Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voici une réforme complexe, très attendue, en tout cas, depuis très longtemps.
Monsieur le ministre, je dirai que vous êtes un garde des sceaux heureux : vous présentez un grand texte dont vous êtes l'héritier. Oui, vous êtes l'héritier de travaux successifs, qui ont été évoqués, aboutissant à trois projets de loi qui n'ont, quant à eux, pas prospéré.
Héritier aussi du travail considérable de la doctrine dans ce domaine - je rappelle l'influence déterminante qu'ont exercée sur ces projets, en relation avec les services de la Chancellerie, aussi bien notre regretté maître le doyen Carbonnier que le toujours ardent Pierre Catala.
Je veux mentionner également les travaux des commissions des lois, notamment celle du Sénat. Je ne parle pas seulement de notre excellent rapporteur, M. de Richemont, mais aussi du travail considérable qui avait été fait, à l'époque, par le président Hyest et par M. About.
C'est donc toute cette masse de travaux - je sais combien la direction des affaires civiles et du sceau s'est investie - qui trouve aujourd'hui son aboutissement.
En l'état, nous avons pu le constater, ce texte ne soulèvera pas de passions politiques, même si les discussions techniques ne sont pas sans passion. La matière ne se prête pas, à mon sens, à un affrontement politique ; je laisse de côté les questions qui ont été greffées sur la réforme du droit des successions et des libéralités en tant que telle.
La stabilité extraordinaire de notre droit dans le domaine qui nous occupe a été soulignée. Ainsi, je ne puis m'empêcher de relever que les trois quarts des dispositions concernant les libéralités actuellement en vigueur figuraient déjà dans le code civil de 1804. C'est d'ailleurs peut-être l'un des paradoxes de notre nation que, depuis deux siècles, nous ayons souvent changé de Constitution - nous en avons connu quatorze - mais que, pendant la même période, nous ayons maintenu intacts des fragments entiers du code civil. Cela laisse à penser que le tempérament national est plus conservateur que l'on ne pourrait parfois le croire...
Quoi qu'il en soit, il est vrai que des débats passionnés ont eu lieu lorsque l'on a voulu passer, dans le domaine des successions, à ce que j'appellerai l'époque post-révolutionnaire, d'autant que le point le plus difficile à régler par la première commission chargée de l'élaboration du code civil fut celui du droit testamentaire, de la répartition des quotités disponibles et du partage. On y est parvenu, grâce à Cambacérès, au travers de ce système de réserve « graduelle » qui est le nôtre et, ne l'oublions jamais, de ce principe si fort qui structure notre droit des successions, à savoir l'égalité de droits entre les héritiers, la réserve permettant d'assurer la transmission familiale, mais à parts égales.
Là se situe la grande différence, la ligne de partage des eaux avec l'approche anglo-saxonne, inspirée fondamentalement par la liberté de tester et non par la réserve et le partage en fractions égales. Il y a là une différence irréductible qu'il convenait de rappeler, mais nous aurons l'occasion d'y revenir.
Cela étant, quand les passions s'éveillent-elles ? C'est toujours, on l'a vu longuement à propos des enfants adultérins, des droits du conjoint survivant ou de ceux du signataire d'un PACS, quand il s'agit de dire qui va hériter, d'aborder la question de la dévolution successorale, de déterminer, pour les successibles, le quantum des droits. Quand on quitte ce terrain, on entre alors dans la réflexion sur les problèmes de technique juridique, ceux précisément qui vont nous occuper tout au long de ces deux jours de débat.
À la lecture du projet de loi, j'observe que celui-ci est consacré, pour l'essentiel, à des mesures de simplification, d'accélération et de sécurisation du règlement des successions. Je n'en méconnais nullement la portée, compte tenu de la participation à son élaboration des grands auteurs que j'évoquais tout à l'heure, mais il s'agit tout de même bien d'un texte visant à aboutir à la meilleure technique juridique, mais toujours dans le cadre des principes fondamentaux de notre droit que j'ai rappelés.
En tout état de cause, nous nous trouvons en présence d'un texte composite, on pourrait presque dire éclaté, les mesures présentées étant destinées à améliorer, dans la continuité du droit, des situations existantes et non pas à constituer une refonte véritable du droit des successions.
Ce n'est pas l'objet de votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux, d'ailleurs vous ne le revendiquez pas. La complexité et la diversité des questions abordées font que la discussion générale est difficile, parce que l'on est amené à considérer successivement différents points et à se prononcer sur des mesures disparates.
En ce qui concerne tout d'abord les successions, je relèverai, d'une manière très générale, que, parmi les améliorations proposées, deux me semblent importantes au regard de la pratique.
En premier lieu, le pacte successoral me paraît promis à un avenir certain, parce qu'il permettra une meilleure répartition des biens et parce qu'il assurera une sécurité familiale plus grande, surtout quand une personne handicapée figure au nombre des héritiers. Je pense que ce dispositif prospérera et je m'en réjouis.
En second lieu, faire évoluer le régime de l'indivision est absolument nécessaire. Cependant, allons-nous assez loin dans cette voie ? Requérir la majorité des deux tiers, au lieu de l'unanimité, s'agissant des actes de pure administration, des actes courants, est-il suffisant ? L'indivision est le fléau des successions, comme on a pu le constater tout au long des deux siècles écoulés. Sur ce point, je ne suis donc pas certain que nous ne serons pas amenés à reconsidérer les choses, au regard de ce qui se passera, et à étendre le champ d'application de la majorité qualifiée.
En revanche, d'autres dispositions importantes du texte suscitent des interrogations et des critiques graves.
S'agissant de l'option de l'héritier, considérer que le silence de celui-ci pendant le délai légal vaut acceptation, avec les conséquences que cela entraîne, même si l'on a tempéré la règle par la possibilité de demander à être déchargé par le tribunal d'une dette ignorée, me semble constituer une innovation malvenue. La proposition formulée par MM. Hyest et About à cet égard nous paraît préférable.
S'agissant des créanciers chirographaires, autre point qui fera débat, le défaut de déclaration dans le délai légal - nous aurons à en fixer la durée -, ne doit pas entraîner l'extinction de la créance. Un tel défaut de déclaration ne saurait être sanctionné par une forme de prescription de la créance, créance qui est, je le rappelle, un droit constitué du vivant du défunt et qu'il n'y a aucune raison de supprimer pour non-accomplissement d'une formalité dans un délai légal. Nous ne pouvons pas inventer et introduire dans notre droit une prescription extinctive d'une obligation civile pour non-présentation de la créance dans le délai légal. Dans un tel cas, la sanction consiste simplement en ce que la créance en question est recouvrable sur ce qui reste éventuellement de l'actif de la succession après que les créances produites, elles, en temps utile ont été acquittées.
En ce qui concerne les modalités du paiement de la créance, dans le cadre du système qu'il est envisagé d'instituer, il est certain que le système du prix de la course ne peut pas être retenu. Ce ne serait pas juste, parce qu'un créancier peut ne pas avoir bénéficié de la même information qu'un autre. À cet égard, il convient de préférer une procédure de distribution au marc l'euro. Cela a fait l'objet d'une longue discussion en commission.
Cela étant, l'introduction dans notre droit des successions du mandat à effet posthume me semble représenter une innovation beaucoup plus importante. Indépendamment même des principes fondamentaux du droit successoral posés aux articles 720 à 724 du code civil, il est singulier, reconnaissons-le, qu'un mandat puisse, en quelque sorte, survivre au mandant. Il est bien plus singulier encore de prévoir que le mandat prenne effet au décès du mandant et s'impose aux héritiers, qui découvriront alors son existence.
On peut ici s'interroger sur l'atteinte portée aux droits liés à la réserve, puisque ces droits ne pourront en fait pas être exercés, le mandataire étant le véritable décideur. Si des héritiers se trouvent en présence d'un tiers à la succession détenant les pouvoirs définis dans le cadre du dispositif du mandat à effet posthume, peut-on prétendre qu'il n'est pas porté atteinte, sinon juridiquement du moins tout à fait concrètement, à leurs droits s'agissant des biens dont ils sont réservataires ? On voit apparaître ici non pas le trust - je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point, monsieur le rapporteur, il ne s'agit pas du tout de cela -, mais plutôt le personal representative du droit anglais.
À ce stade de mon intervention, je parlerai de de cujus plutôt que de « futur défunt », expression que je trouve lugubre, surtout quand je contemple cet hémicycle et que je le vois tout à coup peuplé de futurs défunts, ce que certes nous sommes tous par définition !