a tout d'abord indiqué qu'à l'approche de la préparation d'une nouvelle loi de programmation militaire, qui serait examinée par le Parlement en 2008, il lui avait paru utile d'étudier dès à présent les principales questions soulevées par les perspectives à venir en matière d'équipements militaires, d'autant plus que le Président de la République avait souhaité engager une réflexion stratégique, préalable à la rédaction d'un nouveau Livre blanc sur la défense.
Il a précisé qu'il dresserait une rapide analyse de l'état d'avancement de notre politique d'équipement militaire, avant d'identifier quelques-unes des questions qui pourront se poser lors de cette « revue stratégique » et, enfin, de suggérer quelques pistes de réflexion.
S'agissant de l'avancement de la réalisation des équipements, les données pour 2006 confirment que la loi de programmation bénéficie d'une exécution financière extrêmement satisfaisante. Sur quatre années, les crédits votés ont été conformes à la programmation et les annulations très limitées, l'enveloppe consommée étant au total très proche de celle prévue par la loi de programmation. L'écart constaté correspond pratiquement à des crédits disponibles, mais reportés, qui s'élevaient, début 2007, à 1,5 milliard d'euros, soit un glissement de l'ordre d'un mois sur la mise à disposition des ressources prévues.
Grâce à cette bonne mise en oeuvre financière, nos capacités militaires ont notablement progressé. Toutefois, le niveau de réalisation physique de la loi est moins élevé que son niveau de réalisation financière. Certains retards de livraison sont dus à des difficultés industrielles, alors que des décalages ont également été décidés pour des raisons financières. Si des dépassements de coûts ont pu être constatés sur certains programmes, le maintien en condition opérationnelle a bénéficié, semble-t-il, de dotations supérieures aux prévisions initiales. Cet effort a permis de restaurer une meilleure disponibilité. Enfin, le domaine des études-amont a lui aussi bénéficié d'une réévaluation.
En dépit du redressement opéré depuis 2002, les retards hérités du passé n'ont pas été rattrapés et continuent à peser sur les besoins financiers. L'équivalent d'une annuité de programmation a été perdu entre 1997 et 2002 et, pour revenir au niveau initial, il a fallu deux importantes « marches » en 2003 et 2004, si bien qu'au total, le déficit en ressources s'est prolongé sur une période de sept ans. Cela n'est pas sans conséquence sur la situation actuelle, qui voit la convergence de l'entrée en fabrication d'un grand nombre de matériels majeurs.
L'actuel comme le précédent ministre de la défense ont évoqué le décalage entre le niveau de ressources actuel et le montant théorique nécessaire à la réalisation complète du modèle d'armée dans les délais prévus. Les projections effectuées ne tiennent toutefois pas compte des arbitrages qui interviendront nécessairement entre certains des programmes d'équipement, du fait de redondances entre les besoins militaires couverts, ni des négociations de prix conduites par la DGA, ni des enseignements tirés des opérations qui conduisent régulièrement à revoir certains besoins.
Les besoins financiers des années à venir sont très largement déterminés par les commandes déjà passées. Selon les documents budgétaires, sur les programmes d'équipement, les paiements inéluctables postérieurs à 2008, qui s'étaleront sur plusieurs années, s'élèvent à 35 milliards d'euros, soit environ 3 ans et demi de paiements au niveau actuel.
A ces besoins s'ajoutent ceux qui pourraient résulter de commandes futures, intervenant à compter de cette année, qu'il s'agisse de la poursuite de programmes déjà lancés, comme le Rafale, ou du lancement de programmes nouveaux comme le successeur d'Helios II, les ravitailleurs multi-rôles (MRTT), le missile d'interception Meteor ou le second porte-avions.
Au regard du modèle d'armée qui avait été défini en 1996, le coût ou les délais de réalisation de certains programmes ont certainement pu être sous-évalués, d'autant plus que sont intervenues depuis lors des évolutions sur la nature du besoin ou les technologies. Toutefois, ce modèle avait été élaboré à une époque où le budget de la défense représentait 2 % du PIB en normes OTAN (hors pensions, hors activité non militaire de la gendarmerie), alors qu'il n'en représente plus que 1,7 % aujourd'hui. Si le niveau des ressources était resté constant par rapport au PIB, le budget de défense serait supérieur d'au moins 6 milliards d'euros par an à son niveau actuel et la question de l'avenir de nos équipements se poserait différemment.
Face à cette équation financière difficile, la poursuite de notre politique d'équipement devra être déterminée en tenant compte de deux paramètres :
- d'une part, le niveau des ambitions que souhaite se fixer notre pays au regard de l'environnement de sécurité actuel et, bien entendu, des moyens financiers qu'il est prêt à consacrer à son effort de défense ;
- d'autre part, l'évolution des besoins militaires, telle qu'elle ressort des engagements récents et des évolutions du contexte géo-stratégique.
a ainsi souligné tout l'intérêt du lancement d'une réflexion stratégique, qui doit permettre de mieux évaluer les enjeux pour les années à venir et de définir une nouvelle référence pour notre politique d'équipement à moyen terme.
Dans ce cadre, un certain nombre de questions apparaissent pouvoir d'ores et déjà être soulevées.
S'agissant des méthodes de planification et de programmation, l'utilité d'un nouveau Livre blanc est avérée pour donner à notre politique de défense des fondements actualisés, et donc une légitimité plus forte. Il conviendra de s'interroger sur la notion de modèle, qui a présenté une utilité certaine pour fixer une ligne stratégique et capacitaire, mais qui ne laisse peut-être pas assez la souplesse et les marges de manoeuvre nécessaires face à l'évolution du contexte, notamment des technologies et des menaces. Sans doute pourrait-on se référer à des objectifs capacitaires, sur les plans opérationnel et technologique, plus qu'à une liste détaillée et quantifiée d'équipements. De même, les lois de programmation devraient mettre davantage en évidence les contrats opérationnels fixés aux forces armées et permettre une révision à mi-parcours tous les trois ans, afin d'éviter le manque de visibilité habituel en fin de période.
Le Livre blanc devra également définir le niveau d'ambition de notre pays et sa stratégie de défense. A ce titre, il y aurait lieu de répondre à quatre types de questions.
Tout d'abord, comment évoluent les besoins militaires ? Il faudra tenir compte du caractère désormais souvent plus lointain des théâtres d'engagement et s'interroger sur l'équilibre entre les différentes missions des armées ainsi qu'entre les capacités de combat de haute intensité et celles requises pour les missions de stabilisation qui, au demeurant, deviennent plus exigeantes du fait des stratégies asymétriques.
Une deuxième série de questions porte sur les parts respectives d'autonomie et de coopération dans notre stratégie de défense. Certains domaines, comme la dissuasion, exigent le maintien d'un certain niveau d'autonomie nationale alors que d'autres peuvent se prêter à un partage capacitaire, dont la réalisation reste toutefois subordonnée à l'intérêt de nos partenaires européens et au niveau de leurs budgets de défense.
Le Livre blanc devra clarifier le niveau de nos ambitions opérationnelles. Le dimensionnement de notre outil militaire, en hommes et en équipements, est conditionné par des contrats opérationnels précis, qui n'ont de justification qu'au regard des ambitions politiques qui les sous-tendent. Il conviendra donc de déterminer si ce niveau d'ambitions reste pertinent, d'évaluer les conséquences d'éventuelles révisions et d'examiner dans quelle mesure les évolutions intervenues ces dernières années à l'OTAN et dans la PESD peuvent conduire à l'ajuster.
Enfin, la réflexion stratégique ne pourra pas se permettre d'ignorer les enjeux industriels et technologiques. L'existence d'une industrie de défense compétitive et au meilleur niveau technologique, désormais largement européanisée, est un élément de notre stratégie de défense. Il s'agira notamment d'identifier les domaines cruciaux pour le maintien des compétences et d'examiner dans quelle mesure la politique d'équipement permet la pérennité de l'outil industriel, en visant bien entendu une dimension européenne.
Sans anticiper sur les conclusions de ce futur Livre blanc, M. Serge Vinçon, président, a avancé des éléments d'orientation et des axes de réflexion.
Tout d'abord, dans un monde qui n'est pas devenu plus sûr et où les capacités militaires de la France sont sollicitées sur de multiples théâtres, l'effort de défense doit être renforcé. Mesuré au PIB, il ne s'établit aujourd'hui qu'à 1,7 %, en retrait sur l'objectif de 2 %, dont la pertinence est largement admise tant pour la France que pour l'Europe dans son ensemble. Cet objectif est situé environ 6 milliards d'euros au-dessus de notre budget d'aujourd'hui. On ne peut se projeter à moyen terme en s'en tenant au niveau actuel, même s'il faut bien entendu être réaliste sur le rythme et le niveau d'une remontée.
Deuxièmement, pour l'avenir, certaines lignes de force apparaissent dans les capacités prioritaires.
L'analyse approfondie de notre politique de dissuasion à laquelle s'est livrée la commission en 2006 a montré la pertinence de notre posture actuelle, fondée sur la stricte suffisance et sur des moyens plus flexibles, et donc plus crédibles face aux nouvelles menaces. L'intérêt de la composante aérienne a été souligné. Pour cette composante, l'essentiel de l'investissement a été engagé. Sa suppression susciterait peu d'économies immédiates, mais priverait la France d'un volet appréciable de sa capacité de dissuasion, notamment vis-à-vis des puissances régionales. A l'horizon de la prochaine loi de programmation, le principe même de ces deux composantes ne devra pas être remis en cause.
Le domaine de la maîtrise de l'information méritera une attention soutenue. En matière spatiale, il faudra consolider la coopération européenne autour des satellites d'observation et chercher à développer des capacités sur lesquelles l'Europe est aujourd'hui absente : l'écoute électronique, l'alerte sur les tirs de missiles balistiques, la surveillance de l'espace. La France devra jouer un rôle d'entraînement. Nos capacités en drones devront être renforcées d'ici à l'aboutissement, désormais plus lointain, de la coopération engagée avec le projet Euromale désormais réorienté.
La restauration de notre capacité de projection et de mobilité, avec notamment l'avion A400M et l'hélicoptère NH90, les armements de précision, le VBCI, qui constituera le blindé principal des forces terrestres, ainsi que la protection des forces en opérations devront aussi figurer parmi les priorités de la future loi.
S'agissant du second porte-avions, de nombreux éléments militent pour sa réalisation, notamment celui de la permanence qui donnerait tout leur sens aux investissements déjà réalisés pour le Charles-de-Gaulle, son groupe aérien et les bâtiments d'accompagnement. Les avantages de la permanence sont à mettre en rapport avec les solutions alternatives, qui consistent à négocier avec des pays tiers des autorisations de stationnement et, une fois celles-ci obtenues, à y déployer des avions de combat, comme actuellement au Tadjikistan pour les opérations en Afghanistan. La coopération lancée en 2006 avec les Britanniques a progressé et ceux-ci estiment que le coût de leurs deux bâtiments s'élèverait à 5,8 milliards d'euros sans coopération avec la France, mais pourrait revenir à 5,3 milliards d'euros en cas de coopération, soit une économie d'environ 200 à 250 millions d'euros par bâtiment. Le nouveau gouvernement britannique n'a pas encore arrêté sa position sur le lancement du programme et a entrepris une « revue » globale du financement du ministère de la défense, dont les conclusions sont attendues pour l'automne.
Les décisions que prendront les autorités britanniques seront bien entendu déterminantes pour la France. Pour le budget d'équipement français, le lancement de la construction d'un second porte-avions représenterait une annuité de l'ordre de 500 millions d'euros sur une bonne partie de la future loi de programmation.
La question du second porte-avions offre une bonne illustration de la problématique plus générale du niveau auquel la France souhaite fixer son effort de défense. Dans le cadre du simple maintien des budgets actuels, le lancement du second porte-avions conduirait à affecter la réalisation d'autres programmes essentiels. Le lancement du projet mérite donc d'être lié à la mise en place de ressources supplémentaires.
Enfin, l'amélioration de l'efficacité de l'outil de défense constitue une exigence indissociable d'un effort d'équipement soutenu. Le ministère de la défense et les armées se sont profondément transformés depuis 10 ans avec la diminution du format, le renforcement des structures interarmées et l'externalisation. Il sera cependant indispensable d'engager une nouvelle étape de restructurations. Les implantations de la défense sur le territoire sont aujourd'hui trop dispersées. Sans doute peut-on envisager, pour l'armée de terre, des unités de taille supérieure, mais en nombre moindre, pour diminuer le poids des fonctions d'organisation. Sur une même région, le soutien et l'administration des unités des différentes armées pourraient être regroupés et unifiés. Les structures de commandement territorial, par exemple les régions militaires de l'armée de terre, méritent d'être allégées et revues avec, pourquoi pas, une structure territoriale commune aux trois armées. Ces restructurations ne devront pas se limiter aux seules armées, mais toucher l'ensemble des structures du ministère de la défense.
Les réformes engagées dans le domaine de la maintenance devront être poursuivies, par exemple pour la gestion des parcs de matériels dans l'armée de terre. La maintenance est également l'un des domaines où l'externalisation peut être amplifiée, avec un recours accru aux prestations industrielles définies dans le cadre de contrats globaux et d'engagements de performance. Pour les matériels réalisés en coopération, elle doit être organisée au plan européen, au même titre que la formation.
Il faudra également s'interroger sur le coût de notre dispositif hors métropole, dans les départements et territoires d'outre-mer ou à l'étranger.
Des marges de progression dans l'organisation de notre outil de défense méritent d'être explorées, même si elles ne peuvent être mises en oeuvre que progressivement avec, parfois, des coûts immédiats importants avant que les économies ne se traduisent dans les faits.