Intervention de Hubert Haenel

Réunion du 3 octobre 2006 à 16h15
Adhésion de la bulgarie et de la roumanie à l'union européenne — Adoption d'un projet de loi

Photo de Hubert HaenelHubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de regretter que l'examen par notre assemblée du présent projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne n'ait pas eu lieu plus tôt, c'est-à-dire dans la foulée de son adoption par l'Assemblée nationale, au mois de juin dernier.

Un des aspects du rôle de la délégation pour l'Union européenne est de suivre le processus d'élargissement. Dès le départ, nous avons voulu assurer un suivi personnalisé, se fondant sur l'idée selon laquelle chaque candidature devait être examinée selon ses mérites propres. Un sénateur a été désigné pour chaque pays, il est chargé de suivre les progrès qui y sont accomplis et doit s'y rendre régulièrement.

Nos collègues Aymeri de Montesquiou pour la Bulgarie et André Ferrand pour la Roumanie ont ainsi suivi, en essayant d'être aussi objectifs que possible, la marche vers l'adhésion des deux pays qui nous occupent aujourd'hui.

J'ai moi-même rencontré, à plusieurs reprises, des responsables de ces pays, et je saisis l'occasion de notre débat pour me réjouir de la qualité des contacts entretenus avec leurs ambassades à Paris.

Je souscris pleinement à la conclusion figurant dans l'excellent rapport de notre collègue Jacques Blanc : oui, le moment est venu de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie. Il est clair que des difficultés subsistent. Mais le rapprochement avec l'Union est suffisamment avancé pour que, désormais, les problèmes qui demeurent puissent être réglés dans le cadre même de l'Union.

Il serait injuste en effet d'être plus exigeant, aujourd'hui, envers la Bulgarie et la Roumanie que nous ne l'avons été, il y a trois ans, envers les dix États qui les ont précédées. Tous n'étaient pas prêts non plus à 100 % dans tous les domaines. D'ailleurs, nous ne l'étions pas nous-mêmes quand nous avons signé le traité de Rome, il y a bientôt cinquante ans ! Si l'on tient compte, d'une part, des progrès qui ont déjà été réalisés par la Bulgarie et la Roumanie et, d'autre part, des mesures d'accompagnement figurant dans l'accord d'adhésion, ce nouvel élargissement apparaît comme un pari raisonnable.

En effet, la précédente vague d'élargissement, qui a tant servi d'épouvantail dans le débat référendaire, est - on doit le dire et le répéter -d'ores et déjà un succès. Ces pays, appauvris par des décennies de communisme, sont clairement engagés dans un processus de rattrapage.

Par exemple, le PIB par habitant des pays baltes, qui représentait à peine le tiers de la moyenne européenne il y a quelques années, dépasse 50 % de cette moyenne aujourd'hui. Ainsi, ces trois pays qui avaient été sinistrés par l'occupation soviétique ont d'ores et déjà rejoint le niveau qui était celui du Portugal et de la Grèce au moment de leur adhésion. Et, contrairement à ce qui a été si souvent affirmé, le fondement de ce rattrapage n'est pas un insupportable dumping social. Par exemple, en Slovaquie, le salaire moyen a augmenté de 25 % en deux ans. Comme cela a toujours été observé dans les économies en rattrapage, les salaires accompagnent la croissance.

Indiscutablement positif pour les nouveaux pays membres, l'élargissement n'a pas eu les effets négatifs souvent annoncés sur les anciens États membres. Certes, le gain en termes de croissance est minime, en raison du faible poids économique des pays qui nous ont rejoints. Mais quiconque se déplace dans ces pays peut constater que les entreprises de l'Ouest, y compris les entreprises françaises, ont largement tiré profit de leur croissance. La dynamique de l'élargissement profite d'abord aux nouveaux membres, mais, globalement, elle profite aussi aux anciens. Tout laisse à penser que les mêmes tendances s'observeront pour la Bulgarie et la Roumanie.

L'adhésion de ces deux pays marque en même temps la fin d'un cycle. Elle met un terme au processus engagé en 1993, qui aura vu l'Union passer de douze à vingt-sept membres. À l'avenir, l'élargissement se présentera sous un jour différent et peut-être même totalement différent.

Va-t-il s'interrompre définitivement, comme certains le voudraient ou le laissent entendre ? Je ne le crois pas. Ce ne serait pas dans l'intérêt économique de l'Union, et ce ne serait pas non plus dans son intérêt politique. La perspective de l'adhésion est la grande arme de politique étrangère dont dispose l'Union. L'abandonner complètement serait renoncer à l'influence stabilisatrice que l'Europe exerce aujourd'hui sur son environnement proche. Cela ne veut pas dire que l'Union doit s'agrandir indéfiniment. Au contraire, il est nécessaire de mettre au point une formule d'association étroite qui soit, pour certains pays, une alternative crédible à l'adhésion.

