Intervention de Bernard Kouchner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 2 avril 2009 : 1ère réunion
Conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense — Audition de M. Bernard Kouchner ministre des affaires étrangères et européennes

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

a également estimé que cette crise économique, financière et sociale induisait une instabilité sur tous les continents, faisait naître des craintes pour les populations et les pays les plus fragiles, mais confortait la validité de la structure de l'Union européenne. Il a reconnu que la crise suscitait, par sa force et la rapidité de son extension, un puissant sentiment d'inquiétude : ainsi, de sa naissance, à l'été 2007, à sa confirmation à l'automne 2008, elle s'est notamment traduite par l'effondrement du commerce mondial et un ébranlement général du système bancaire. Il s'agit d'un péril économique majeur, d'une ampleur sans précédent et qui risque de s'inscrire dans la durée, le précédent de la crise de 1929 pouvant laisser craindre qu'il dégénère en affrontements armés. Certes, les structures mondiales actuelles sont différentes et il existe des motifs d'espoir, car la crise incite les dirigeants politiques à en tirer des leçons pour entreprendre une nécessaire restructuration des institutions de Bretton Woods, une régulation des agences de notation et une dénonciation des paradis fiscaux, sujets qui doivent être tranchés par le G20 réuni à Londres.

Puis le ministre a identifié plusieurs menaces potentielles. Il a estimé que, à court terme, l'instabilité croissante des Etats les plus fragiles pourrait conduire à des turbulences internes et à des conflits internationaux. Par ailleurs, la croissance du chômage suscite une forte anxiété sociale due à la réduction des flux commerciaux internationaux et à la contraction des conditions d'accès aux crédits. Une vraie dégradation des conditions de vie des populations défavorisées se produit. Cette montée des frustrations et des mécontentements pourrait conduire les pays pauvres d'Afrique ou d'Asie à affronter des troubles internes majeurs. Les capacités de gouvernance des Etats démocratiques sont mises à l'épreuve ; cette situation souligne l'importance stabilisatrice du système social français. Dans les Etats totalitaires, les crispations intérieures pourraient conduire à la recherche de dérivatifs sous forme de lutte contre des ennemis internes ou externes, à des mouvements migratoires massifs, notamment en provenance d'Afrique sub-saharienne, et à des risques d'aventurisme politique. La tentation pour ces régimes de renforcer leur emprise pour contrôler ces mouvements pourrait conduire à des affrontements dont les extrémistes seraient les bénéficiaires. Les Etats-Unis d'Amérique étant, incontestablement, le foyer d'origine de cette crise, des discours anti-occidentaux faciles, mais dangereux, tendent à se développer. Un récent rapport d'évaluation des menaces, présenté par le directeur des services de renseignements américains, l'amiral Denis Blair, identifie la crise économique et financière comme la première menace contre la sécurité des Etats-Unis avant même le terrorisme. L'instabilité économique induit des effets négatifs, y compris dans les pays riches comme les pétromonarchies : ainsi, les nombreux chantiers immobiliers lancés à Dubaï sont arrêtés, et une crise immobilière majeure touche les Etats du Golfe persique, et même certains pays européens comme l'Espagne. Les situations tendues, qui semblaient stabilisées, dans le nord Caucase et les Balkans, sont attisées par un retour récent du nationalisme, ce qui souligne la nécessité d'arrimer les Balkans à l'Union européenne et l'urgence, pour ce faire, de disposer des instruments du traité de Lisbonne. Les pays les plus vulnérables sont les pays pauvres, comme le Nigéria, la République démocratique du Congo ou la République centrafricaine, qui cumulent les risques. De plus, dans ce climat de crise profonde, les tentations de s'approprier les ressources naturelles des pays voisins -comme dans la région des Grands lacs- sont plus fortes que jamais.

Enfin, la sécurité intérieure des pays occidentaux est directement affectée par la crise : on estime qu'environ la moitié des fonds spéculatifs sont constitués des recettes financières tirées d'activités criminelles, et que le narcotrafic, en forte croissance, représente environ 200 milliards de dollars annuels. Ce développement du trafic de stupéfiants, en particulier dans la zone sahélienne, la Corne de l'Afrique et l'Amérique latine, s'accompagne d'un ancrage des consommations locales dans les pays producteurs comme l'Iran ou l'Afghanistan. Lors de la récente conférence de la Haye consacrée à l'Afghanistan, les responsables iraniens se sont d'ailleurs engagés à lutter contre ce trafic, comme à participer fermement à la lutte contre les taliban. Enfin, cette crise accentue les flux migratoires qui se traduisent par de nombreux morts, comme ceux qui viennent de périr dans leur tentative de rejoindre l'Europe à partir de la Libye. L'île de Malte est également confrontée à des arrivées massives de clandestins, que son exiguïté territoriale rend difficile à gérer. Il a relevé que la France avait décidé de soutenir ce pays en acceptant sur son territoire une centaine de migrants auparavant retenus dans cette île.

a souligné que cette crise comportait trois éléments négatifs nouveaux : un recul massif de la puissance économique des pays composant le G7, une mise en question de la super puissance américaine qui, pour agir efficacement, devra désormais s'appuyer sur ses alliés, et un affaiblissement de la confiance accordée par les citoyens à leurs gouvernements.

Mais, a-t-il fait valoir, la conjoncture actuelle ouvre également des possibilités d'actions nouvelles dans l'élaboration d'une gouvernance mondiale rénovant les actions conduites par le G20 ou le FMI. Dans ce domaine, les priorités de la France et de l'Allemagne sont identiques et visent à appuyer une telle gouvernance et à lutter contre tous les paradis fiscaux. Cette crise souligne aussi la nécessité d'une réponse économique commune au sein de l'Union européenne, notamment pour faire face au risque de faillite encouru par certains de ses membres, comme l'Irlande dont l'activité s'est contractée de 9 % en 2008.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion