Intervention de Georges Othily

Réunion du 16 mai 2006 à 10h30
Réforme des successions et des libéralités — Discussion d'un projet de loi

Photo de Georges OthilyGeorges Othily :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en ces temps d'inflation législative et de prolifération juridique où des lois s'empilent et viennent modifier ou remplacer d'autres textes dont les décrets peinent à voir le jour, la réforme des successions et des libéralités, tant attendue des praticiens, des « usagers » et des entreprises, est enfin sur le point d'aboutir, deux cents ans après l'entrée en vigueur du code civil.

Voilà donc un vrai projet de loi indispensable et, je le crois, consensuel ; un projet de loi à la fois technique et global qui va permettre au législateur de remplir sa plus noble mission : mettre en phase notre appareil législatif avec les profondes mutations de notre société et adapter ainsi le droit positif aux moeurs sociales de notre temps.

Car le droit des successions remonte, pour l'essentiel, au code civil de 1804 et la moitié des articles concernés sont demeurés inchangés depuis cette date. Dans ces conditions, comment ne pas douter de la nécessité de toiletter, parfois, et de moderniser, souvent, cette codification ?

Si pour l'un de ses pères, l'illustre Aixois Portalis, le code civil est « un corps de lois destinées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et d'intérêt qu'ont entre eux des hommes qui appartiennent à la même cité », force est de reconnaître que ces relations sociales ont profondément changé et n'ont bien souvent plus grand-chose à voir avec ce qu'elles étaient il y a deux siècles, ou même il y a cinquante ans.

Aujourd'hui, les familles sont de plus en plus recomposées ou monoparentales, les couples homosexuels avec enfant sont devenus une réalité et, en 2005, les naissances hors mariage représentaient près de la moitié des naissances...

De ce profond décalage entre, d'une part, un droit qui n'a pas fait l'objet de réformes profondes depuis 1804 et, d'autre part, une accélération de l'évolution de notre société depuis une trentaine d'années, résultent de graves conséquences, naissent des conflits, des incompréhensions et des situations de blocages : indivisions impuissantes en l'absence d'unanimité et parfois dégradation des biens jusqu'à leur ruine, inadaptation complète de l'acceptation sous bénéfice d'inventaire, disparition de plus de 7 000 entreprises par an faute d'héritiers capables de les gérer, règlements retardés par des héritiers taisants par pure mauvaise volonté, impossibilité d'assurer des successions à l'amiable dans le cadre familial, et j'en passe.

C'est tout l'enjeu de la réforme qui nous est proposée : donner plus de souplesse et de liberté pour organiser une succession, faciliter la gestion du patrimoine successoral en sécurisant la période séparant le décès du partage, accélérer et simplifier le règlement des successions en réformant la procédure de partage et, bien sûr, s'assurer que les dernières volontés du défunt sont toujours respectées, dans la plus grande transparence.

Ce projet de loi est assurément imaginatif et audacieux. Il fourmille d'innovations juridiques comme le mandat à effet posthume, la renonciation anticipée à l'action en réduction ou encore les libéralités graduelles. Il répond en cela à l'attente de ceux pour qui le règlement d'une succession est une préoccupation quotidienne, à commencer par les techniciens et praticiens du droit des successions que sont les notaires.

Par ailleurs, l'idée de baliser le plus précocement possible le parcours d'obstacles qui attend la communauté des ayants droit à la succession est heureuse.

Toutefois, je suis plus réservé concernant l'exigence que le titulaire du patrimoine héréditaire puisse inconditionnellement et sans limite ni considération des grands équilibres familiaux façonner le paysage successoral. La réserve héréditaire reste certes intacte, de même que l'égalité entre les copartageants, mais ces principes directeurs de la dévolution successorale risquent de devenir un ornement encombrant, sans pouvoir de contrainte ni force d'expansion au sein d'un environnement tout entier dominé par le souci très marchand de la continuité des exploitations et des entreprises.

Est-ce la séduction du droit anglo-saxon ou l'un des impératifs de la mondialisation du droit qui tend inexorablement au rapprochement des systèmes juridiques ? Soyons donc attentifs à ce que de trop nombreuses innovations ne déstabilisent pas les plus nécessaires et les plus attendues d'entre elles.

