pour les médecins était pour moi motivante. Voilà pourquoi j'ai intégré dans cet hebdomadaire avec joie. Malheureusement, j'ai dû déchanter.

Cet hebdomadaire traite de l'actualité de la santé publique, de la vie syndicale des médecins, ainsi que de leur exercice médical. Dans les dossiers publiés, nous décrivons les médicaments disponibles au regard des pathologies. Au regard de mon expérience, j'estime aujourd'hui que si la partie traitant de l'actualité a un intérêt indéniable pour les médecins, les sujets relatifs à l'exercice médical et à la prescription ne sont pas traités de manière satisfaisante. En effet, le nombre de pages du journal dépend directement de la publicité. Les sujets susceptibles d'attirer la publicité de l'industrie pharmaceutique sont donc privilégiés. Les effets secondaires des médicaments ne sont quasiment pas abordés.

A cet égard, l'attitude des laboratoires Servier est remarquable. En effet, les articles faisant la promotion des produits de ce laboratoire sont envoyés pour relecture et modifiés par les équipes de Servier. J'ai assisté et été directement concernée par de telles pratiques, que je considère comme un grave manquement à la déontologie journalistique. Un texte qui vise à faire la promotion d'un produit n'est rien d'autre que de la publicité.

L'affaire du Mediator a démontré que la presse, financée par l'industrie pharmaceutique, ne pouvait pas être critique à l'égard de ses financeurs que sont les laboratoires pharmaceutiques. Pour Impact Médecine, cette affaire a commencé avec la publication du livre d'Irène Frachon, que nous avons reçu début juin 2010 à la rédaction. Les journalistes l'ont lu. A juste titre, ils ont estimé qu'ils devaient en rendre compte. Immédiatement, notre direction s'est opposée à ce que nous parlions de ce livre dans nos colonnes, ainsi que sur le site Internet de la revue. Nous avons été particulièrement affectés. Nous avons donc surveillé ce que faisaient nos concurrents. Nous avons pu constater que personne ne parlait du livre. Les seuls journaux qui en ont parlé l'ont fait par l'intermédiaire d'un communiqué de presse de Servier publié le 3 juin.

Nous n'avions donc pas le droit de parler de ce livre. Ensuite est arrivée l'étude de Catherine Hill, qui donnait une estimation du nombre de morts et d'hospitalisations imputables au Mediator. Notre rédaction en chef a décidé que nous pouvions traiter de cette étude. Une journaliste a réalisé un article. Au dernier moment, il n'a pas été publié dans le journal au motif que le sujet était trop sensible.

Nous n'avons publié qu'un seul article sur l'affaire du Mediator, suite à une conférence de presse de l'agence du médicament. Cet article se voulait extrêmement pratique pour les médecins généralistes quant à la conduite à tenir vis-à-vis de leurs patients qui avaient pris du Mediator. Il nous a été dit que rien d'autre que ces informations pratiques ne devait être publié jusqu'à la présentation du rapport de l'Igas. J'ai couvert la conférence de presse de l'Igas pour ma rédaction. Au retour, j'ai été très claire : j'ai dit à ma direction que j'étais prête à rédiger un article, mais à condition de pouvoir aborder la question de la responsabilité de Servier et raconter l'histoire de ce médicament passé entre les mailles du filet pendant des dizaines d'années. Mon article a été modifié au dernier moment. La plupart des parties de récit ont été supprimées pour conserver, au final, l'énumération des mesures annoncées le 15 janvier par Xavier Bertrand.

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