Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, près de cinquante ans après la signature, à Rome, entre les six pays membres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, des traités instaurant la Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique, nous sommes réunis aujourd'hui pour autoriser la ratification du traité relatif à l'adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne.
Ce cinquième cycle d'élargissement se clôt alors que la construction européenne est confrontée à une crise profonde, une crise existentielle, une crise de légitimité, mise en lumière par les « non » français et néerlandais.
La Commission européenne a confirmé l'adhésion à l'Union européenne de ces deux pays le 1er janvier 2007, assortie d'un « train de mesures d'accompagnement strictes ».
Les deux futurs membres resteront sous surveillance étroite de la Commission européenne dans plusieurs domaines. Renonçant à repousser l'adhésion d'un an comme le lui permettait le traité d'adhésion, la Commission a décidé, pour la première fois, de mettre en place un « système de surveillance permanente » des deux futurs membres, ce qui prouve certainement, madame la ministre déléguée, le degré de préparation que ces deux pays ont aujourd'hui atteint.
La Bulgarie et la Roumanie seront donc mises sous surveillance, et des sanctions, appelées « clauses de sauvegarde », seront appliquées au cas où les réformes que les deux pays doivent poursuivre ne permettraient pas de lever les difficultés.
La Commission européenne prévoit également d'exercer un contrôle en matière de sécurité alimentaire, de mise en oeuvre des programmes de subventions européennes et, sous plusieurs aspects, de justice et d'affaires intérieures.
Par exemple, une réduction d'un quart des subventions agricoles pourrait intervenir si les fonds européens étaient mal utilisés.
La clause de sauvegarde relative à la justice et aux affaires intérieures permettra, quant à elle, la suspension unilatérale des obligations des États membres actuels dans le domaine de la coopération judiciaire avec le pays en cause. L'application de ces clauses, possible pendant les trois années suivant la date d'adhésion, pourrait se traduire par une non-reconnaissance des décisions des tribunaux bulgares et roumains par les Vingt-Cinq ou par une non-application du mandat d'arrêt européen à ces deux pays.
En outre, pour garantir la sécurité alimentaire, la Commission a déjà décidé de maintenir l'embargo sur le porc en raison de la persistance de la peste porcine dans les deux pays.
Par ailleurs, le traité d'adhésion prévoit des dispositions transitoires, telles que la possibilité pour les États membres de restreindre la libre circulation des travailleurs des nouveaux États membres jusqu'à sept ans après l'adhésion, comme cela a été également prévu pour la main-d'oeuvre des dix pays entrés en 2004.
On peut mesurer l'efficacité de cette mesure lorsque l'on rappelle qu'au mois de juillet dernier la police italienne a procédé à la libération d'une centaine de Polonais réduits en esclavage dans le sud de l'Italie. Ces ressortissants de l'Union européenne travaillaient sans contrat, étaient victimes de privations, d'humiliations, de coups. Le procureur national antimafia, Piero Grasso, a même affirmé que « ce n'étaient pas des lieux de travail, mais de véritables camps de concentration ».
Ce nouvel élargissement pose avec force le problème des disparités économiques et sociales entre, d'une part, les anciens et, d'autre part, les nouveaux et futurs États membres. Éliminer ces inégalités constitue sans doute le défi le plus important pour l'Union européenne, pour qu'elle tienne sa promesse d'un avenir meilleur, comme vous l'avez dit, madame la ministre déléguée.
Or ce défi ne pourra être relevé que par la solidarité et la coopération sur la base de l'égalité des droits, et non pas dans les conditions actuelles, alors que la Banque centrale européenne et le Pacte de stabilité et de croissance déterminent la politique économique et sociale des États en dehors de tout contrôle démocratique.
Force est de constater que l'approche très étroite de la croissance économique et la rigidité excessive des accords institutionnels adoptés par l'Union européenne ont conduit à l'échec. La question aujourd'hui est de savoir si l'on veut asseoir la croissance européenne sur des fondements solides et agir en faveur de l'emploi et du bien-être des populations, ou bien si l'on souhaite s'enfermer dans le carcan libéral des politiques de la Banque centrale et du Pacte de stabilité et de croissance.
Depuis la chute du mur de Berlin, nous faisons le constat - sans aucune nostalgie du passé -, qu'en l'espace de dix-sept ans les pays d'Europe centrale et orientale ont connu une purge économique et sociale.
L'Union européenne a exigé d'énormes efforts de la part de leurs populations, qui ont absorbé les réformes imposées par l'économie libérale, tandis que les inégalités n'ont cessé de se creuser entre gagnants et perdants de la transition économique.
Dès lors, l'on ne peut s'étonner de la montée du populisme et de l'extrémisme en Pologne, en Slovaquie, en Tchéquie, ou encore en Hongrie.
Pourtant, cette situation déplorable n'a pas empêché la Commission européenne d'annoncer, le 19 septembre dernier, que « l'Europe est sur la bonne voie ».
Comment alors ne pas regretter que, pour accueillir ces deux nouveaux pays, les gouvernants des États membres ne se montrent pas à la hauteur de l'attente des peuples ? En effet, l'on ne perçoit aucune volonté de mettre en oeuvre une véritable politique de relance. De plus, la bataille sur les perspectives financières a reflété l'absence d'un esprit de solidarité en Europe.
Il faut le dire, madame la ministre déléguée : les nouvelles perspectives financières ne répondent pas convenablement au défi de l'élargissement, alors même que, je le répète, les nouveaux et futurs États membres sont confrontés à des problèmes économiques et sociaux considérables.
