Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, meschers collègues, nous sommes aujourd'hui invités à autoriser la ratification du traité d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union européenne. Nous nous préparons ainsi à clore une étape historique de la réconciliation européenne, engagée en 1993 à Copenhague.
Il faut rappeler que cette adhésion roumaine et bulgare s'inscrit pleinement dans la cinquième vague d'élargissement, qui comprenait également les autres États d'Europe centrale et orientale ayant intégré l'Union européenne le 1er mai 2004. La Bulgarie et la Roumanie avaient été alors distinguées de leurs voisins en raison des progrès complémentaires que ces deux pays devaient impérativement réaliser dans certains domaines essentiels, à l'égard des critères requis.
Notre rapporteur, M. Jacques Blanc, a détaillé avec beaucoup de clarté et d'enthousiasme le cheminement courageux et difficile que ces deux pays ont suivi depuis l'ouverture des négociations, et qu'ils devront d'ailleurs encore poursuivre dans certains secteurs, comme l'a rappelé la Commission européenne dans son dernier rapport d'évaluation en date du 26 septembre dernier.
Les exigences posées par l'Union européenne étaient légitimes. Elles auront au total été sensiblement supérieures à ce qui fut demandé aux autres nouveaux États membres.
Le mécanisme du report possible de la date d'adhésion sur le fondement des évaluations de la Commission européenne illustrait cette singulière vigilance dont a été entouré l'ensemble du processus. Le « système de surveillance permanente » qui sera bientôt mis en place en est un autre exemple.
Comme notre rapporteur l'a indiqué, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous invite bien sûr à adopter le présent projet de loi, ce qui conduira la Bulgarie et la Roumanie à nous rejoindre dès le 1er janvier prochain. Il n'est pas indifférent de rappeler - vous l'avez d'ailleurs fait, madame la ministre - que ces pays enrichiront aussi l'Union européenne d'une tradition francophone ancienne et vivante, et nous devrons les aider à la préserver.
Mais au moment où se clôt cette cinquième phase d'élargissement, celle des retrouvailles des deux Europe séparées par l'histoire, l'Union européenne, c'est le moins que l'on puisse dire, traverse une crise profonde.
Mme la ministre déléguée aux affaires européennes, lors de la dernière conférence des ambassadeurs, le 29 août dernier, nous a, avec beaucoup de clarté et de réalisme, brossé un tableau lucide de la situation actuelle de l'Union.
Elle relevait notamment, à juste titre, que l'élargissement modifie en profondeur la nature même du projet européen et qu'il importait désormais de tirer les conséquences institutionnelles, financières et politiques que ce changement implique dans le fonctionnement et l'ambition futurs de l'Union.
Nous n'oublions pas qu'un nouveau cycle a déjà été lancé à l'intention des Balkans. Là encore, des engagements ont été pris de part et d'autre. La promesse faite à ces pays d'une adhésion à l'Union est une garantie pour la réconciliation de peuples et de communautés qui, il y a peu encore, se livraient à une guerre féroce. Cette perspective est, pour eux, un aiguillon afin d'engager des réformes nécessaires et de développer de nouveaux comportements politiques, adaptés aux exigences des démocraties modernes.
Ces engagements devront être tenus, mais pour qu'ils prennent tout leur sens, pour que ces garanties mêmes soient solides et crédibles, l'Union doit se donner un calendrier prudent et elle doit prendre le temps du débat afin d'imaginer des solutions nouvelles pour résoudre ses difficultés.
Le concept de capacité d'assimilation que le Conseil européen du mois de juin dernier a intégré dans ses conclusions, sur proposition de la France, prend en compte un certain nombre de ces conditions préalables. Il s'articule autour de trois questions.
Premièrement, que voudrons-nous faire, à vingt-sept, de nos politiques communes et avec quels financements ?
Deuxièmement, que voudrons-nous faire, à vingt-sept, pour rénover notre architecture institutionnelle, sujet central où tout, ou presque, reste à reconstruire après l'échec du projet de traité institutionnel ? L'enjeu en est connu : comment donner à l'Union une véritable capacité de décision sur les sujets majeurs où elle est attendue par les Français et, en fait, par tous les peuples européens ? Au travers de quelles nouvelles règles de majorité qualifiée, de quels nouveaux équilibres entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen, cela se fera-t-il ?
Il reviendra à la présidence allemande, au prochain semestre, de lancer une nouvelle dynamique en ce domaine, qui pourrait s'étendre jusqu'à la présidence française à la fin de 2008, à l'issue de laquelle les décisions devront impérativement être prises.
Troisièmement, enfin, que pourrons-nous faire à vingt-sept pour relancer l'accompagnement démocratique de la démarche européenne, accompagnement que nos concitoyens ne perçoivent plus et qui portera en premier lieu sur les élargissements futurs, lesquels entraîneront d'ailleurs une nécessaire réflexion sur les frontières finales et sur l'identité même de l'Union européenne demain ?
Je souhaite pour ma part que notre prochaine campagne électorale ne fasse pas l'impasse sur ces divers enjeux, tant l'Europe conditionne la qualité de la vie quotidienne de chacun.
Cette réflexion sur la capacité des nations à assimiler les exigences de l'Union européenne n'est d'ailleurs pas à sens unique : elle concerne tout autant ses nouveaux membres.
Dans ces pays récemment entrés dans l'Union, la perspective de l'adhésion a nourri des attentes et des espoirs qui se sont souvent évanouis au contact de la réalité économique et sociale. Comme l'actualité récente l'a montré, il peut résulter de ces déceptions populaires une fragilité politique qui, s'agissant de démocraties encore jeunes, ne peut nous laisser indifférents.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en parachevant cette phase historique de l'élargissement, nous comblons un fossé ancien entre les deux parties d'une même Europe. Je crois qu'il faut désormais s'attacher à combler le fossé entre l'Union et les Européens eux-mêmes, entre ce qu'elle peut leur apporter et ce qu'ils en attendent. L'accomplissement espéré du rêve européen est sans doute à ce prix.