Puis la commission a entendu M. Jean Gicquel, co-directeur du centre de recherche de droit constitutionnel et professeur de droit constitutionnel à l'université Paris-I.
Après avoir relevé que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 consacrait la revalorisation du rôle du Parlement, M. Jean Gicquel a noté qu'elle ne remettait pas en cause le principe, posé à l'article 20 de la Constitution, aux termes duquel le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation.
Il a par ailleurs rappelé que si le Conseil constitutionnel avait agi comme un allié objectif du Parlement, en lui permettant d'intervenir dans des domaines réglementaires et en sanctionnant l'incompétence négative, il avait également dégagé une jurisprudence encadrant son action au travers de plusieurs principes :
- accessibilité et intelligibilité de la loi ;
- clarté et sincérité de la loi ;
- limitation du droit d'amendement en deuxième lecture conformément au principe de l'entonnoir ;
- égalité de traitement des assemblées en matière procédurale, s'agissant en particulier de l'application de l'article 40 de la Constitution. Sur ce point, il a souligné que la loi organique avait précisément vocation à harmoniser les procédures entre les deux assemblées.
Abordant le projet de loi organique, il en a tout d'abord regretté le manque de concision, jugeant nécessaire de préserver une certaine souplesse à la pratique parlementaire.
Sur le contenu, il a en premier lieu livré son analyse sur l'application de l'article 34-1 de la Constitution relatif aux résolutions votées par les assemblées. Il a tout d'abord salué cette nouvelle possibilité, de nature à desserrer le carcan du parlementarisme rationalisé et à éviter l'adoption de lois mémorielles dépourvues de portée normative.
Il a ensuite souligné que, d'un point de vue sémantique, la résolution visée à l'article 34-1 de la Constitution serait davantage une motion qu'une résolution si elle était directement soumise à l'assemblée sans être examinée en commission.
Après avoir rappelé que le Gouvernement pouvait déclarer irrecevable une résolution s'il estimait que son adoption ou son rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu'elle contenait une injonction à son égard, il a noté que ce refus serait probablement insusceptible de recours, le Conseil d'Etat le regardant comme un acte de gouvernement bénéficiant d'une immunité juridictionnelle et le Conseil constitutionnel devant se déclarer incompétent.
Il a enfin jugé nécessaire de clarifier, dans la loi organique ou le règlement des assemblées, le terme « session » inscrit dans la disposition, adoptée par les députés, prévoyant qu'une proposition de résolution ayant le même objet et le même objectif qu'une proposition de résolution antérieure ne peut être inscrite à l'ordre du jour de la même session.
Abordant les dispositions du projet de loi relatives à l'application de l'article 39 de la Constitution, M. Jean Gicquel s'est déclaré défavorable à la liste, dressée à l'article 7, des documents qui rendent compte de l'étude d'impact réalisée sur les projets de loi, liste qu'il a jugé non seulement dangereuse -car toute énumération est nécessairement incomplète- mais également trop lourde, le Parlement risquant d'être accablé par la masse des documents visés et le Gouvernement d'être considérablement ralenti dans son initiative législative. Il a par ailleurs jugé trop court le délai de dix jours, fixé à l'article 8 du texte, permettant à la Conférence des présidents de l'assemblée sur le bureau de laquelle le projet de loi a été déposé de constater que ces règles de présentation sont méconnues. Il a également douté de la pertinence de prévoir des règles spéciales de présentation pour les lois de finances et de financement de la sécurité sociale.
a observé que le chapitre 3 du projet de loi organique consacré aux dispositions relatives au droit d'amendement constituait l'aspect le plus important de ce texte. Il a estimé que la prise en compte du fait majoritaire conjuguée avec les mouvements d'alternance politique devait encourager la majorité comme l'opposition à rechercher une certaine forme de consensus dans l'organisation de la procédure législative. Il a noté que depuis près de trois décennies, l'obstruction, qu'il a qualifiée de déviation du système parlementaire, constituait un phénomène récurrent. Si la séance publique apparaît, conformément à une tradition spécifiquement française, comme le lieu privilégié d'expression parlementaire, la révision constitutionnelle de 2008 a également renforcé le rôle des commissions permanentes. Il a estimé que les dispositions du projet de loi organique visaient à revenir à une organisation plus rationnelle des débats.
a noté qu'il pourrait être précisé, au premier alinéa de l'article 11 du projet de loi organique, que les amendements doivent être soutenus en séance. Evoquant ensuite l'accès du gouvernement aux commissions, il a rappelé que les règlements des deux assemblées comportaient des dispositions différentes en la matière. Il a estimé que la disposition proposée par le projet de loi organique, au quatrième alinéa de l'article 11, selon laquelle le Gouvernement peut être présent à sa demande lors de l'examen et du vote des amendements en commission, ne devrait pas soulever de difficulté au regard du principe de la séparation des pouvoirs dès lors que, conformément à l'article 31 de la Constitution, le Gouvernement assistait déjà à la séance publique. La rédaction proposée par l'Assemblée nationale lui a paru équilibrée.
Sur l'article 12 du projet de loi organique consacré aux procédures d'examen simplifiée, il a souligné que si ces procédures, prévues dans les règlements des assemblées, fonctionnaient mal à l'heure actuelle, elles permettaient de rééquilibrer le temps parlementaire au profit du travail de contrôle et pouvaient en particulier être utilisées pour les autorisations de ratification et d'approbation d'engagements internationaux. Il a jugé en revanche moins opportun de recourir à ces procédures pour les ratifications d'ordonnances.
Sur l'article 13 du projet de loi organique instituant un « crédit-temps » pour l'examen d'un texte en séance, il a rappelé qu'une telle procédure avait existé de 1935 à 1969 dans le règlement de l'Assemblée nationale et avait été acceptée par le Conseil constitutionnel en 1959. Il a ajouté que ce mécanisme, qui, aux termes d'un ajout de l'Assemblée nationale, devait permettre l'expression de tous les groupes parlementaires, ne constituait pas, selon lui, une atteinte substantielle au droit d'amendement, seule susceptible d'encourir la censure du Conseil constitutionnel.
En réponse à M. Bernard Frimat, M. Jean Gicquel a précisé que le dépôt d'amendements par le gouvernement ne devait pas avoir pour effet, selon lui, de réduire le « crédit-temps ».
Il a douté de la nécessité de mettre en place cette nouvelle procédure pour combattre l'obstruction parlementaire, rappelant l'existence de nombreux mécanismes pouvant être utilisés à cette fin : l'irrecevabilité des articles 40 et 41 de la Constitution, la possibilité, offerte au gouvernement, de s'opposer à tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission (article 44, deuxième alinéa, de la Constitution), la clôture des débats... S'il a relativisé l'intérêt du vote bloqué (article 44, troisième alinéa, de la Constitution) au regard de la lutte contre l'obstruction, il a insisté sur l'efficacité de la procédure prévue par le troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, applicable à l'Assemblée nationale, conjugué à la « question préalable positive » qui permet au Sénat de faire rejeter un texte sans débat, procédure qu'il a d'ailleurs jugé préférable de qualifier de « motion d'ajournement ».
Enfin, il s'est interrogé sur l'opportunité de prévoir, pour les textes de loi importants, sur le modèle de la loi organique relative à la loi de finances et à l'instar de certaines pratiques de pays européens, l'organisation d'un débat d'orientation préalable au renvoi en commission.
Il a également plaidé pour un partage du temps de parole plus équitable entre majorité et opposition.