Au surplus, pour réussir cet élargissement, l'Union européenne se trouve à nouveau confrontée à la difficulté de maîtriser élargissement et approfondissement, ce qui suppose en particulier qu'elle parvienne à mettre en place la réforme institutionnelle et décisionnelle tant attendue.
S'agissant de l'adhésion proprement dite de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union européenne, soyons clairs : le groupe communiste républicain et citoyen accueille à bras ouverts les peuples de ces deux pays.
Aussi, il ne se reconnaît pas dans les critiques véhémentes formulées à l'encontre des pays entrants, fondées sur la peur, la xénophobie, ou encore sur le coût financier que pourrait représenter un tel processus. Tout comme il refuse le concept de « capacité d'absorption » sur lequel Nicolas Sarkozy insistait lors de son discours à Bruxelles, le 8 septembre dernier. On le sait, ce concept a été extrait des tiroirs pour freiner, voire écarter, la perspective de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
Loin de nous la crainte des peuples entrants. Nous sommes favorables à l'ouverture des portes de l'Europe.
Mais de quelle Europe parle-t-on ?
Il importe de définir les contours d'une autre Europe, d'une Europe dont les peuples ont besoin, précisément pour dépasser les ruptures de la guerre froide.
Les peuples attendent de l'Europe qu'elle soit un espace ouvert sur le monde, qu'elle renforce les échanges culturels et oeuvre à un rapprochement effectif entre les hommes et les femmes qui les composent.
Les peuples souhaitent que l'Europe utilise ses atouts économiques, sociaux, culturels, scientifiques pour répondre aux besoins, par des politiques sociales de haut niveau, par des services publics développés. Ils attendent le respect des libertés, des droits, des cultures.
Même si, à l'évidence, la réalisation de ces objectifs demeure un combat au regard de la construction européenne actuelle, il n'existe pas de raison qui puisse justifier le refus de l'élargissement. Face à cette question de l'élargissement, le défi le plus important à relever est, je le répète, celui de la solidarité et de la coopération sur la base de l'égalité des droits.
En évoquant l'égalité des droits, je ne peux éluder les difficultés immenses de l'intégration des Roms en Roumanie et en Bulgarie. Force est de constater que la grande majorité des Roms installés dans ces deux pays continuent d'être marginalisés, victimes d'exclusion sociale, et font souvent l'objet de discriminations et de racisme. Ce n'est pas acceptable. Les gouvernements de ces deux pays doivent s'engager pleinement pour lutter contre de telles inégalités et remédier à la situation au plus vite.
Oui à l'ouverture, mais pas dans cette Europe qui s'est construite, depuis plus d'un demi-siècle, sur des politiques libérales conduisant à l'impasse. L'heure est venue de refonder les bases communes de la construction communautaire.
Il convient de rappeler que, voilà plus d'un an, lors du référendum du 29 mai 2005, une majorité de Français votaient « non », rejetant ainsi le projet de loi de ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Or, pour entrer en vigueur, ce traité doit être ratifié par tous les États membres de l'Union européenne. On le sait, cette condition n'est et ne sera pas remplie, puisque les référendums français et néerlandais se sont soldés par une réponse négative et que, dans les quelques pays qui ne se sont pas encore prononcés, les hésitations constatées laissent déjà entrevoir une issue également négative.
Le traité a donc été rejeté. Par conséquent, il doit être déclaré caduc une fois pour toutes.
Malheureusement, à la lecture du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, on remarque que le texte du traité d'adhésion se fonde d'abord sur l'hypothèse selon laquelle, à la date prévue pour l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, c'est le traité établissant une Constitution pour l'Europe qui devrait être entré en vigueur.
L'article 1er du traité d'adhésion dispose donc que la Bulgarie et la Roumanie deviennent parties au traité établissant une Constitution pour l'Europe et que les conditions et les modalités de l'admission, dans le cadre défini par le traité constitutionnel, figurent dans un « protocole » dont les dispositions « font partie intégrante » du traité d'adhésion.
Ce n'est qu'au deuxième article dudit traité qu'est envisagé le cas où le traité constitutionnel ne serait pas entré en vigueur et où l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie interviendrait donc dans le cadre des traités sur lesquels se fonde actuellement l'Union européenne.
Cela me paraît tout à fait symptomatique de l'esprit qui anime les dirigeants européens : la certitude de pouvoir continuer dans le sens d'une Europe toujours plus libérale, sans que les peuples aient leur mot à dire. Or, cette fois, les peuples se sont exprimés clairement, madame la ministre déléguée, et il serait grand temps de les entendre.
Je rappelle que le coût budgétaire de l'élargissement constitue un enjeu important. Il en est de même de ses conséquences économiques, financières et monétaires, qui requièrent, tant des membres actuels de l'Union européenne que des futurs adhérents, un ajustement de leurs politiques respectives. On le sait, les pays candidats ont un long chemin à parcourir pour se hisser au niveau de leurs futurs partenaires.
Enfin, l'espace social européen élargi suppose que des solutions soient trouvées dans toute une série de domaines sensibles : protection sociale, marché du travail, politique communautaire du droit d'asile et d'immigration, droits des minorités.
Mes chers collègues, nous disons clairement aux pays candidats qu'ils sont les bienvenus, mais nous leur exprimons aussi nos craintes de les voir s'intégrer dans un système qui ne leur apportera que des désillusions s'il ne change pas rapidement.