Mais si, par exemple, l'Union revenait sur l'engagement qu'elle a pris à l'égard des pays des Balkans en reconnaissant leur vocation à l'adhésion, il est probable que la fragile stabilisation de cette zone serait aussitôt compromise. C'est l'espoir de l'adhésion, même à long terme, qui incite ces pays à se prêter à des compromis. Annoncer que la porte de l'Union est désormais fermée une fois pour toutes serait donc dangereux.

En réalité, on ne peut fixer par avance des frontières définitives à la construction européenne. Ces frontières ne peuvent être séparées de la nature du projet qui est poursuivi.

S'agit-il de l'« Europe-espace », qui se limite au grand marché, aux droits de l'homme et à la paix ? Nous pouvons avoir de cette Europe-là, c'est vrai, une conception très extensive. S'agit-il de l'« Europe-puissance », s'affirmant comme un acteur autonome intégré dans les relations internationales ? Dans ce cas, au contraire, il s'agit de former un groupe très soudé, partageant des objectifs politiques : à ce projet différent correspondent des frontières différentes. Peut-être y aura-t-il demain plusieurs cercles dans la construction européenne, et donc plusieurs frontières, correspondant à des degrés d'ambition et d'intégration différents sans d'ailleurs être contradictoires.

En tout état de cause, l'approche de l'élargissement ne pourra plus être tout à fait la même. Lorsque le Conseil européen de Copenhague, en juin 1993, avait défini les critères de l'élargissement, il avait mentionné la « capacité d'absorption » de l'Union - on peut aussi parler de « capacité d'assimilation » ou « d'intégration ». Pourtant, il faut bien reconnaître que, jusqu'à présent, ce critère n'a pas joué un grand rôle dans l'appréciation des candidatures ; certains semblent le découvrir alors qu'il faisait partie des critères de Copenhague.

Que signifie cette expression, qui, au demeurant n'est pas très élégante, de « capacité d'absorption » ? En clair, l'Union doit être prête à accueillir les pays candidats, que ce soit sur le plan économique, sur le plan budgétaire ou sur le plan institutionnel. L'Union ne doit accueillir de nouveaux membres - c'est le bon sens - que si sa viabilité n'est pas compromise par cet élargissement. C'est l'intérêt de l'Union, mais c'est aussi celui des pays candidats : à quoi bon adhérer à une Union qui ne fonctionnerait plus ?

Ce critère de la « capacité d'absorption » sera d'une importance capitale pour une Union de vingt-sept membres qui n'a pas réussi - jusqu'à présent - à se doter d'une Constitution.

J'ajouterai que l'Union doit être aussi capable politiquement d'accueillir de nouveaux membres, c'est-à-dire d'obtenir l'adhésion des citoyens pour cela. Il le faudra bien, d'ailleurs, puisque nous avons cru devoir inscrire dans notre Constitution que, après celle de la Croatie, toute nouvelle adhésion sera soumise à référendum.

En tout état de cause, il ne faudra pas refaire l'erreur qui a été commise pour la vague d'élargissement qui s'achève. Quand la décision de principe a été prise, en 1993, elle n'a pas été annoncée ni expliquée aux opinions publiques, et nous en avons bien vu les conséquences l'année dernière. Quand le processus a commencé à se concrétiser, les citoyens ont eu le sentiment d'être mis devant le fait accompli. Personne n'a véritablement assumé le choix de l'élargissement. Or il aurait fallu montrer que les craintes agitées à plaisir n'étaient pas fondées. On a laissé libre cours aux inquiétudes et, à mes yeux, cela a compté pour beaucoup dans l'échec du référendum.

La poursuite de l'élargissement devra se faire dans la clarté ; il faudra prendre le temps d'expliquer complètement les avantages et les inconvénients de chaque nouvelle adhésion envisagée. Ne laissons plus les rumeurs véhiculées sur Internet être la principale source d'information de nos concitoyens !

Oui, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous tournons, aujourd'hui, une page de l'histoire de la construction européenne. L'Europe a changé. Elle n'est plus celle des « pères fondateurs ». C'est aujourd'hui la tâche des vingt-sept pays membres, et peut-être d'abord celle de l'Allemagne et de la France, les ennemis d'hier, que de donner à l'Union le nouvel élan politique dont elle a besoin pour continuer sa route dans le monde d'aujourd'hui.

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