Intervention de Éliane Assassi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission sécurité - examen du rapport pour avis

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi, rapporteur pour avis :

Tout d'abord, je remercie le précédent rapporteur de la mission Sécurité, M. Jean-Patrick Courtois : je me suis appuyée sur les auditions de cette année mais aussi sur le travail qu'il a accompli les années passées.

Intéressons-nous d'abord aux effectifs. Le plafond d'emploi de la police subira une diminution de 1 720 équivalent temps plein travaillé (ETPT) en 2012. Le schéma d'emploi prévoit une diminution de plus de 2 000 postes dans le corps d'encadrement et d'application, 238 postes de commissaires et officiers, 159 postes administratifs, techniques et scientifique. Cette diminution est compensée partiellement par une augmentation de 668 adjoints de sécurité (ADS). Les fonctionnaires de police sont donc en partie remplacés par des contractuels au statut précaire, dont le contrat pourra prendre fin au bout de trois ans, contre cinq avant la Loppsi. Le ministre a annoncé un recours croissant à la réserve civile de la police nationale, qui est ouverte désormais non plus seulement aux retraités des corps actifs mais à l'ensemble des citoyens. Après des années d'efforts pour améliorer la formation des policiers, la déqualification est engagée ; elle pourrait entamer la confiance de la population et elle pénalisera les policiers dans leur travail.

Le développement de la police technique et scientifique (PTS) est présenté comme le corollaire de la culture de la preuve, elle-même mise à l'honneur par la réforme de la garde à vue : on renonce à la culture de l'aveu... les agents de la PTS ont pourtant manifesté l'année dernière pour protester contre le manque flagrant de moyens, en contradiction avec des exigences toujours plus fortes. Les 80 postes supplémentaires en 2012 n'inverseront pas la tendance. En outre, le nombre des postes administratifs et techniques de la police nationale reculera. Ceux-ci ne représentent que 12% environ du total du personnel, un taux bien inférieur à ce qu'il est dans de nombreux pays européens. Ce sont des gardiens de la paix et jusqu'à des majors de police qui assument parfois ces tâches ; or leur salaire est beaucoup plus élevé que celui des agents administratifs ! Mais il n'y aura pas en 2012 d'amélioration.

La diminution des effectifs est forte également chez les gendarmes. Le schéma d'emploi prévoit une diminution de 1 185 ETPT. Le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Mignaux, nous a toutefois déclaré qu'il n'y aurait pas de suppression de brigades. Mais la situation devient difficile ! D'autant qu'il n'y a ni réorganisation des corps, ni modification de la répartition territoriale des deux forces. Quelques circonscriptions de sécurité publique passeront en zone de gendarmerie et quelques communes passeront en zone police en 2012. La police d'agglomération va dans le bon sens - création de circonscriptions de sécurité publique d'agglomération à Paris, Lille, Dunkerque ou Valenciennes, rationalisation des structures dans les agglomérations lyonnaise, marseillaise et bordelaise. Mais il subsiste trop de petites circonscriptions de sécurité publique enclavées. Surtout, les suppressions de postes et la réduction des crédits de fonctionnement se poursuivent.

Un effort de 90 millions d'euros a certes été fait pour l'immobilier, les achats de véhicules et de matériel informatique, les crédits de fonctionnement courant. Mais il est loin de compenser les baisses intervenues entre 2006 et 2011. Depuis 2009, la sous-budgétisation massive oblige les services à réclamer sans cesse des rallonges de crédits pour faire face aux dépenses élémentaires ! Des agents sont parfois contraints d'aller chercher des ramettes de papier à la préfecture ; des contrats d'entretien de véhicules sont résiliés par les garages, qui ne sont pas payés. Les laboratoires de la police technique manquent de consommables. La Cour des comptes estime à présent qu'« au sein des crédits généraux de fonctionnement et d'équipement, certains postes ont connu des évolutions qui pourraient ne pas être sans risque pour l'efficacité de l'action des services ».

Les locaux sont vétustes, comme l'a reconnu le directeur général de la police nationale. En 2012 les travaux du commissariat du Raincy commenceront enfin, ceux du commissariat de Beauvais se poursuivront. Le commissariat de Villeparisis, les hôtels de police d'Auxerre et de Clermont-Ferrand seront livrés. Mais les pénuries en ce domaine compliquent l'application de la réforme de la garde à vue. Les syndicats que j'ai pu entendre sont inquiets, sans rejeter la réforme en elle-même.

Des auditions des syndicats de police, j'ai conclu que l'ambiance au sein des forces de police était plutôt tendue, chaque corps estimant les autres privilégiés ou du moins davantage épargnés par les restrictions budgétaires. Ces dissensions ne concernent pas seulement les rapports entre la police et la gendarmerie, mais les services de police entre eux. Les rivalités entre le corps de conception et le corps de commandement ont pris une nouvelle dimension depuis que le ministère de l'Intérieur a lancé une réflexion sur leur fusion, comme les officiers souhaitaient. Tout cela est la conséquence des restrictions budgétaires et de réformes insuffisamment réfléchies et accompagnées.

Le rapprochement entre police et gendarmerie se poursuit, avec en 2011 la mutualisation des systèmes d'information, des marchés, de la maintenance, des formations et des primes. Chose nouvelle, des passerelles ont été développées entre les deux forces : 37 gardiens de la paix et 45 gendarmes ont été concernés en 2011. L'échange concernera 50 fonctionnaires de chaque force en 2012. Mais où est la vision d'ensemble ?

J'en viens aux statistiques et à la « politique du chiffre ». Le ministre de l'Intérieur, comme d'habitude, évoque l'état 4 001, c'est-à-dire les statistiques des faits constatés par la police et de gendarmerie, comme s'il s'agissait des statistiques de la délinquance elle-même. Prenons l'exemple des escroqueries à la carte de crédit. En septembre 2010, l'Observatoire national a constaté une baisse d'environ 10% des faits d'escroquerie et d'infractions sur un an - 35 000 en moins. C'est que les services de police et de gendarmerie ne prenaient plus les plaintes des personnes, au motif que seule la banque était vraiment lésée ! Une circulaire de la Chancellerie a fini par y mettre bon ordre.

Autre problème, les faits constatés dépendent du taux de plainte. Une forte hausse des faits constatés de violences conjugales peut constituer une bonne nouvelle, lorsqu'elle traduit en fait une augmentation du taux de plainte. En outre, la plainte est enregistrée dans le lieu de résidence et non au lieu de commission de l'infraction. Une habitante d'Amiens agressée à Paris se rendra au commissariat près de chez elle. Mais le fait, s'il est élucidé, le sera à Paris. La cartographie de la délinquance ne peut donc être précise, ce qui complique les adaptations géographiques. Enfin, l'état 4 001 ne prend pas en compte les contraventions, qui comprennent les violences volontaires les moins graves.

Les enquêtes de victimation réalisées par l'Insee et l'Observatoire abordent la délinquance par une autre méthode, celle du sondage auprès d'un échantillon représentatif de personnes de plus de 14 ans. L'enquête réalisée en 2010 montre une hausse significative des vols personnels avec violences ou menaces et une diminution des vols sans violences. En revanche, le nombre de personnes ayant déclaré avoir subi au moins un acte de violence hors ménage diminue, 657 000 en 2010, contre 830 000 en 2009.

L'Observatoire a comparé, sur plusieurs années, les données relatives aux personnes mises en cause par les services de police et de gendarmerie et les déclarations des victimes. La proportion importante de mineurs parmi les auteurs de vols avec violences a, par ce biais, pu être mise en évidence.

Le nombre de gardes à vue pour crimes et délits non routiers a diminué de 9,8 % en 2010 : 523 000 gardes à vue, 57 000 de moins. Les gardes à vue d'étrangers en situation irrégulière ont diminué de 13 000, sans doute en raison de l'arrêt El Dridi de la Cour de justice de l'Union européenne, qui les a rendues illégales dans certains cas. Le nombre des mis en cause n'ayant pas diminué au cours de la période, on peut en déduire que les policiers et les gendarmes utilisent moins la garde à vue.

Il me paraît urgent de communiquer plus intelligemment sur les statistiques, mais aussi de recourir à de nouveaux indicateurs d'efficacité, plus qualitatifs, comme le délai d'intervention après un appel, le temps de dépôt d'une plainte, la satisfaction exprimée par la population, etc.

Je veux évoquer maintenant la vidéosurveillance, que je persiste à appeler ainsi, comme la Cour des comptes. L'objectif est toujours de 60 000 caméras sur la voie publique à moyen terme. Or, de nombreuses études scientifiques réalisées à l'étranger montrent que, si la vidéosurveillance peut faire baisser la délinquance dans des lieux de taille réduite et fermés tels que des parkings, elle n'a aucun effet mesurable en terrain ouvert, sur la voie publique. Il est aisé de trouver des exemples où la vidéosurveillance a permis d'appréhender un délinquant. Mais les études concluent à un faible nombre de faits élucidés grâce à ce moyen ! L'enquête, non scientifique mais très favorable à la vidéosurveillance, de l'Inspection générale de l'administration et de l'Inspection générale de la police n'aboutissait en 2010 qu'à un taux de 3%. Cela peut sembler non négligeable, mais il faut rapprocher ce résultat des coûts d'investissement et de fonctionnement engagés : 60 000 caméras représentent l'équivalent, selon la Cour des comptes, de la rémunération de 6 500 policiers municipaux, un tiers de leurs effectifs sur tout le territoire. Décrétons un moratoire sur l'installation de nouvelles caméras et prenons le temps de réaliser une étude sérieuse en France. Si la situation dans notre pays diffère de celle prévalant au Royaume-Uni ou au Canada, il faut nous dire en quoi !

Le respect des libertés publiques et des garanties posées par le législateur est aussi en jeu. Les préfets délivrent parfois des autorisations pour des lieux qui ne sont pas « soumis à des risques particuliers d'agressions ou de vols » et le contrôle des commissions départementales reste embryonnaire. Quant à la CNIL, ses moyens ne lui ont pas permis d'effectuer plus de 130 contrôles depuis mars dernier. Mais 40% d'entre eux ont révélé une absence d'autorisation, 50% une absence d'information suffisante des personnes concernées, 20% une mauvaise orientation des caméras.

S'agissant de la police de proximité, en janvier 2009, le ministre de l'Intérieur a annoncé la création de 100 unités territoriales de quartier (UTEQ). A la fin de 2009, il en existait 35. Fin 2010, il n'en restait que 29, bientôt transformées en brigades spécialisées de terrain, à effectifs moins nombreux et intervenant sur un territoire plus vaste. Les compagnies de sécurisation, elles, n'ont jamais trouvé leur place. Ces errances auraient-elles pris fin avec la création en avril 2011 des « patrouilles » de deux policiers ? La doctrine est simple : rendre la police « plus visible ». La décision d'acquérir davantage de véhicules « sérigraphiés » participe de la même stratégie. Or les réponses aux questionnaires budgétaires indiquent que « la doctrine d'emploi des patrouilleurs ne s'écarte pas des missions de police générale traditionnelle, avec ses objectifs de prévention, de dissuasion et de répression ». Ce retour aux fondamentaux n'est pas condamnable en soi, mais améliorera-t-il le sentiment de sécurité de nos concitoyens ? J'en doute. En outre, certains policiers estiment qu'il est nécessaire d'être trois dans un véhicule, surtout si les agents doivent descendre du véhicule pour une intervention. Le taux de présence des forces de l'ordre sur la voie publique sera-t-il véritablement accru ? Les patrouilleurs seront en partie choisis parmi les agents déjà présents sur le terrain. Du reste, seuls 5,5 à 6 % des effectifs de sécurité publique sont présents, à l'instant T, sur la voie publique. C'est d'abord là qu'il faut faire porter l'effort. Or les effectifs diminuent...

Toutes ces observations m'amènent à vous proposer de donner un avis défavorable aux crédits de la mission « Sécurité » pour 2012.

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