Je suis heureux de pouvoir prendre la parole maintenant, puisque M. Badinter a attaqué le fond du débat.
Monsieur Badinter, la différence fondamentale entre nous est d'ordre philosophique : c'est le regard pessimiste que vous portez sur la nature humaine.
Au-delà de cette appréciation philosophique, qui peut toujours se discuter, le projet de loi répond à votre pessimisme. Quel que soit le cas de figure, je ne vous suivrai donc pas.
Je reprends votre exemple, celui du père attaché à son outil de travail, une usine un peu « poussiéreuse ». Ses trois fils travaillent dans l'entreprise et deux d'entre eux voudraient renouveler la technologie. Le troisième, plus conservateur, plus proche de son père aussi, se contente de laisser « partir en sifflet » la production.
Dans votre logique, le père, tout naturellement, choisit la mauvaise solution, c'est-à-dire le fils qui ne veut pas renouveler la technologie, et lui donne un mandat posthume. C'est donc ce fils-là qui reprendra la direction de l'affaire après le décès de son père, même s'il ne détient que le tiers de la propriété de l'entreprise.
Monsieur Badinter, si l'un des héritiers conteste la décision du père, le projet de loi prévoit qu'il peut aller devant le tribunal, lequel peut révoquer le mandat posthume, car ce dernier doit être fondé sur un intérêt sérieux et légitime.
En d'autres termes, en cas de contestation, c'est le juge qui apprécie. Dans l'exemple que vous avez cité, même un juge qui n'est pas spécialisé dans le droit des affaires comprendrait qu'il ne faut pas donner raison au fils qui a reçu le mandat. Si un mandant choisit mal la personne à qui il confie le mandat posthume, le texte prévoit la possibilité de s'en remettre à la décision d'un juge.
Si vous observez les pratiques en cours dans les entreprises du CAC 40, vous constaterez - c'est à la mode, surtout depuis deux ou trois ans - que le président d'une entreprise devient brutalement président du conseil de surveillance, lequel choisit son directeur général. Je n'ai pas entendu dire que le président se trompait. Tout le monde semble considérer que son choix est le bon, même lorsque la personne choisie fait des allers et retours, ce qui s'est produit voilà quelques mois dans une grande entreprise cotée dans le CAC 40.
Bref, c'est la vie, monsieur Badinter ! Dans la vie, les responsables choisissent un jour leur successeur. En tout cas, dans le monde des affaires, c'est extrêmement courant, et dans le monde des affaires patrimoniales, ce n'est pas courant, c'est élémentaire ! Au demeurant, si jamais l'auteur se trompait, le projet de loi prévoit de renvoyer l'affaire devant le juge.
Quant aux enfants mineurs ou handicapés, monsieur Badinter, vous vous adressez à la tutelle, et c'est justement ce que je ne veux pas ! En effet, vous savez très bien que, dans le cadre de la tutelle, les juges d'instance - les pauvres ! - sont quelquefois appelés à gérer des patrimoines considérables, alors qu'ils n'ont ni la formation ni la compétence pour ce faire. Ce problème devrait d'ailleurs être réglé par un projet de loi que j'aimerais défendre devant vous, le plus vite possible, afin que cette gestion sous tutelle puisse être confiée à des gens qui soient formés.
Je rappelle le chiffre qui a été donné tout à l'heure : 450 000 chefs d'entreprise devront trouver un successeur dans les années qui viennent. Il est donc indispensable d'adopter ce texte sur le mandat à effet posthume, grâce auquel le futur de cujus pourra choisir un mandataire. Je prends surtout l'exemple de l'entreprise, mais ce dispositif peut valoir pour un certain nombre de patrimoines importants.
Le nouveau mandat à effet posthume, qui ne comporte aucun risque, ne présente que des avantages. C'est dire à quel point j'appelle le Sénat à adopter la proposition du Gouvernement. Au moment où un certain nombre d'amendements vont être présentés, je voulais souligner la philosophie du texte, pour bien rappeler au Sénat qu'il s'agit d'une solution bien réfléchie et moderne, qui va répondre à des situations nombreuses dans les mois et les années à venir.