Monsieur le garde des sceaux, en débutant, cet après-midi, l'examen de ce projet de loi portant réforme du droit des successions et des libéralités, je tiens à vous dire combien je me félicite, au nom du groupe de l'UMP, de son dépôt devant notre assemblée.
En effet, le texte que nous étudions aujourd'hui est d'une importance fondamentale. S'il y a bien un sujet auquel personne ne peut échapper et auquel nous sommes tous confrontés directement à plus ou moins terme, c'est bel et bien celui des successions.
L'action politique, celle pour laquelle nous nous sommes tous engagés, c'est celle que nous menons aujourd'hui en proposant des réformes consensuelles, attendues, utiles à chacun et propres à résoudre les difficultés de la vie quotidienne.
La matière civile, je parle sous l'égide de Portalis, pour complexe qu'elle puisse parfois paraître, est aussi l'une des plus nobles du droit et l'une des plus intimement liées à notre vie quotidienne. Droits civils, nationalité, acte de naissance, mariage, filiation, autorité parentale, propriété, successions et donations, y a-t-il une matière qui s'enchevêtre autant dans le quotidien des gens, au fil des événements qui jalonnent leur vie ?
La réforme que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, revêt donc à nos yeux une importance d'autant plus grande que nous ne l'avons que trop attendue : trente ans de réflexion ; trois réformes déposées en vingt ans devant le Parlement ; trois textes jamais discutés !
Des occasions manquées ? Peut-être. Mais regardons l'aspect positif des choses. Cette lente maturation a permis de ciseler la réforme, de préciser ce qui devait être précisé, d'ajouter ce qui ne pouvait exister il y a vingt ans. Ce long affinage est la garantie de la qualité du texte qui nous est soumis, et c'est tout à votre honneur, monsieur le garde des sceaux. Nous vous rendons hommage de nous le présenter aujourd'hui dans sa version aboutie, fruit d'une longue concertation avec l'ensemble des professionnels concernés, notamment avec tous les notaires de France, sollicités par voie de questionnaire.
Il faut deux cents ans pour faire un chêne, dit-on. Soit, et c'est le temps qu'il a fallu pour proposer la première réforme d'envergure du code civil depuis 1804. Je rappelle que ce texte porte sur près de deux cent cinquante articles du code civil.
Mais il n'était que temps de légiférer en la matière, et ce pour deux raisons essentielles. D'une part, les règles sont complexes et sources de blocage et, d'autre part, elles sont inadaptées à l'évolution de la société et des réalités sociales contemporaines.
Que de situations aberrantes en matière de successions ! Des indivisions impuissantes, lorsque l'unanimité ne peut être acquise, ce qui engendre bien souvent la perte de valeur du bien. Une sous-utilisation de procédures protectrices comme l'acceptation sous bénéfice d'inventaire. Des partages amiables que les textes ne favorisent pas.
Autant de règles inadaptées à la société du XXIe siècle, dans la mesure où, fort heureusement, la durée de vie ne cesse de s'allonger. Les héritiers sont souvent déjà retraités et, donc, la succession ne peut plus jouer son rôle d'établissement dans la vie qu'elle avait précédemment.
Ces règles sont aussi inadaptées parce que le nombre de familles recomposées ou de personnes décédant sans enfant ne cesse de croître. Elles sont encore inadaptées parce que l'évolution économique de notre pays s'accompagnera, dans les années à venir, d'un nombre élevé de transmissions d'entreprises, de PME, liées au décès de leur dirigeant ou de leur propriétaire, situation à laquelle notre droit ne s'est jamais préparé. Ainsi, d'ici à dix ans, 450 000 entreprises devront être transmises, alors qu'aujourd'hui 7 000 d'entre elles disparaissent à la suite du décès de l'entrepreneur.
Sur toutes ces questions, le projet de loi apporte des réponses concrètes et équilibrées. Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des dispositions proposées. L'exposé de notre excellent collègue, Henri de Richemont, a été en ce sens fort clair et tout à fait exhaustif.
Je profite de la tribune qui m'est offerte pour saluer, au nom des collègues de mon groupe, M. le rapporteur pour le formidable et riche travail qu'il a fourni avec pragmatisme sur ce texte. J'associerai bien sûr à cet éloge notre très estimé président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, dont nous connaissons, au sein de la commission et bien au-delà, l'attachement à la matière civile. Nous apprécions également l'importance de sa contribution dialectique aux travaux de notre rapporteur.
Encore une fois, sans reprendre l'intégralité des mesures du projet de loi, je ne peux pas ne pas évoquer les plus emblématiques de la réforme.
Je citerai ainsi la modernisation des règles relatives à l'option de l'héritier, par la facilitation de la détermination des héritiers ; l'accélération de la prise de position de ces héritiers quant à la décision d'accepter ou non la succession ; la révision, plus qu'attendue, de l'acceptation sous bénéfice d'inventaire, qui prendra dorénavant le nom « d'acceptation à concurrence de l'actif net » ; la protection de l'héritier contre les risques d'acceptation tacite de la succession, en lui permettant d'effectuer des actes nécessaires à la conservation et à l'administration provisoire de la succession ; et la création du mandat à effet posthume, qui permettra au défunt de désigner un mandataire avec la mission d'administrer le patrimoine transmis, si les héritiers ne peuvent le faire eux-mêmes.
Je pense évidemment aussi à l'essentielle réforme de l'indivision, qui permettra enfin la gestion des biens indivis à la majorité des deux tiers pour les actes d'administration, ce qui supprime ainsi l'inique règle de l'unanimité, en la matière uniquement cause de dépréciation du bien. Désormais, seules les opérations les plus lourdes de conséquences, telle que la vente d'un bien immobilier, nécessiteront toujours l'unanimité.
Je n'aurais garde d'oublier l'indispensable corollaire de cette réforme, la simplification des opérations de partage amiable ou, à défaut, de partage judiciaire.
Le projet de loi tend à introduire également en droit français la notion germanique de « pacte successoral », qui permettra à un héritier réservataire de renoncer par anticipation à exercer son action en réduction d'une libéralité portant atteinte à la réserve.
Et, surtout, il est tenu compte de l'évolution démographique et sociale en autorisant les donations-partages transgénérationnelles, qui permettront à un enfant de renoncer à un héritage ou à une donation en faveur de ses propres enfants, afin que la succession retrouve, un peu plus que marginalement, son rôle en matière d'établissement du successible.
Enfin, aux termes des travaux de nos collègues députés, de nombreuses dispositions ont été adoptées en faveur des partenaires d'un PACS.
Il en est ainsi de l'adoption du régime patrimonial de la séparation de biens, mieux adapté que l'actuelle indivision. Par ailleurs, des droits successoraux sont reconnus au partenaire survivant, alors qu'actuellement il ne peut hériter que par voie testamentaire, dans les limites de la quotité disponible ordinaire. Le survivant pourra aussi bénéficier pendant un an du droit de jouissance du domicile commun.
Toutes ces dispositions sont animées par une triple ambition à laquelle notre groupe souscrit : donner davantage de liberté à nos concitoyens pour organiser leur propre succession, notamment transgénérationnelle ; garantir aux successibles des conditions moins hasardeuses d'acceptation de la succession ; pérenniser le patrimoine, notamment les entreprises, lorsque le défunt était entrepreneur, en garantissant la gestion de cette dernière par mandat.
Je souhaiterais plus particulièrement insister sur quatre points.
En premier lieu, je reviendrai sur le mandat à effet posthume, qui a longuement animé les débats de notre commission des lois la semaine dernière. De quoi s'agit-il, sinon d'un outil au service du défunt lui permettant de désigner un mandataire à effet posthume avec pour mission d'administrer tout ou partie du patrimoine transmis si les héritiers ne peuvent le faire eux-mêmes, en raison de leur âge, de leur handicap ou de la consistance particulière de la succession, et ce afin de faciliter la gestion et la préservation du patrimoine transmis ?
Le mandataire pourra être une personne morale. Sa rémunération éventuelle ne pourra porter atteinte aux droits réservataires des héritiers. Il devra rendre des comptes annuellement. Son mandat sera subordonné à l'existence d'un « intérêt sérieux et légitime » apprécié au regard de la personne de l'héritier ou du patrimoine successoral. Le mandat, d'une durée maximale de deux ans, pourra être prorogé judiciairement.
Par ailleurs, un mandat à durée indéterminée sera possible dans quatre cas - incapacité, âge du ou des héritiers, nécessité de gérer des biens professionnels ou nécessité de posséder des compétences spécifiques pour administrer ou gérer le patrimoine.
Notre rapporteur propose de passer à un mandat de cinq ans renouvelable.
Le mandat à effet posthume a suscité beaucoup d'objections, plus ou moins pertinentes, d'ailleurs.
Ce dispositif, emprunté au droit anglo-saxon, serait une atteinte au principe de la saisine immédiate de l'héritier et reviendrait à permettre au défunt de « gérer la succession depuis son cercueil ». Or la validité du mandat sera subordonnée à l'existence d'un intérêt sérieux et légitime, apprécié par le juge et motivé par la préservation des intérêts des héritiers et du patrimoine.
Il a été dit également qu'il pourrait engendrer des abus de la part des mandataires posthumes. Pourtant, tous les représentants auditionnés - chefs d'entreprise, notaires, magistrats - y étaient favorables, parce qu'il vaut mieux nommer par avance une personne compétente et motivée connaissant le patrimoine, plutôt que de laisser le juge nommer, dans l'urgence bien souvent, un administrateur judiciaire sans doute surchargé et moins au fait des particularités de cette succession.
La prorogation possible est-elle d'une durée trop longue ? Notre excellent rapporteur propose de substituer au mandat à durée indéterminée un mandat à durée déterminée de cinq ans prorogeable, étant entendu que les héritiers peuvent mettre un terme au mandat en vendant les biens ou contester la réalité de l'intérêt sérieux et légitime du mandat.
Ces vérités sont bonnes à rappeler, dans la mesure où le mandat à effet posthume n'a pas d'autre objet que de protéger les héritiers. Il ne s'agit, en aucun cas, d'une administration post mortem. Les esprits suspicieux ne sont-ils pas ceux qui, justement, voient toujours en l'entrepreneur la concentration de tous les vices, au point de continuer à s'en méfier même lorsqu'il est passé de vie à trépas ?
En deuxième lieu, je souhaiterais aborder la délicate question de la quotité disponible spéciale entre époux et, singulièrement, celle des droits du conjoint survivant lorsqu'il existe des enfants d'une première union.
Nous avons tous, mes chers collègues, été abondamment sollicités par courrier sur cette question ; gageons que, lorsque nous aurons déplacé le curseur, l'autre partie mettra à profit la navette pour nous solliciter de même.
Sur ce point, nous sommes, dans notre très grande majorité, convaincus par la commission des lois, qui souhaite sa suppression.
Comme le président de la commission, Jean-Jacques Hyest, nous considérons qu'il n'est pas possible de légiférer pour le seul cas particulier de la coexistence d'une jeune belle-mère et d'enfants plus âgés, alors qu'aujourd'hui la plupart des seconds mariages durent plus longtemps que les premiers.