Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est placé sous le signe du respect de la parole donnée par l'Europe, sous l'impulsion forte de la France, qui a toujours été l'avocat - et je m'en réjouis ! - tant de la Roumanie que de la Bulgarie tout au long de laborieuses négociations.
Cette parole, c'est un engagement pris il y a plus de treize ans lorsque la perspective a été ouverte aux pays d'Europe centrale et orientale de rejoindre le processus de construction européenne. Il s'agissait pour l'Europe de consolider l'ancrage démocratique de ces États qui venaient de recouvrer leur pleine souveraineté, de leur offrir de participer à leur tour à une communauté de valeurs et d'élargir l'espace où se concrétise le projet des pères fondateurs de l'Europe : la paix, construite sur le travail en commun et le développement des échanges.
Cet engagement, c'est aussi celui que nous avons pris avec nos partenaires européens envers la Bulgarie et la Roumanie en décembre 2002 de fixer l'objectif d'une adhésion en 2007 alors que les négociations avec les huit autres pays d'Europe centrale et orientale étaient closes.
La fidélité à la parole donnée et l'amitié n'excluent pas la vigilance ni même l'exigence. La Commission européenne a été ainsi chargée de vérifier que les nouveaux membres pourraient supporter le « choc » de l'entrée dans un espace de libre circulation et que, dans un espace qui repose sur la confiance réciproque, les règles seraient bien les mêmes pour tous.
Au cours des dernières années, sous le regard attentif de la Commission, la Bulgarie et la Roumanie ont, il faut le souligner, accompli un travail d'adaptation considérable, reprenant à leur compte l'ensemble de l'acquis communautaire, se prêtant à des évaluations régulières - sans doute difficiles par moment -, intégrant parfois des notions jusqu'alors étrangères à leur tradition juridique au risque, comme me l'ont indiqué certains parlementaires, d'en affecter l'équilibre.
Avec cette mise en ordre de marche, les deux pays se sont tournés vers l'Europe. Les règles juridiques ont été adaptées, les échanges commerciaux se sont réorientés, des visas ont dû être imposés à des États tiers.
L'Union européenne a accompagné ce processus, non seulement financièrement, avec des programmes de préadhésion, mais aussi humainement, avec le concours des États membres, en particulier de la France.
Au Sénat, les excellents travaux de la délégation pour l'Union européenne, conduits par MM. Aymeri de Montesquiou et André Ferrand, nous ont permis de suivre l'évolution des préparatifs bulgares et roumains durant plusieurs années, et des rapports ont jalonné ces observations.
Les deux groupes d'amitié, présidés respectivement par M. Jean-François Picheral et par M. Henri Revol, se sont rendus sur place. J'ai pu moi-même y participer. En outre, en ma qualité de rapporteur, et j'en remercie le président de la commission des affaires étrangères, j'ai effectué un déplacement dans les deux pays à la mi-septembre, et j'y ai été reçu très chaleureusement. Tous, nous avons pu prendre la mesure à la fois de l'ampleur de la tâche et des résultats obtenus.
Le traité d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie est très semblable à celui qui a permis l'entrée des dix nouveaux États membres en 2004. La totalité de l'acquis communautaire s'appliquera aux deux pays dès leur adhésion, mais avec quelques aménagements. Ainsi, la participation à l'euro et à l'espace Schengen ne pourront intervenir qu'après un certain délai. Les actuels États membres pourront décider d'apporter des restrictions à la libre circulation des travailleurs tandis qu'un certain nombre de périodes transitoires ont été accordées par l'Union européenne aux deux nouveaux entrants dans des domaines qui, à leurs yeux, nécessitent un temps d'adaptation plus important.
Il n'est pas inutile de préciser ici que la démographie est en baisse tant en Roumanie qu'en Bulgarie et que le développement économique y est en pleine expansion. L'immigration s'étant déjà produite, notamment vers l'Espagne et l'Italie, il ne faut donc pas craindre une vague migratoire importante. Il fallait souligner ce point !
Sur la période 2007-2009, un plafond de 16 milliards d'euros de crédits d'engagement a été fixé pour les deux pays, qui devraient recevoir 42 milliards d'euros dans le cadre des perspectives financières 2007-2013.
Les deux pays bénéficieront de manière progressive des aides directes au titre de la politique agricole commune : 25 % en 2007, 100 % en 2016. Le traité d'adhésion leur donne la possibilité de compléter ces montants par des aides nationales.
Les deux pays seront logiquement bénéficiaires des aides régionales et de cohésion, dont le montant reste cependant plafonné à 2, 4 % du PIB en 2004 et à 4 % - soit les conditions générales - en 2009.
Sur le plan institutionnel, Bulgarie et Roumanie auront chacune un commissaire, le Parlement européen comptera dix-huit députés bulgares et trente-cinq députés roumains, et les deux États disposeront respectivement au Conseil de 10 et de 14 voix sur 345. En outre, au comité des régions d'Europe, la Bulgarie comptera douze membres et la Roumanie aura quinze représentants.
Ces dispositions ont prévalu pour l'élargissement de 2004 ainsi que les trois clauses de sauvegarde prévues par le traité d'adhésion, qui permettent, dans les trois ans qui suivent l'adhésion, de prendre des mesures en cas de perturbation de la situation économique d'un État membre - qu'il soit ancien ou nouveau - ou lorsque l'acquis n'est pas correctement appliqué et risque d'affecter le fonctionnement du marché intérieur ou la coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.
Dans son rapport de suivi du 26 septembre dernier, la Commission européenne n'a pas recommandé le recours à un mécanisme propre au traité d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie permettant de reporter l'adhésion d'un an. Cette proposition est heureuse. C'est en effet la possibilité du report de l'adhésion qui avait permis la clôture des négociations.
Chaque rapport de suivi de la Commission européenne a souligné des avancées et une tendance positive tout en relevant, sans complaisance, les réformes à poursuivre, en particulier dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.
Cette épée de Damoclès au-dessus de ces deux pays depuis la clôture technique des négociations les a inquiétés, mais elle a constitué un aiguillon considérable. Le volontarisme politique n'a pas fait défaut à ces deux pays, y compris pendant les mois d'été, et l'essentiel du travail normatif a été accompli.
Il s'agit désormais, comme l'ont souligné nos interlocuteurs roumains et bulgares, de marquer la détermination des autorités à maintenir le cap de la lutte contre la corruption, le crime organisé, le blanchiment d'argent, afin d'enraciner ces réformes dans la pratique et de les rendre irréversibles. Telle est la volonté de ces pays et nous la partageons.
Les conditions d'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie sont marquées par une nouveauté : dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, des mesures d'accompagnement viseront à aider les deux pays à se mettre en pleine conformité avec l'acquis communautaire.
La Commission européenne a défini des objectifs de référence - six pour la Bulgarie, quatre pour la Roumanie - et fera rapport sur les avancées réalisées, en conservant la possibilité d'activer, le cas échéant, comme le prévoit le traité d'adhésion, la clause de sauvegarde.
En matière agricole, de formidables efforts ont été réalisés par les deux ministres de l'agriculture roumain et bulgare - je les ai rencontrés tous les deux et ils sont bien conscients de la nécessité d'aller jusqu'au bout - pour que les mécanismes de gestion des aides soient opérationnels. Si leurs efforts considérables ne permettaient pas dans l'immédiat l'application rigoureuse de ces mécanismes, la Commission européenne a prévu la possibilité de moduler le délai pendant lequel les aides seraient versées, sous contrôle.
La Commission européenne se réserve donc la possibilité de retenir éventuellement une partie de ces sommes. Néanmoins, j'ai pu constater combien les ministères de l'agriculture de ces deux pays ont mis en place les réponses nécessaires afin que tout se déroule dans les meilleures conditions.
Des garanties ont donc été prises pour accueillir nos partenaires bulgare et roumain comme membres à part entière de l'Union européenne : ce n'est pas leur faire insulte, c'est au contraire répondre à leur volonté de réussir l'intégration, dont la commission des affaires étrangère du Sénat se félicite.
Pour autant, sans rapport avec le degré de préparation des deux candidats, il est certain que le climat qui préside à leur entrée aurait pu être plus favorable.
Dix nouveaux membres ont rejoint l'Union européenne en 2004, à une période où la perspective d'une réforme institutionnelle était proche. Après le « non » français et néerlandais au traité constitutionnel - et dont les Roumains ou les Bulgares ne peuvent être rendus responsables ! -, le dilemme entre élargissement et approfondissement, que nous avions cru un temps pouvoir dépasser, se rappelle à nous vigoureusement.
Certes, l'Union européenne ne s'est pas effondrée au lendemain du « non » français, mais elle peine à retrouver l'élan dont elle a besoin pour faire face aux nombreux défis qu'elle doit relever : promouvoir ses valeurs de dialogue et de primauté du droit ; tenir son rang dans la mondialisation, avec, à ses portes, des espaces de pauvreté et de conflits ; être à même d'identifier ses intérêts propres, de les formaliser et de les faire valoir sur la scène internationale. La Roumanie et la Bulgarie peuvent nous aider à retrouver cet élan et cet enthousiasme.
Cette Europe-là a commencé de naître dans les douleurs de la guerre des Balkans, au coeur du continent européen. C'est alors que nous avons réalisé que le sens même du projet européen serait en question si l'Europe ne se donnait pas la capacité d'agir. L'Afrique et le Moyen-Orient nous sont aussi proches, et nous laissent aussi peu de choix.
Voisins des Balkans occidentaux, dont les drames se poursuivent et dont la stabilité est loin d'être assurée, la Bulgarie et la Roumanie réalisent pleinement ce qu'un espace de paix et de prospérité signifie. Ces deux pays sont également conscients que cette paix dépend du renforcement des capacités de l'Union européenne.
Le déplacement que j'ai effectué au mois de septembre dernier avait autant pour objet d'observer les préparatifs de l'adhésion que d'apprécier la vision de l'Europe que les Bulgares et les Roumains souhaitent privilégier.
J'ai pu constater que l'équilibre Nord-Sud, le projet euro-méditerranéen et la politique de voisinage rencontraient un écho particulier dans ces pays qui seront la nouvelle frontière extérieure de l'Union européenne et qui ont une position forte en mer Noire ainsi que des liens privilégiés avec la mer Égée et la Méditerranée.
S'ils entendent assumer pleinement leur rôle au sein de l'Europe, ces pays souhaitent également jeter des ponts et nouer des coopérations avec les voisins de l'Europe. Je crois sincèrement que, sur ce terrain, ils apporteront beaucoup à l'Union européenne et qu'ils nous aideront à retrouver une dynamique, servie par des institutions plus efficaces.
La France trouvera dans ces nouveaux partenaires fortement francophones - Mme le ministre l'a très justement rappelé et le dernier sommet de Bucarest vient d'en témoigner - deux États attachés au principe de solidarité et aux politiques communes. Le développement rural et la politique agricole commune y trouveront, j'en suis sûr, des soutiens résolus. Je pense sincèrement que, sur nombre de sujets, nous trouverons des alliés dans la Bulgarie et la Roumanie.
Après avoir concentré nos efforts sur l'adhésion, désormais très proche, il reste à réussir l'intégration de nos deux nouveaux partenaires et à encourager leur convergence rapide au sein de l'Union européenne afin de ne pas décevoir les attentes, très fortes, des populations. Je crois qu'un consensus se fait jour sur la nécessité d'instaurer un temps de consolidation pour l'Union européenne, comme Mme le ministre l'a souligné voilà quelques instants.
Le processus de ratification du traité d'adhésion est désormais très avancé au sein de l'Union européenne, vingt-deux États ayant déjà achevé leur procédure. Après la ratification française, l'Allemagne et le Danemark devront clore le cycle de ratification.
Le projet de loi a été adopté par l'Assemblée nationale au mois de juin dernier. Il est examiné en séance plénière ici même au lendemain du dernier rapport de la Commission européenne, non parce que nous avons voulu ralentir les débats, mais parce que nous avons souhaité respecter davantage les travaux de la Commission. Quoi qu'il en soit, l'examen de ce texte aujourd'hui par le Sénat ouvre la voie à la ratification française.
Aussi la commission des affaires étrangères vous invite-t-elle, mes chers collègues, à approuver le projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne. C'est avec beaucoup d'enthousiasme et de fierté que j'exprime cette demande en tant que rapporteur !