Parmi les mesures novatrices contenues dans ce texte, je tiens à souligner l'apport considérable dans notre droit de la donation-partage transgénérationnelle. Cette mesure, très attendue, permettra de faire bénéficier les générations les plus jeunes de la donation-partage et de faire concourir des descendants de générations différentes.

En effet, les bénéficiaires d'une donation-partage ne la reçoivent souvent qu'à un âge avancé. Désormais, ils pourront accepter que leurs propres enfants bénéficient de la donation à leur place. En s'adressant à des personnes plus jeunes, cette disposition devrait profiter à l'investissement.

De plus, s'agissant des familles recomposées, la donation-partage pourra être étendue aux demi-frères et aux demi-soeurs, et un partage égal entre enfants issus de mariages différents pourra être effectué. Cet élargissement à tous les héritiers présomptifs et non plus uniquement aux ascendants constitue une réelle innovation qui devrait se généraliser.

Le projet de loi sécurise enfin les options des héritiers en créant l'acceptation à concurrence de l'actif net, qui remplace l'acceptation sous bénéfice d'inventaire. Cette disposition présente notamment l'avantage pour l'héritier de pouvoir conserver tout ou partie des biens de la succession, à charge pour lui de verser aux créanciers le prix des biens en fonction de leur valeur fixée dans l'inventaire. Le principe d'égalité en nature, en vigueur depuis 1804 dans le concept de partage, est en effet abandonné au profit du principe d'une égalité en valeur.

Cette nouveauté se révèlera moins préjudiciable pour la préservation des unités économiques et permettra de diminuer le recours à la vente des biens indivis.

Pour remédier à la mauvaise gestion des biens indivis, le projet de loi facilite la gestion de l'indivision en supprimant le recours à l'unanimité et en permettant aux indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis d'effectuer à cette majorité les actes d'administration et les actes de disposition nécessaires au paiement des dettes et des charges de l'indivision.

Aujourd'hui, l'indivision est très souvent source de nombreuses tensions en raison de l'obligation d'unanimité. Je ne peux donc que me réjouir qu'elle soit rendue plus gérable grâce à cette nouvelle règle de la majorité des indivisaires.

Le texte facilite les opérations de partage en consacrant la technique de l'imputation, laquelle consiste à placer l'indemnité de rapport dans le lot du donataire qui sera recueilli sur sa part. Là aussi, cette règle évitera la vente des biens de la succession.

Faute de temps, je ne peux m'étendre sur les nombreuses autres avancées que contient ce projet de loi tant attendu.

En tout état de cause, je me félicite que le second volet du texte, qui porte sur le droit des libéralités, ait été élaboré dans le même esprit puisqu'il consacre le principe de réduction des libéralités en valeur et non plus en nature. D'une part, ce principe n'empêchera plus le donataire non réservataire de disposer du bien. D'autre part, il ne portera plus atteinte au respect de la volonté du défunt qui a souhaité attribuer des biens déterminés.

Cette grande réforme législative du droit des successions et des libéralités, que tout le monde attend et réclame, permettra de mettre un terme à une situation devenue intenable. Elle apportera certainement des solutions immédiates outre-mer où, vous le savez, mes chers collègues, le problème familial est extrêmement difficile à traiter.

C'est une réforme de simplification et de modernisation qui témoigne de la volonté de dynamiser les patrimoines tout en préservant leur unité.

C''est également une réforme qui apportera davantage de paix et de sérénité dans les familles endeuillées.

C'est aussi une réforme qui réaffirme le rôle premier et indispensable des notaires dans leur mission de conseil et d'expertise au plus près des familles.

C'est, enfin, mes chers collègues, une réforme qui mériterait de faire l'objet d'un large consensus ignorant les clivages politiques.

En tout cas, nous devons tous nous engager à oeuvrer dans cette direction lors de nos futurs débats et à l'occasion de l'examen des amendements, qui, pour la plupart d'entre eux, vont dans le bon sens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion