C'est avec stupeur et consternation que nous avons appris la mort de notre collègue Pierre-Yvon Trémel, sénateur des Côtes-d'Armor, survenue le 29 juin dernier.
Sa disparition brutale nous a causé à tous, dans cette assemblée, un véritable choc : il était devenu en quelques années un collègue apprécié et estimé de chacun d'entre nous.
Ce fut aussi, bien sûr, un choc pour les habitants de sa commune de Cavan, dont il était depuis 1971 le maire respecté et aimé, ainsi que dans les différentes sphères de la vie politique, associative, culturelle et sportive des Côtes-d'Armor, où il bénéficiait d'une considération à la mesure de ses multiples engagements dans la vie publique depuis plus de trente ans.
C'est au soir d'une marche sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle que notre collègue a trouvé la mort. Son coeur était la seule fragilité qu'on lui connaissait.
Toute sa vie, Pierre-Yvon Trémel a fait preuve d'une énergie peu commune.
Pierre-Yvon Trémel était né à Cavan le 9 août 1946. Il était le fils d'un cordonnier, qui était aussi le sacristain du village. Notre collègue poursuivit avec succès et application ses études primaires, secondaires, puis supérieures, à l'issue desquelles il obtint une licence en droit. Il embrassera aussitôt la carrière de professeur d'économie au lycée Notre-Dame de Guingamp, où il exercera de 1972 à 1988, entouré de l'estime de ses collègues et de l'attachement de ses élèves.
Ses qualités de coeur, d'écoute et de respect des autres, mais aussi sa force de travail, allaient très vite être reconnues dans la sphère de la vie publique puisque, au moment même où il entrait dans la vie active, à peine âgé de vingt-cinq ans, Pierre-Yvon Trémel se présentait aux élections municipales dans son village natal. Ce mandat initial lui sera constamment renouvelé jusqu'à sa mort.
Ses qualités humaines, là encore, feront merveille. Jeune professeur de l'enseignement privé, aux convictions catholiques affirmées et à l'engagement socialiste sans faille, notre collègue montrera avec intelligence et force que l'on peut avoir des engagements sans concession tout en étant apprécié du plus grand nombre, au-delà même des lignes de partage politiques et philosophiques traditionnelles.
Fort logiquement, ses qualités et son sens du dévouement pour les autres conduisirent Pierre-Yvon Trémel à poursuivre une carrière politique.
Il devient ainsi, en 1978, conseiller général du canton de La Roche-Derrien. Il n'abandonnera ce mandat - pour ménager sa santé - qu'il y a deux ans.
Proche de Charles Josselin, il sera élu premier vice-président du conseil général et mettra en place avec lui la décentralisation dans son département. Il contribuera ainsi activement à porter la collectivité départementale des Côtes-d'Armor à un niveau d'influence dont l'élu municipal qu'il était viscéralement connaissait tout le prix.
La confiance de ses pairs allait l'amener à briguer ultérieurement plusieurs autres mandats, et non des moindres : conseiller régional en 1986, il fut élu, en 1988, député de la cinquième circonscription des Côtes-d'Armor, dans l'arrondissement de Lannion-Paimpol, un mandat qu'il exercera jusqu'en 1993. Il ne se représentera pas aux législatives de 1997, préférant attendre l'année suivante pour rejoindre l'hémicycle du Palais du Luxembourg où l'élu local confirmé qu'il était devenu avait toute sa place.
Élu dès le premier tour, il s'inscrit aussitôt à la commission des affaires économiques. Il en sera un membre assidu et écouté.
La curiosité insatiable de cet homme ouvert sur le monde l'amenait à s'intéresser à un large spectre de domaines, comme en témoignent ses initiatives et ses interventions tout au long de ces huit dernières années.
Pierre-Yvon Trémel reflétait ainsi les préoccupations d'un élu aguerri, à l'écoute de son époque et de ses concitoyens, toujours soucieux de chercher, et de trouver, la solution adaptée, dans cet esprit consensuel qui faisait son charme, mais aussi sa force.
C'est ainsi qu'il est intervenu, au mois de février dernier, sur le débat relatif à la couverture du territoire par la téléphonie mobile et en haut débit et, au mois de mars, sur les modalités de confinement des organismes génétiquement modifiés.
Membre de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques, il participa aussi aux travaux de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi de programme pour la recherche.
Pierre-Yvon Trémel associait avec harmonie et efficacité sa vie d'élu de la nation à son action locale.
L'élu municipal qu'il resta jusqu'à la fin de sa vie porta bien haut la réputation de sa commune, passée en quelques années, et sans heurts, de 850 à 1 400 habitants.
Au nombre des réalisations multiples dont il fut l'auteur, figure la maison de la culture bretonne, pour laquelle il avait tant fait. Elle va être inaugurée sans lui, mais elle constituera le témoignage pérenne d'un homme chez qui la culture occupait une place primordiale.
Pierre-Yvon Trémel avait un attachement très fort à sa région et, en particulier, à l'un des fleurons de son patrimoine : la langue bretonne. Dans les années soixante-dix, il avait créé une association régionale des maires bretonnants. Lui-même parlait couramment cette belle langue, qui avait bercé sa jeunesse heureuse. Il avait apporté un soutien constant aux différents systèmes scolaires et, notamment, à l'enseignement de la langue bretonne. D'ailleurs, la page d'accueil de son site Internet était bilingue : en français et en breton.
Son attachement à son terroir ne se bornait pas à sa commune natale.
Très tôt, il avait compris l'essor que pouvaient susciter les communautés de communes. Il avait été parmi les fondateurs de la communauté de communes du Centre Trégor, où il avait apporté, outre sa connaissance des dossiers, son désir de trouver les points de convergence pour réaliser et soutenir des projets.
Il avait la volonté de mettre en place des structures et infrastructures permettant à la population de prendre légitimement sa part au progrès.
Il a aussi fait preuve dans son action d'une vision à long terme de l'aménagement de ce territoire, assurant l'avenir par-delà sa vie.
Au-delà des frontières de son territoire d'élection, la ville qui en était le plus proche, Guingamp, put toujours compter sur son appui. Pierre-Yvon Trémel n'est pas pour rien dans l'essor du célèbre club de football de Guingamp, qui allait connaître une notoriété nationale.
Dans la multitude des témoignages qui se sont exprimés à l'annonce de son décès, c'est l'humaniste ouvert à ses semblables et à l'éternité qui revient le plus souvent. Il est vrai que Pierre-Yvon Trémel en fut une incarnation à la fois fougueuse et affable.
Celui qui déclarait souvent : « le combat pour des idées oui, mais dans le respect des hommes » était aussi modeste qu'actif. À son départ de la vice-présidence du conseil général des Côtes-d'Armor, voilà deux ans, il disait de sa voix grave et chaleureuse : « Je crois avoir un peu donné. Je suis sûr d'avoir beaucoup reçu. »
Le Sénat de la République peut, par ma voix, lui rendre cet hommage : Pierre-Yvon Trémel a beaucoup apporté à Cavan, au Trégor, aux Côtes-d'Armor et aussi à notre institution, le Sénat. C'est pourquoi nous ferons longtemps mémoire de ce serviteur exemplaire de la République.
À son épouse Maryvonne, sa fidèle compagne de trente-six années d'une union sans faille, à ses quatre enfants, Gwénolé, Morgan, Tudgual et Briag - dont les prénoms sont à eux seuls un gage de son affection pour la Bretagne -, à tous ses proches, j'exprime, au nom du Sénat tout entier, notre sympathie profondément attristée et nos très sincères condoléances.
Aux membres du groupe socialiste, si cruellement éprouvé au cours de ces derniers mois, je tiens à redire aujourd'hui toute la part que le Sénat prend à leur deuil.
J'assure enfin ses collègues de la commission des affaires économiques, qui perdent en Pierre-Yvon Trémel un membre éminent, de notre solidarité et de notre compassion.
La voix de Pierre-Yvon Trémel s'est éteinte. Mais l'écho chaleureux et rempli d'humanité qu'elle renvoyait résonnera longtemps encore dans notre hémicycle.
Je vous propose maintenant, mes chers collègues, d'observer une minute de silence, en mémoire de notre collègue.