Dans la poursuite de cet objectif, le projet de loi apporte plusieurs innovations au droit actuel.
En premier lieu, la réserve héréditaire devient une réserve en valeur. L'abandon de la réserve héréditaire en nature, qui était susceptible de porter atteinte à la sécurité juridique et au respect de la volonté du défunt, a deux conséquences. D'une part, il permettra aux bénéficiaires de libéralités excessives de conserver les biens donnés, à charge de verser une indemnité à la succession. D'autre part, le partage, qui sera désormais gouverné par une égalité en valeur, s'en trouvera facilité.
En second lieu, le projet de loi assouplit également, dans un souci de transmission efficace des patrimoines, plusieurs règles importantes. En particulier, il autorise certains pactes successoraux et permet la représentation de certains héritiers renonçant.
S'agissant des pactes successoraux, le projet de loi s'inspire de législations étrangères, notamment de la législation allemande, afin d'atténuer le principe de prohibition qui gouverne cette matière.
Désormais, un héritier réservataire pourra renoncer par anticipation, avec l'accord de celui dont il a vocation à hériter, à exercer son action en réduction contre une libéralité portant atteinte à sa réserve héréditaire.
Ce nouveau mécanisme sera encadré par des règles de forme, en particulier le recours à l'acte notarié. Il comportera également des garanties de fond, la personne destinée à bénéficier de la renonciation devant être spécialement désignée. Enfin, l'Assemblée nationale a exigé que le renonçant exprime son consentement en présence du seul notaire lors de la signature de l'acte.
Sur l'initiative de son rapporteur, votre commission des lois propose d'ajouter de nouvelles garanties de sécurité, notamment en exigeant que deux notaires, et non plus en seul, reçoivent l'acte, afin de conférer au renonçant un conseil personnalisé. Je suis favorable à de tels amendements.
Le pacte successoral permettra ainsi de sécuriser les transmissions de patrimoine, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une donation-partage, et d'offrir davantage de liberté dans la répartition de ses biens, notamment lorsqu'un enfant handicapé compte parmi les héritiers.
La représentation des héritiers renonçants constitue également une évolution notable. En l'état du droit, on ne représente pas les héritiers vivants, sauf en cas d'indignité.
Cependant, la représentation des descendants renonçants est conforme à la logique économique, qui incite à favoriser le transfert des richesses vers des personnes dont les besoins de consommation sont plus importants. Ainsi, les personnes qui héritent pourront, par une renonciation, laisser leurs propres enfants venir en leur lieu et place dans la succession.
Une telle disposition est d'ailleurs le corollaire de la donation-partage transgénérationnelle, que je vais évoquer.
Nous avons vu récemment que des dispositions fiscales encourageant la transmission des sommes d'argent des grands-parents à leurs petits-enfants avaient rencontré un franc succès. Sur ce point, la réforme met en place les conditions civiles pour que de telles transmissions puissent se perpétuer.
Par ailleurs, le recours à la donation-partage sera facilité. Comme vous le savez, il s'agit d'un mécanisme essentiel d'anticipation du règlement des successions.
Tout d'abord, son champ d'application a été élargi, afin que la donation-partage puisse intervenir au profit de tous les héritiers présomptifs, et non seulement des descendants. C'est un gage de souplesse supplémentaire. Ainsi, une personne sans enfant pourra désormais distribuer et partager ses biens entre ses frères et soeurs ou ses neveux et nièces.
Ensuite, prenant en compte la réalité démographique, le texte instaure la donation-partage transgénérationnelle. Celle-ci permettra de faire concourir à une même donation-partage des descendants de générations différentes. Dans ce mécanisme, la part dévolue aux petits enfants sera imputée sur la réserve du descendant direct, qui devra intervenir à l'acte pour l'accepter.
Enfin, la réalité sociologique des familles recomposées nécessitait une adaptation des règles et une clarification de la pratique. En permettant à des enfants issus d'unions différentes de participer à une même donation-partage, le projet répond à une forte attente, tant des familles que des professionnels.
En dernier lieu, le projet de loi consacre les libéralités résiduelles. Celles-ci permettent de faire une libéralité vers un premier bénéficiaire qui, à son décès, aura l'obligation de remettre le reliquat à un second gratifié préalablement désigné. La jurisprudence a accepté un tel dispositif sans en organiser le régime juridique, ce qui limite le recours à un tel mécanisme. Il y est remédié par le projet, et le dispositif est étendu aux legs et donations.
Il s'agit là d'un moyen de transmission particulièrement efficace, notamment dans le cadre des familles dont un enfant est handicapé.
L'Assemblée nationale a souhaité, avec raison, ajouter à ce dispositif celui des libéralités graduelles. Contrairement à la libéralité résiduelle, la libéralité graduelle oblige le premier bénéficiaire à conserver le bien reçu pour le transmettre au second gratifié.
Votre rapporteur souhaite apporter plusieurs améliorations à ces deux types de libéralités, afin de les rendre plus effectives. Je salue cette initiative et j'y serai naturellement favorable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le deuxième objectif du projet est essentiel et répond à une attente de nos concitoyens : l'accélération et la simplification du règlement des successions.
L'ouverture d'une succession est souvent une période d'inquiétude pour les héritiers. À la douleur de la perte d'un proche s'ajoute le tracas des différentes démarches à effectuer pour le règlement patrimonial de la succession. Face à ces difficultés, la réforme se devait d'apporter des réponses pragmatiques.
La première concerne la détermination des héritiers. Aujourd'hui, seule la consultation du livret de famille permet de connaître les enfants du défunt. Or ce document peut avoir été égaré ou n'avoir jamais été mis à jour.
En définitive, les rédacteurs d'actes de notoriété s'en remettent souvent aux déclarations des requérants, avec les incertitudes qui en résultent. Ainsi, afin de sécuriser, dans l'avenir, la détermination des héritiers, le projet de loi prévoit la mention, en marge de l'acte de naissance du défunt, des enfants qu'il a déclarés ou reconnus.
Par ailleurs, le projet de loi comble une lacune du droit actuel en sanctionnant des peines du recel le fait de dissimuler un cohéritier. Il s'agit d'une sanction civile qui sera dissuasive et qui contraindra les héritiers à révéler immédiatement l'existence des autres cohéritiers.
Le projet prévoit également des solutions permettant d'accélérer la prise de position des héritiers quant à l'acceptation ou non de la succession.
Il s'agit d'abord de la généralisation de l'action interrogatoire.
Cette action permettra aux créanciers, aux cohéritiers, aux héritiers de rang subséquent et à l'État de sommer l'héritier inactif de prendre position. À défaut d'option, il sera considéré comme ayant accepté la succession purement et simplement. Cette mesure s'accompagne d'un délai d'option désormais plus court, passant de trente ans à dix ans. Au-delà de ces dix ans, l'héritier inactif sera tenu pour renonçant.
En outre, le projet de loi se devait de réviser dans son ensemble l'acceptation sous bénéfice d'inventaire.
Cette option est aujourd'hui rarement choisie en raison de la lourdeur et de l'imprécision de son régime. La modernisation de l'acceptation sous bénéfice d'inventaire, désormais appelée acceptation à concurrence de l'actif net, repose sur trois mesures essentielles.
Tout d'abord, la déclaration d'acceptation à concurrence de l'actif est soumise à une publicité permettant une information des créanciers. Ces derniers disposent désormais d'un délai fixe de quinze mois pour se faire connaître. À défaut, leurs créances se trouvent éteintes.
Ce mécanisme d'extinction des créances non déclarées est essentiel ; il permet à l'héritier de se faire une idée sur l'ampleur du passif existant, afin de procéder en toute sécurité à son règlement.
Ensuite, l'intérêt de l'inventaire est augmenté. Actuellement utilisé pour déterminer la composition matérielle du patrimoine, le projet de loi lui donne désormais un rôle estimatif. Cet inventaire, établi par un officier public ou ministériel, servira de base aux opérations ultérieures.
Enfin, l'héritier retrouve un rôle central. Contrairement au dispositif actuel, il disposera d'un véritable pouvoir quant au sort des biens successoraux. Deux possibilités lui seront offertes : il pourra vendre les biens ou décider de leur conservation. Dans les deux cas, la décision sera publiée et l'héritier aura la responsabilité de la répartition des fonds entre les créanciers.
Poursuivant l'objectif de diminuer les risques qu'encourent les héritiers lors de l'acceptation de la succession, la réforme offre la possibilité à l'héritier ayant accepté purement et simplement la succession d'être déchargé d'une dette qu'il avait de justes raisons d'ignorer.
Cette protection permettra d'éviter des conséquences parfois catastrophiques pour les héritiers qui s'aperçoivent, le plus souvent longtemps après avoir accepté, que le défunt avait en fait contracté une dette très importante qui rendait la succession totalement déficitaire.
Je terminerai la présentation des principales mesures permettant l'accélération et la simplification du règlement des successions en évoquant le partage successoral. Cette étape constitue la principale source de blocage, et c'est pour cette raison que nous avons souhaité la réformer en profondeur.
L'objectif du texte est d'abord de favoriser le partage amiable, afin de limiter le recours au partage judiciaire aux seuls cas où il existe un véritable litige. Ainsi, pour le cas d'un héritier taisant, mais non opposé au partage, le projet prévoit de mettre en place une procédure de représentation nécessitant une intervention judiciaire simplifiée et limitée.
Les nouvelles mesures concernant le partage en présence d'un présumé absent ou d'une personne protégée suivent la même logique. Alors qu'aujourd'hui l'intervention du juge est systématique, on envisage dans le projet de loi de mettre en place un partage amiable sur autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles. Cela évitera le recours à une procédure lourde et souvent inutile, qui n'a souvent pour seul effet que de retarder les opérations de partage.
Enfin, la promotion du partage amiable passe également par une limitation de sa remise en cause. Ainsi, en matière de partage lésionnaire, là où le droit actuel fait de la nullité un principe, la réforme lui préfère une sanction plus adaptée et pragmatique : le versement d'une indemnité complémentaire. En outre, le délai pour agir en cas de lésion est ramené de cinq ans à deux ans.
Dans la mesure où le partage judiciaire ne peut être évité à chaque fois, le projet de loi a voulu le rendre plus efficace pour que cessent ces procédures qui s'étendent sur plusieurs années et usent la patience de nombreuses familles. Dans cette optique, il est indispensable que le notaire ait un rôle important. Il doit agir comme un véritable liquidateur, en passant outre l'inertie d'un copartageant. Le projet de loi lui en donne les moyens, notamment en lui permettant de demander au juge la représentation du copartageant défaillant.
Comme vous le voyez, ces dispositions non seulement vont dans le sens de la simplification, mais permettront également aux familles d'aborder les opérations successorales avec davantage de sérénité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'en viens maintenant au troisième objectif de cette réforme, qui est de faciliter et de simplifier la gestion du patrimoine successoral.
Il s'agit là d'un problème essentiel, car, en marge des conflits humains auxquels peut donner lieu le règlement des successions et pour lesquels la réforme apporte des réponses, il y a une réalité patrimoniale préoccupante.
Trop d'entreprises disparaissent, du fait de règles trop rigides qui empêchent les héritiers de continuer, même de façon provisoire, l'action du défunt.
La réforme du droit des successions se devait de prendre en compte cette question.
Le projet de texte protège d'abord les héritiers contre les risques d'acceptation tacite de la succession. Souvent, en particulier lorsqu'il existe une entreprise, les héritiers préfèrent se désintéresser de la succession, plutôt que de prendre le risque, en assurant la gestion courante, d'être tenus pour des héritiers acceptants purs et simples, ce qui les exposera au paiement de l'intégralité du passif.
Le texte atténue cette difficulté pratique et permet aux héritiers, sans risque d'être considérés comme acceptant tacitement la succession, d'effectuer l'ensemble des actes nécessaires à la conservation et à l'administration provisoire de la succession. Ils pourront également, sur autorisation du juge, prendre toute mesure dans l'intérêt de la succession.
À l'avenir, les héritiers pourront par conséquent éviter la détérioration des biens dont la conservation nécessite un certain entretien et assurer la continuation de l'entreprise sans risque.
Afin de faciliter la gestion du patrimoine transmis, le projet de loi développe le recours au mandat.
À côté du mandat conventionnel, que la réforme souhaite réhabiliter, le texte met en place deux mécanismes nouveaux.
Il s'agit, en premier lieu, du mandat posthume. Ce mandat permettra au défunt de désigner, de son vivant, un mandataire avec la mission d'administrer tout ou partie du patrimoine transmis, si les héritiers, en raison de leur jeune âge ou de leur handicap, ne sont pas aptes à le faire eux-mêmes.
La validité de ce mandat, qui pourra être particulièrement utile dans le cadre de la gestion d'une entreprise, sera subordonnée à l'existence d'un intérêt sérieux et légitime au regard, soit du patrimoine transmis, soit de la personne de l'héritier.
Vous aurez compris qu'il s'agit là d'un nouvel outil fondamental.
L'Assemblée nationale a ici apporté de grandes améliorations, notamment en encadrant les pouvoirs confiés à l'administrateur.
Votre rapporteur souhaite également modifier certains points. Le plus important concerne la durée de ce mandat. Le Gouvernement envisageait la possibilité d'un mandat à durée indéterminée lorsque la situation particulière l'exigeait. Votre rapporteur souhaite limiter cette durée à cinq ans, renouvelable par décision du juge.
Je comprends le souci de ne pas voir un mécanisme conçu pour être temporaire s'installer dans le temps, sans aucun contrôle extérieur. Par ailleurs, la possibilité d'un renouvellement permet de répondre à certaines situations dans lesquelles le mandat devra fonctionner pendant une longue durée ; je pense en particulier à la situation de l'enfant handicapé.
Dans ces conditions, la solution proposée par votre commission me paraît être équilibrée, et je puis d'ores et déjà vous annoncer que je m'y rallierai.
En second lieu, le projet de loi permet la désignation d'un mandataire de justice.
Cette désignation interviendra dans des hypothèses de mésentente entre les héritiers, de carence ou de faute de l'un d'entre eux dans l'administration de la succession, sur demande de tout intéressé.